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Il s’attendrissait au souvenir de ces félicités passées, de ces jouissances immatérielles à force d’être profondes, et qui ne reviendraient plus.

Il oubliait leur présence, la trahison infâme, le poison.

Il oubliait qu’il allait mourir assassiné par cette femme tant aimée, et ses yeux s’emplissaient de larmes, sa voix s’étouffait dans sa gorge; il s’arrêta.

Plus immobile et plus blanche que le marbre, Berthe écoutait, essayant de pénétrer le sens de cette scène.

– Il est donc vrai, reprit le malade, que ces beaux yeux limpides éclairent une âme de boue! Ah! qui n’eût été trompé comme moi! Berthe, à quoi rêvais-tu lorsque tu t’endormais bercée entre mes bras? Quelles chimères caressait ta folie?

Trémorel est arrivé, et tu as cru voir en lui l’idéal de tes songes. Tu admirais les rides précoces du viveur comme le sceau fatal qui marque le front de l’archange déchu. Tu as pris pour des lambeaux de pourpre les guenilles pailletées de son passé qu’il secouait sous tes yeux.

Ton amour, sans souci du mien, s’est élancé au-devant de lui qui ne songeait même pas à toi. Tu allais au mal comme à ton essence même. Et moi qui croyais ta pensée plus immaculée que la neige des Alpes. En toi il n’y a même pas eu de lutte. Tu ne t’es pas abandonnée, tu t’es offerte. Nul trouble ne m’a révélé ta première faute. Tu m’apportais sans rougir ton front mal essuyé des baisers de ton amant.

La lassitude domptait son énergie. Sa voix peu à peu se voilait et devenait plus faible.

– Tu as eu ton bonheur entre les mains, Berthe, et tu l’as brisé insoucieusement comme l’enfant brise le jouet dont il ignore la valeur. Qu’attendais-tu de ce misérable pour lequel tu as eu l’affreux courage de me tuer le baiser aux lèvres, doucement, lentement, heure par heure? Tu as cru l’aimer, mais le dégoût à la longue doit t’être venu. Regarde-le et juge-nous. Vois quel est l’homme, de moi étendu sur ce lit où je vais rendre le dernier soupir dans quelques heures, et de lui qui agonise de peur dans son coin. Du crime, tu as l’énergie, et il n’en a que la bassesse. Ah! si je m’appelais Hector de Trémorel et qu’un homme eût osé parler comme je viens de le faire, cet homme n’existerait plus, eût-il pour se défendre dix revolvers comme celui que je tiens.

Ainsi remué du pied dans la boue, Hector essaya de se lever, de répondre. Ses jambes ne le portaient plus, sa gorge ne rendait que des sons rauques et inarticulés.

Et Berthe, en effet, examinant ces deux hommes, reconnaissait avec rage son erreur.

Son mari, en ce moment, lui apparaissait sublime: ses yeux avaient des profondeurs inouïes, son front rayonnait, tandis que l’autre; l’autre!… à le considérer seulement elle se sentait prise de nausées.

Ainsi, toutes ces chimères décevantes après lesquelles elle avait couru, amour, passion, poésie, elle les avait eues entre les mains, elle les avait tenues, et elle n’avait pas su s’en apercevoir. Mais où en voulait venir Sauvresy, quelle idée poursuivait-il? Il continuait péniblement:

– Ainsi donc, voici notre situation: vous m’avez tué, vous allez être libres, mais vous vous haïssez, vous vous méprisez…

Il dut s’interrompre, il étouffait. Il essaya de se hausser sur ses oreillers, de s’asseoir sur son lit, il était trop faible. Alors, il s’adressa à sa femme.

– Berthe, dit-il, aide-moi à me soulever.

Elle se pencha sur le lit, s’appuyant au dossier, et prenant son mari sous les bras, elle parvint à le placer comme il le désirait. Dans cette nouvelle position, il parut plus à l’aise, et à deux ou trois reprises, il respira longuement.

– Maintenant, fit-il, je voudrais boire. Le médecin m’a permis un peu de vin vieux, si fantaisie m’en prenait; donne-moi trois doigts de vin vieux.

Elle se hâta de lui en apporter un verre, il le vida et le lui rendit.

– Il n’y avait pas de poison dedans? demanda-t-il. Cette question effrayante, le sourire qui l’accompagnait brisèrent l’endurcissement de Berthe.

Depuis un moment, avec son dégoût pour Trémorel, les remords en elle s’étaient éveillés et déjà elle se faisait horreur.

– Du poison! répondit-elle avec violence, jamais!

– Il va pourtant falloir m’en donner tout à l’heure, pour m’aider à mourir.

– Toi! mourir, Clément! non, je veux que tu vives, pour que je puisse racheter le passé. Je suis une infâme, j’ai commis un crime abominable, mais tu es bon. Tu vivras; je ne te demande pas d’être ta femme, mais ta servante, je t’aimerai, je m’humilierai, je te servirai à genoux, je servirai tes maîtresses si tu en as, et je ferai tant qu’un jour, après dix ans, après vingt ans d’expiation, tu me pardonneras.

C’est à peine si, dans son trouble mortel, Hector avait pu suivre cette scène. Mais aux gestes de Berthe, à son accent, à ses dernières paroles surtout, il eut comme une lueur d’espoir, il crut que peut-être tout allait être fini, oublié, que Sauvresy allait pardonner. Se soulevant à demi, il balbutia:

– Oui, grâce, grâce!

Les yeux de Sauvresy lançaient des éclairs, la colère donnait à sa voix des vibrations puissantes.

– Grâce! s’écria-t-il, pardon!… Avez-vous eu pitié de moi pendant une année que vous vous êtes joués de mon bonheur, depuis quinze jours que vous mêlez du poison à toutes mes tisanes! Grâce? Mais vous êtes fous? Pourquoi donc pensez-vous que je me suis tu en découvrant votre infamie, que je me suis laissé tranquillement empoisonner, que j’ai pris soin de dérouter les médecins? Espérez-vous que j’ai agi ainsi uniquement pour préparer une scène d’adieux déchirants et vous donner à la fin ma bénédiction? Ah! connaissez-moi mieux!

Berthe sanglotait. Elle essaya de prendre la main de son mari, il la repoussa durement.

– Assez de mensonges, dit-il, assez de perfidies! Je vous hais!… Vous ne sentez donc pas qu’il n’y a plus que la haine de vivante en moi!

L’expression de Sauvresy était atroce en ce moment.

– Voici bientôt deux mois, reprit-il, que je sais la vérité. Tout se brisa en moi, l’âme et le corps. Ah! il m’en a coûté de me taire, j’ai failli en mourir. Mais une pensée me soutenait: je voulais me venger. Aux heures de répit, je ne songeais qu’à cela. Je cherchais un châtiment proportionné à l’offense. Je n’en trouvais pas, non, je ne pouvais en trouver, lorsque vous avez pris le parti de m’empoisonner. Le jour où j’ai deviné le poison, j’ai eu un tressaillement de joie, je tenais ma vengeance.

Une terreur toujours croissante envahissait Berthe et la stupéfiait autant que Trémorel.

– Pourquoi voulez-vous ma mort? continuait Sauvresy, pour être libres, pour vous marier? Eh bien! c’est là ce que je veux aussi. Le comte de Trémorel sera le second mari de Mme veuve Sauvresy.

– Jamais! s’écria Berthe, non jamais!

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