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Le comte de Trémorel s’avançait, tenant à la main sa montre, sa chaîne et un fort beau brillant qu’il avait retiré de son doigt. La timidité de la misère le prenait, il ne savait à qui s’adresser. Une jeune femme eut pitié de son embarras.

– Tenez, lui dit-elle, mettez vos objets là, sur ce bout de planchette, devant ce grillage garni de rideaux verts.

Au bout d’un moment, une voix qui paraissait venir d’une pièce voisine, cria:

– Douze cents francs, la montre et la bague.

L’énormité de la somme produisit une telle sensation que toutes les conversations s’arrêtèrent. Tous les yeux cherchaient le millionnaire qui allait empocher tant de louis. Le millionnaire ne répondit pas.

Heureusement la même femme qui avait déjà conseillé Hector lui poussa le bras.

– C’est pour vous, les douze cents francs, lui dit-elle, répondez si vous acceptez, ou non.

– J’accepte! cria Hector.

Une joie profonde, immense, lui faisait oublier jusqu’à ses toitures de la nuit. Douze cents francs! Que de jours représentait cette somme. N’avait-il pas entendu dire qu’il y a des employés qui ne gagnent guère que cela par an.

Les autres emprunteurs se moquaient de lui. Ils semblaient là comme chez eux. Ils avaient certaines façons de répondre: Oui, qui faisaient beaucoup rire. Quelques-uns causaient familièrement avec les employés ou faisaient des remarques.

Hector attendait depuis bien longtemps, lorsqu’un des employés qui écrivaient derrière un autre grillage, cria:

– À qui les douze cents francs?…

Le comte s’avança, il comprenait le mécanisme.

– À moi, répondit-il.

– Votre nom?

Hector hésita. Prononcer son noble nom tout haut, en pareil lieu, jamais. Il dit un nom en l’air:

– Durand.

– Où sont vos papiers?

– Quels papiers?

– Un passeport, une quittance de loyer, un permis de chasse.

– Je n’ai rien de tout cela.

– Allez le chercher, ou amenez deux témoins patentés.

– Mais, monsieur…

– Il n’y a pas de monsieur! À un autre…

Si étourdi du contretemps que fût Hector, le ton de l’employé l’indigna.

– Alors, dit-il, rendez-moi mes bijoux.

L’employé le regarda d’un air goguenard.

– Impossible. Tout nantissement enregistré ne peut être rendu que sur justification de possession légitime.

Et sans vouloir rien entendre, il continua sa besogne.

– Un châle français, trente-cinq francs, à qui?

C’est au milieu des quolibets qu’Hector sortit du mont-de-piété.

Jamais le comte de Trémorel n’avait autant souffert et même il n’avait pas idée d’angoisses pareilles. Après cette lueur d’espoir, brusquement éteinte, les ténèbres lui semblaient plus profondes et plus inexorables. Il restait plus nu, plus dépouillé que le naufragé auquel la mer a arraché ses dernières épaves, le mont-de-piété lui avait pris ses dernières ressources.

Toute la poésie fanfaronne dont il se plaisait autrefois à parer son suicide, s’évanouissait, laissant voir la réalité la plus triste, la plus ignoble.

Il allait finir, non plus comme le beau joueur qui volontairement quitte le tapis vert où il laisse sa fortune, mais comme le Grec qui, surpris et chassé, sait que toutes les portes lui seront fermées. Sa mort n’avait rien de volontaire, il ne pouvait ni hésiter, ni choisir son heure, il allait se tuer faute de pouvoir vivre un seul jour de plus. Et jamais l’existence ne lui avait paru chose si bonne.

Jamais il ne s’était senti cette exubérance de force et de jeunesse.

Il découvrait tout à coup autour de lui, comme en un pays inexploré, une foule de jouissances plus enviables les unes que les autres, et qu’il n’avait pas goûtées. Lui qui se vantait d’avoir tordu la vie pour en exprimer le plaisir, il n’avait pas vécu. Il avait eu tout ce qui se vend et s’achète, rien de ce qui se donne ou se conquiert, il n’avait rien eu.

Déjà il n’en était plus à se reprocher les dix mille francs offerts à Jenny. Il regrettait moins. Il regrettait les deux cents francs partagés aux domestiques, le pourboire abandonné la veille au garçon du restaurant; moins encore, les vingt sous jetés sur l’éventaire de la marchande de violettes.

Il pendait à sa boutonnière, ce bouquet fané, passé flétri. À quoi lui servait-il? Tandis que ces vingt sous!… Il ne pensait plus aux millions dissipés, il ne pouvait chasser la pensée de ce misérable franc.

C’est que le viveur, l’heureux du monde, l’homme qui la veille avait son hôtel, dix domestiques, huit chevaux dans ses écuries, le crédit qui résulte d’une colossale fortune dissipée, le comte de Trémorel avait envie de fumer et il n’avait pas de quoi acheter un cigare; il avait faim et il n’avait pas de quoi payer un repas dans la plus infime des gargotes.

Certes, s’il l’eût voulu, il eût pu se procurer bien de l’argent encore, et bien facilement. Il lui suffisait de rentrer tranquillement chez lui, de tenir tête aux huissiers, de se débattre au milieu de la ruine.

Mais quoi! il affronterait donc son monde, il confesserait donc ses terreurs invincibles au dernier moment il subirait des regards plus cruels qu’une balle de pistolet. On n’a pas le droit de tromper ainsi son public; quand on a annoncé son suicide: on se tue. Ainsi Hector allait mourir parce qu’il avait parlé, parce que le journal avait annoncé l’événement. Cela, au moins il se l’avouait, et tout en marchant, il s’adressait les reproches les plus amers.

Il se souvenait d’un joli endroit où il s’était battu en duel, une fois, dans les bois de Viroflay; il s’était dit qu’il se tuerait là, et il s’y rendait, suivant cette route charmante, du Point-du-Jour.

Comme la veille, le temps était superbe, et à tout moment des groupes de femmes et de jeunes gens le dépassaient. Ils se rendaient, ceux-là, à quelque partie de campagne, et ils étaient déjà loin, qu’on entendait encore leurs éclats de rire.

Dans les guinguettes, au bord de l’eau, sous les tonnelles dont les chèvrefeuilles bourgeonnaient, des ouvriers buvaient, choquant leurs verres.

Tous ces gens paraissaient heureux et contents, et cette gaieté semblait à Hector insulter sa misère présente. N’y avait-il donc que lui de malheureux au monde! Il avait soif, cependant, une soif intense, insupportable.

Aussi, arrivé au pont de Sèvres, il quitta la route et descendant la berge, assez rapide à cet endroit, il gagna le bord de la Seine. Il se baissa, puisa de l’eau dans le creux de sa main, et but.

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