et le duc Godefroi près de Robert Guiscard [259].
Puis, allant se mêler à toutes ces lumières,
l’âme qui jusqu’alors m’avait parlé montra
quelle place elle avait dans le céleste chœur.
Alors je me tournai du côté de ma droite,
pour lire mon devoir dicté par Béatrice,
dans un mot qu’elle eût dit ou dans un mouvement,
et je vis dans ses yeux une telle liesse,
une telle clarté, que sa beauté semblait
plus grande que jamais et que son air dernier.
Et comme en ressentant, parmi les bonnes œuvres,
que le plaisir s’augmente, un homme réalise
que sa vertu progresse et gagne tous les jours,
je me suis aperçu que ma rotation
suivait un plus grand arc, avec le ciel ensemble,
rien qu’à voir ce miracle encor plus éclatant [260].
Et comme en un instant le teint blanc d’une femme
peut changer de couleur, sitôt que de la honte
l’accablante couleur s’efface de ses joues,
de même dans mes yeux, quand je me retournai,
je reçus la candeur de l’astre tempéré,
sixième à m’accueillir dans son intérieur.
Dans l’astre jovial j’ai contemplé comment
tout le scintillement de l’amour y régnant
formait sous mes regards certaines de nos lettres.
Comme un envol d’oiseaux quittant les bords d’un fleuve
s’en va joyeusement chercher sa nourriture,
en dessinant un cercle ou quelque autre figure,
telles, dans leurs splendeurs, les saintes créatures
chantaient en voletant et formaient d’elles-mêmes
la figure d’un D, puis d’un I, puis d’un L.
Elles partaient d’abord sur le rythme du chant,
et quand un caractère avait été tracé,
s’arrêtaient un instant et gardaient le silence.
Divine Pégasée [261], où le poète trouve
la gloire qui le fait vivre éternellement
et fait vivre par toi royaumes et cités,
verse-moi ton savoir, pour que je puisse peindre
les dessins qu’on y fait, tels que je les ai vus,
et que tout ton pouvoir se montre dans mes vers!
Ainsi donc, cinq fois sept voyelles et consonnes
s’esquissaient sous mes yeux, et je les observais
au fur et à mesure, en les voyant paraître.
D’abord Diligite justitiam étaient
les premiers verbe et nom de toute leur peinture;
qui judicatis terrant en furent les derniers [262].
Puis toutes ces clartés se rangèrent sur l’M
du dernier de ces mots, tant que de Jupiter
l’argent me paraissait constellé de points d’or.
Et je vis arriver d’autres clartés encore
à l’endroit du sommet de l’M et s’y poser
tout en chantant, je crois, le Bien qui les appelle.
Et puis, comme du choc des tisons embrasés
jaillit un jet brillant d’étincelles sans nombre
d’où le niais prétend tirer des pronostics,
plus de mille splendeurs parurent en sortir
et remonter qui plus, qui moins, selon le sort
que leur a réservé le soleil qui les brûle.
Lorsque chacune enfin eut occupé sa place,
je vis représenter sur le fond de ces flammes
la tête d’un grand aigle à partir de son cou [263].
Celui qui peint là-haut n’a jamais eu de maître;
c’est lui son propre maître, et c’est en lui qu’il trouve
la force où tous les corps ont découvert leur forme.
Les autres bienheureux, qui paraissaient d’abord
vouloir faire de l’M une sorte de lis,
presque sans se mouvoir complétaient cette image [264].
Astre béni, combien et quelles pierreries
m’ont alors démontré que l’humaine justice
est un effet du ciel où tu resplendissais!
À cette Intelligence où prennent leur principe
ta vie et ta vertu, je demande d’où vient,
pour souiller ton éclat, cette épaisse fumée,
afin qu’une autre fois elle s’irrite enfin
de ce que l’on achète et l’on vende en ce temple [265]
qu’ont bâti le miracle et le sang des martyrs.
Vous, soldats glorieux du ciel que je contemple,
priez toujours pour ceux qui restent sur la terre,
tout à fait égarés, par l’exemple mauvais!
L’on faisait autrefois la guerre avec l’épée;
on la fait maintenant en privant son prochain
du pain que notre Père a prévu pour chacun.
Mais toi, qui n’as jamais écrit que pour biffer [266],
pense que Pierre et Paul, qui sont morts pour la vigne
détruite par tes soins, sont encore vivants!
Sans doute te dis-tu: «J’aime d’un tel amour
celui qui voulut vivre autrefois au désert
et qui dans une danse a trouvé le martyre [267],
que je n’ai nul souci du pêcheur ni de Paul.»
CHANT XIX
Devant moi paraissait, les ailes déployées,
ce symbole éclatant qui, dans le doux fruit [268],
augmentait le bonheur des âmes enchâssées,
et chacune semblait un tout petit rubis
dans lequel scintillait le rayon du soleil
si fort, que ses reflets offusquaient mon regard.
Et ce que je voudrais rapporter à présent,
l’encre ou la voix jamais ne l’ont écrit ou dit,
et l’esprit des humains ne l’a jamais conçu.
Je vis et j’entendis cet aigle qui parlait,
et sa voix prononçait les mots «je» comme «mon»,
quand son intention disait «nous» ou bien «notre».
Il dit: «Pour être juste et fidèle à la fois,
je me trouve exalté maintenant dans la gloire
qui dépasse de loin le songe des humains.
Sur la terre, là-bas, mon souvenir demeure,
et son exemple est tel, que même les pervers
en font partout l’éloge, et ne l’imitent pas.»
Et comme d’un monceau de charbons embrasés
une seule chaleur monte, de tant d’amours
qui formaient ce portrait, ne sortait qu’une voix.
Je répondis alors: «Ô fleurs perpétuelles
du bonheur éternel, qui me faites ainsi
tir tous les parfums à la fois, comme un seul,
mettez par votre souffle une fin au grand jeûne