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– Je suis convaincu, répondit-il, qu’un crime a été commis sur la personne de M. Clément Sauvresy avec l’assistance chèrement payée de ce Robelot. C’est si vrai que dès demain M. le docteur Gendron recevra une réquisition d’avoir à procéder sans délai à l’exhumation et à l’autopsie du cadavre.

– Et je retrouverai le poison, affirma le docteur, vous pouvez en être sûr.

– Fort bien, reprit M. Domini. Mais de ce que M. de Trémorel a empoisonné son ami pour épouser sa veuve, s’ensuit-il nécessairement, rigoureusement, qu’il a hier assassiné sa femme et ensuite pris la fuite? Je ne le crois pas.

Le père Plantat, n’osant rien dire, tant il craignait de s’emporter, trépignait de colère. M. Domini s’égarait.

– Pardon, monsieur, objecta doucement M. Lecoq, il me semblait que le suicide de Mlle Courtois – suicide supposé, tout porte à le croire – prouvait au moins quelque chose.

– C’est un fait à éclaircir. La coïncidence que vous invoquez peut n’être qu’un pur effet du hasard.

– Mais, monsieur, insista l’agent de la Sûreté, visiblement agacé, je suis sûr que M. de Trémorel s’est rasé, j’en ai la preuve; nous n’avons pas retrouvé les bottes qu’au dire de son domestique il avait chaussées le matin…

– Doucement, monsieur, interrompit le juge, plus doucement, je vous en prie. Je ne prétends pas que vous ayez absolument tort, il s’en faut, seulement je vous présente mes objections. Admettons, j’y consens, que M. de Trémorel ait tué sa femme. Il vit, il est en fuite, soit. Cela prouve-t-il l’innocence de Guespin et qu’il n’ait pris aucune part au meurtre?

C’était là, évidemment, le côté faible du plan de M. Lecoq. Mais, convaincu, sûr de la culpabilité d’Hector, il s’était assez peu inquiété du pauvre jardinier, se disant que son innocence éclaterait forcément d’elle-même quand on mettrait la main sur le coupable.

Il allait cependant répliquer, lorsque dans le corridor on entendit un bruit de pas puis des voix qui chuchotaient.

– Tenez, fit M. Domini, nous allons sans doute apprendre sur Guespin des détails d’un haut intérêt.

– Attendriez-vous quelque nouveau témoin? demanda le père Plantat.

– Non, mais j’attends un employé de notre police de Corbeil auquel j’ai confié une commission importante.

– Au sujet de Guespin?

– Précisément. Ce matin, de fort bonne heure, une ouvrière de la ville à laquelle Guespin faisait la cour, m’a apporté une photographie de lui très ressemblante, à ce qu’elle m’a affirmé. Ce portrait, je l’ai remis à mon agent, avec l’adresse des Forges de Vulcain, trouvée hier en possession du prévenu, le chargeant de savoir si Guespin n’aurait pas été vu dans ce magasin, et s’il n’y aurait pas, acheté quelque chose dans la soirée d’avant-hier.

S’il est un chasseur jaloux, n’aimant pas à voir suivre sur ses brisées, c’est à coup sûr M. Lecoq. La démarche du juge d’instruction le froissa si fort qu’il ne put dissimuler une affreuse grimace.

– Je suis vraiment désolé, dit-il d’un ton sec, d’inspirer à monsieur le juge si peu de confiance qu’il croie devoir m’adjoindre des aides.

Cette susceptibilité amusa beaucoup M. Domini.

– Eh! monsieur l’agent, fit-il, vous ne pouvez être partout à la fois. Je vous crois fort habile, mais je ne vous avais pas sous la main et j’étais pressé.

– Une fausse démarche est souvent irréparable.

– Rassurez-vous, j’ai envoyé un homme intelligent.

La porte du cabinet s’ouvrit au même moment, et l’émissaire annoncé par le juge d’instruction parut sur le seuil.

C’était un vigoureux homme d’une quarantaine d’années, à tournure soldatesque plutôt que militaire, portant moustache rude taillée en brosse, aux yeux luisants ombragés de sourcils touffus se rejoignant en bouquet formidable au-dessus du nez. Il avait l’air futé plutôt que fin, et sournois encore plus que rusé, si bien que son seul aspect devait éveiller toutes sortes de défiances et mettre instinctivement en garde.

– Bonne nouvelle! dit-il d’une grosse voix enrouée et brisée par l’alcool, je n’ai pas fait le voyage de Paris pour le roi de Prusse, nous sommes en plein sur la piste de ce gredin de Guespin.

M. Domini l’interrompit d’un geste bienveillant, presque amical.

– Voyons, Goulard, disait-il – il s’appelle Goulard – procédons par ordre, s’il se peut, et méthodiquement. Vous vous êtes transporté, conformément à mes ordres au magasin des Forges de Vulcain?

– Immédiatement au sortir du wagon, oui, monsieur le juge.

– Parfait. Y avait-on vu le prévenu?

– Oui, monsieur, le mercredi 8 juillet, dans la soirée.

– À quelle heure?

– Sur les dix heures, peu d’instant avant la fermeture du magasin, ce qui fait qu’il a été bien plus remarqué et bien mieux observé.

Le juge de paix remuait les lèvres, sans doute pour présenter une objection, un geste de M. Lecoq qui le regardait, l’index posé sur la bouche, l’arrêta.

– Et qui a reconnu la photographie? poursuivait M. Domini.

– Trois commis, monsieur, ni plus ni moins. Il faut vous dire que les manières de Guespin ont tout d’abord éveillé leur attention. Il avait l’air extraordinaire, m’ont-ils dit, à ce point qu’ils ont pensé avoir affaire à un homme ivre ou pour le moins gris. Puis, ce qui fixe leurs souvenirs, c’est qu’il a beaucoup parlé, il posait, il a été jusqu’à leur promettre sa protection, disant que si on lui garantissait une remise, il ferait acheter quantité d’outils de jardinage par une maison dont il avait toute la confiance, la maison du Gentil Jardinier.

M. Domini suspendit l’interrogatoire pour consulter le dossier déjà volumineux placé devant lui, sur son bureau. C’était bien, en effet – à en croire les témoins – par cette maison du Gentil Jardinier, que Guespin avait été placé chez le comte de Trémorel.

Le juge d’instruction en fit la remarque à haute voix, et ajouta:

– L’identité, à tout le moins, ne saurait être contestée. Il est acquis à l’accusation que Guespin était, le mercredi soir, aux Forges de Vulcain.

– Tant mieux pour lui, ne put s’empêcher de murmurer M. Lecoq.

Le magistrat entendit fort bien l’exclamation, mais malgré qu’elle lui parût singulière, il ne la releva pas et continua à questionner son homme de confiance.

– Cela étant, reprit-il, on a dû pouvoir vous dire de quels objets le prévenu était venu faire l’acquisition?

– Les commis se le rappelaient, en effet, on ne peut mieux. Il a acheté d’abord un marteau, un ciseau à froid, et une lime.

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