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Sans doute elle était venue demander quelque chose à Hector, il le lui refusait, et voici qu’elle le priait. Oui, elle le priait, et Sauvresy le devinait bien aux gestes de Berthe, qui nettement se reproduisaient sur la mousseline, comme le spectre noir des ombres chinoises sur le papier huilé. Il connaissait si bien ce geste ravissant de supplication qui lui était familier, quand elle désirait obtenir quelque chose! Elle levait ses deux mains jointes à la hauteur de son front, inclinait la tête, fermant à demi les yeux pour en redoubler l’éclat. Quelle langueur voluptueuse avait sa voix quand elle disait:

– Dis, mon bon Clément, tu veux bien, n’est-ce pas? tu veux bien!…

Et c’est pour un autre homme qu’elle avait ce geste charmant, ce regard, ces intonations.

Sauvresy fut obligé de s’appuyer à un arbre pour ne pas tomber.

Évidemment Hector lui refusait ce qu’elle souhaitait. Elle agitait maintenant l’index relevé de la main droite, avec des mouvements mutins, hochant la tête d’un air de bouderie. Elle devait lui dire:

– Tu ne veux pas, tu vois, tu ne veux pas…

Cependant, elle revenait à la prière.

«Ah! pensait Sauvresy, il sait résister à une prière de sa bouche; je n’ai jamais eu ce courage, moi. Il peut garder sa raison, son sang-froid, sa volonté, quand elle le regarde. Je ne lui ai jamais dit non, moi, ou plutôt je n’ai jamais attendu qu’elle me demandât rien. J’ai passé ma vie à épier ses moindres fantaisies pour les prévenir. Peut-être est-ce là ce qui m’a perdu?»

Hector s’obstinait et Berthe peu à peu s’animait, elle devait être en colère. Elle reculait, étendant le bras, le buste en arrière; elle le menaçait.

Enfin, il était vaincu. De la tête, il fit: «Oui.»

Alors elle se précipita, elle se jeta sur lui, les bras ouverts et les deux ombres se confondirent en une longue étreinte.

Sauvresy ne put retenir un cri terrible qui se perdit au milieu des mugissements du vent. Il avait demandé une certitude; il l’avait. La vérité éclatait, indiscutable, évidente. Il n’avait plus à rien chercher, maintenant, rien, que le moyen de punir sûrement, terriblement.

Berthe et Hector causaient amicalement, elle appuyée contre sa poitrine, lui baissant la tête par moments pour embrasser ses beaux cheveux.

Sauvresy comprit qu’elle allait descendre, qu’il ne pouvait songer à aller chercher la lettre et en toute hâte il rentra, oubliant, tant il redoutait d’être surpris, de remettre les verrous à la porte du jardin.

Ce n’est qu’une fois arrivé dans sa chambre qu’il s’aperçut qu’il était resté dans la neige; même il gardait quelques gros flocons à ses sandales et elles étaient toutes mouillées. Vivement il les lança sous le lit tout au fond, et se recoucha, faisant semblant de dormir.

Il était temps: Berthe rentrait. Elle s’approcha de son mari, et croyant qu’il ne s’était pas réveillé, elle revint prendre sa broderie près du feu.

Elle n’avait pas fait dix points que Trémorel reparut. Il n’avait pas pensé à monter son journal et revenait le chercher. Il semblait inquiet.

– Êtes-vous sortie, ce soir, madame? lui demanda-t-il, de cette voix chuchotante qu’on prend involontairement dans la chambre des malades.

– Non.

– Tous les domestiques sont bien couchés?

– Je le suppose, du moins. Mais pourquoi ces questions?

– C’est que depuis que je suis monté, c’est-à-dire depuis moins d’une demi-heure, quelqu’un est allé dans le jardin et est rentré.

Berthe le regarda d’un air singulièrement inquiet.

– Êtes-vous sûr de ce que vous dites?

– Parfaitement. Il y a de la neige, et la personne qui est sortie en a rapporté à ses chaussures. Cette neige, tombée sur les dalles du vestibule, a fondu…

Mme Sauvresy prit brusquement la lampe, interrompant Hector.

– Venez, dit-elle.

Trémorel ne s’était pas trompé. On voyait çà et là de petites flaques d’eau, très apparentes sur les carreaux noirs.

– Peut-être cette eau est-elle là depuis assez longtemps, hasarda Berthe.

– Non. Il n’y avait rien tout à l’heure, j’en mettrais ma main au feu, et d’ailleurs, voyez, là, tenez il y a encore un peu de neige qui n’a pas fondu.

– C’est sans doute un domestique?

Hector était aller examiner la porte.

– Je ne le crois pas, répondit-il, un domestique aurait remis les verrous et, vous le voyez, ils sont tirés. C’est cependant moi qui, ce soir, ai fermé la porte, et je me rappelle parfaitement les avoir poussés.

– C’est extraordinaire.

– Et de plus, remarquez-le, les traces d’eau ne vont pas plus loin que la porte du salon.

Ils restèrent silencieux, palpitants, échangeant des regards pleins d’anxiété. La même pensée terrifiante leur venait à tous deux.

– Si c’était lui?

Mais pourquoi serait-il allé au jardin? Ce ne pouvait être pour les épier. Ils ne songeaient pas à la fenêtre.

– Ce ne peut être Clément, dit enfin Berthe, il dormait lorsque je suis sortie, et il dort encore maintenant du sommeil le plus calme et le plus profond.

Penché sur son lit, Sauvresy écoutait ceux qui étaient devenus ses ennemis les plus abhorrés. Il maudissait son imprudence, comprenait bien qu’il n’était pas fait pour les machinations perfides.

«Pourvu, pensait-il qu’ils n’aient pas l’idée de visiter ma robe de chambre et de chercher mes sandales.»

Heureusement cette idée si simple ne leur vint pas, et ils se séparèrent après avoir tout fait pour se rassurer mutuellement. Mais chacun, au fond de son âme, emportait un doute poignant.

Cette nuit-là même, Sauvresy eut une crise affreuse. Après cette lueur de raison, le délire, cet hôte terrible, emplit de nouveau son cerveau de ses fantômes.

Le docteur R…, le lendemain matin, le déclara plus en danger que jamais; à ce point, qu’il expédia une dépêche à Paris pour prévenir de son absence, et annonça qu’il allait rester deux ou trois jours au Valfeuillu.

Le mal redoublait de violence, mais sa marche devenait de plus en plus certaine. Les symptômes les plus contradictoires se produisaient. C’était chaque jour un phénomène nouveau, déconcertant toutes les prévisions des médecins. C’est qu’aussitôt que Sauvresy avait une heure de rémission, il revoyait l’abominable scène de la fenêtre, et le mieux s’envolait.

Il ne s’était d’ailleurs pas trompé. Berthe avait, ce soir-là, une grâce à demander à Hector.

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