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comment connaîtras-tu cet état bienheureux,

si tu gardes toujours les yeux fixés en bas?

Regarde donc plutôt ces cercles jusqu’en haut,

et sur le plus lointain tu pourras voir la Reine

à laquelle obéit saintement ce royaume! «

Lors je levai les yeux, et comme le matin

le bord de l’horizon qui touche à l’Orient

passe l’éclat de Vautre où le soleil se couche,

de même, en promenant mon regard du plus bas

au plus haut, j’aperçus un endroit au sommet,

dont l’éclat dépassait tout le front opposé.

Et tout comme le bord où l’on attend le char

que Phaéton garda si mal, paraît brûler,

tandis que de partout la clarté diminue,

telle vers le milieu s’avivait l’oriflamme

qui conduit à la paix, tandis que tout autour

la clarté faiblissait de façon uniforme.

Dans ce même milieu, les ailes déployées,

l’air en fête, j’ai vu voler plus de mille anges,

et chacun différait par I’aspect et l’éclat.

Et là, parmi leurs jeux et parmi leur musique,

je vis une beauté rire [428], qui dans les yeux

de tous les autres saints devenait de la joie.

Si j’avais l’éloquence aussi riche que l’est

l’imagination, je ne craindrais pas moins

d’affronter le portrait de sa grâce la moindre.

Bernard, voyant mes yeux qui s’étaient arrêtés

attentifs et fixés sur l’ardeur de sa flamme,

tourna les siens vers elle, avec tant de tendresse

que mon regard devint d’autant plus enflammé.

CHANT XXXII

Donc ce contemplateur, tout entier à sa joie,

assuma librement l’office de docteur,

commençant son discours par ces saintes paroles:

«La blessure qu’oignit et que guérit Marie,

ce fut la belle femme assise au-dessous d’elle [429]

qui l’avait fait ouvrir et qui l’envenima.

Au troisième degré que composent ces sièges

est assise Rachel, auprès de Béatrice,

comme tu peux le voir, un peu plus bas que l’autre.

Sarah et Rebecca, Judith la bisaïeule

de ce chantre royal qui disait dans ses vers

miserere mei, regrettant ses erreurs [430],

suivent, comme tu vois, de gradin en gradin,

toujours en descendant, dans l’ordre de leurs noms

formant de haut en bas de la fleur les pétales.

Du septième gradin jusqu’en bas, comme aussi

du sommet jusqu’à lui, une file de Juives,

divisent en longueur la tête de la rosé;

car, suivant le regard dont on considéra

la foi de Jésus-Christ, elles forment le mur

d’où prennent leur départ ces escaliers sacrés [431].

Du côté le plus proche, où tous les pétales

semblent s’épanouir, tu vois rester assis

ceux qui crurent d’abord dans le Christ à venir;

et de l’autre côté, dont le vide interrompt

par endroits les degrés, restent assis ceux-là

qui fixaient leurs regards sur le Christ advenu.

Comme de ce côté le trône glorieux

de la dame du ciel, avec les autres sièges,

se trouvent au-dessous, formant comme un palier,

il fait aussi pendant au trône du grand Jean [432]

qui, toujours aussi saint, a souffert le désert

et le martyre, et puis l’Enfer pendant deux ans 432bis;

et au-dessous de lui complètent la coupure

François avec Benoît et avec Augustin

et d’autres jusqu’en bas, passant de cercle en cercle.

Admire ici de Dieu l’insigne providence!

Car l’un et l’autre aspect de cette même loi

doivent également remplir tout ce jardin.

Et sache aussi qu’en bas du gradin qui distingue

deux étages égaux dans les deux hémicycles,

on ne réside pas par son propre mérite,

mais par celui d’autrui, sous certaines réserves [433];

car ce sont les esprits de tous ceux qui sont morts

sans avoir disposé de tout leur libre arbitre.

Tu peux t’en rendre compte aisément aux visages

et, s’il en est besoin, à leurs voix enfantines,

si tu regardes bien ou si tu les écoutes.

Tu doutes maintenant, mais sans vouloir le dire:

je te dégagerai de ces fortes entraves

dans lesquelles t’empêtre un penser trop subtil [434].

Dans tout ce que comprend le royaume d’ici,

nulle place n’est faite aux jeux du pur hasard,

à la soif, à la faim ou bien à la tristesse,

car tout ce que tu vois se trouve organisé

par la loi éternelle, en sorte que partout,

comme la bague au doigt, tout se trouve à sa place.

C’est pourquoi cette gent, qui courut la première

au bonheur éternel [435], n’est pas distribuée

sans raison ici-haut, en plus ou moins parfaite.

Car le Roi grâce à qui ce royaume repose

au sein d’un tel amour et de telles délices,

qu’aucune envie en vous n’oserait davantage,

créant joyeusement et avec bienveillance

les esprits, les dota de grâces inégales,

selon son bon plaisir [436]: le résultat suffit.

Par ailleurs, l’Écriture exprime clairement

la même vérité, parlant de ces jumeaux [437]

qui s’étaient irrités dans le sein de leur mère.

C’est par nécessité que la clarté d’en haut

couronne dignement, en respectant toujours

la couleur des cheveux de la grâce qu’on eut.

Si donc ils sont placés sur des degrés divers,

ils ne le doivent pas au mérite des actes,

mais à la qualité de leurs vertus innées.

Il suffisait jadis, pendant les premiers siècles,

pour gagner le salut, en plus de l’innocence,

le gage unique et seul de la foi des parents.

Puis, quand des premiers temps fut révolu le cycle,

la circoncision fournissait seule aux mâles

la force nécessaire à leur aile innocente.

Mais depuis que le temps de la grâce est venu,

si l’on n’ajoute point le baptême du Christ,

cette même innocence est reléguée en bas.

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