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De là, aussi la presque impossibilité de donner la physionomie exacte et réelle d’une instruction difficile.

Ainsi, dans cette affaire, le juge d’instruction et le père Plantat étaient loin d’être du même avis. Ils le savaient avant d’avoir échangé une parole. Mais M. Domini dont l’opinion reposait sur des faits matériels, sur des circonstances palpables, et pour lui hors de toute discussion, était peu disposé à provoquer la contradiction. À quoi bon?

D’un autre côté, le père Plantat, dont le système semblait reposer uniquement sur des impressions, sur une série de déductions plus ou moins logiques, ne pouvait s’expliquer clairement sans une invitation positive et pressante.

Son dernier mot, souligné avec affectation, n’ayant pas été relevé, il jugea qu’il s’était assez avancé, trop peut-être, aussi s’empressa-t-il, pour détourner la conversation, de s’adresser à l’envoyé de la préfecture de police.

– Eh bien! M. Lecoq, demanda-t-il, avez-vous recueilli quelques indices nouveaux?

M. Lecoq, en ce moment, regardait avec une persévérante attention un grand portrait de M. le comte Hector de Trémorel suspendu en face du lit.

Sur l’interpellation du père Plantat, il se retourna.

– Je n’ai rien trouvé de décisif, répondit-il, mais je n’ai rien trouvé non plus qui dérange mes prévisions. Cependant…

Il n’acheva pas, peut-être, lui aussi, reculait-il devant sa part de responsabilité.

– Quoi? insista durement M. Domini.

– Je voulais dire, reprit M. Lecoq, que je ne tiens pas parfaitement mon affaire. J’ai bien ma lanterne, et même une chandelle dans ma lanterne, il ne me manque plus qu’une allumette…

– Soyez convenable, je vous prie, dit sévèrement le juge d’instruction.

– Eh bien, continua M. Lecoq, d’un air et d’un ton trop humble pour n’être pas joué, j’hésite encore. J’ai besoin d’être aidé. Par exemple, si monsieur le docteur daignait prendre la peine de procéder à l’examen du cadavre de Mme la comtesse de Trémorel, il me rendrait un grand service.

– J’allais précisément vous adresser cette prière, mon cher docteur, dit M. Domini à M. Gendron.

– Volontiers, répondit le vieux médecin, qui immédiatement se dirigea vers la porte.

M. Lecoq l’arrêta par le bras.

– Je me permettrai, observa-t-il, d’un ton qui ne ressemblait en rien à celui qu’il avait eu jusqu’alors, je me permettrai d’appeler l’attention de monsieur le docteur sur les blessures faites à la tête de Mme de Trémorel par un instrument contondant que je suppose être un marteau. J’ai étudié ces blessures, moi qui ne suis pas médecin, et elles m’ont paru suspectes.

– Et à moi aussi, dit vivement le père Plantat, il m’a semblé qu’il n’y avait pas eu, aux endroits atteints, effusion de sang dans les vaisseaux cutanés.

– La nature de ces blessures, continua M. Lecoq, sera un indice précieux qui me fixera complètement.

Et comme il avait sur le cœur la brusquerie du juge d’instruction, il ajouta, innocente vengeance:

– C’est vous, monsieur le docteur, qui tenez l’allumette.

M. Gendron se disposait à sortir, lorsque sur le seuil apparut le domestique de monsieur le maire d’Orcival, Baptiste, l’homme qu’on ne gronde pas.

Il salua longuement et dit:

– Je viens chercher Monsieur.

– Moi! demanda M. Courtois, pourquoi? Qu’y a-t-il? Ne saurait-on me laisser une minute en repos! Vous répondrez que je suis occupé.

– C’est que, reprit le placide Baptiste, c’est rapport à Madame que nous avons cru devoir déranger Monsieur. Elle n’est pas bien du tout, Madame!

L’excellent maire pâlit légèrement.

– Ma femme! s’écria-t-il sérieusement inquiet, que veux-tu dire? explique-toi donc.

– Eh bien, voilà, continua Baptiste, de l’air le plus tranquille du monde. Le facteur arrive tout l’heure, avec le courrier. Bon! Je porte les lettres à Madame qui était dans le petit salon. À peine avais-je tourné les talons, que j’entends un grand cri, et comme le bruit d’une personne qui tombe à terre de son haut.

Baptiste s’exprimait lentement, mettant, on le sentait, un art infini à augmenter les angoisses de son maître.

– Mais parle donc! disait le maire exaspéré, parle, va donc!

– Naturellement, poursuivit le drôle sans se hâter, je rouvre la porte du petit salon. Qu’est-ce que je vois? Madame étendue à terre. Comme de juste, j’appelle au secours, la femme de chambre arrive, la cuisinière, les autres, et nous portons Madame sur son lit. Il paraît, m’a dit Justine, que c’est une lettre de Mlle Laurence qui a mis Madame dans cet état…

Le domestique qu’on ne gronde jamais était à battre. À chaque mot, il s’arrêtait, hésitait, cherchait; ses yeux, démentant sa figure contrite, trahissaient l’extrême satisfaction qu’il ressentait d’un malheur survenu à son maître.

Ce maître, hélas! était consterné. Ainsi qu’il nous arrive à tous, quand nous ne savons au juste quel malheur va nous atteindre, il tremblait d’interroger. Il restait là, anéanti, ne bougeant; se lamentant au lieu de courir.

Le père Plantat profita de ce temps d’arrêt pour questionner le domestique, et avec un tel regard que le drôle n’osa pas tergiverser.

– Comment, demanda-t-il, une lettre de Mlle Laurence, elle n’est donc pas ici?

– Non, monsieur, elle est partie il y a eu hier huit jours pour aller passer un mois chez une des sœurs de Madame.

– Et comment va Mme Courtois?

– Mieux, monsieur, seulement elle pousse des cris à faire pitié.

L’infortuné maire s’était redressé sous le coup. Il saisit son domestique par le bras.

– Mais viens donc, malheureux, lui cria-t-il, viens donc!…

Et ils sortirent en courant.

– Pauvre homme! fit le juge d’instruction, sa fille est peut-être morte.

Le père Plantat hocha tristement la tête.

– Si ce n’était que cela, dit-il.

Et il ajouta:

– Rappelez-vous, monsieur, les allusions de La Ripaille.

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