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et lorsque les désirs se proposent ce but,

ce chemin détourné fait que de l’amour vrai

le rayon monte au ciel avec plus de lenteur.

Mais c’est un autre aspect de notre heureux état,

que cette égalité du mérite et des gages,

qui fait qu’on ne les veut ni moindres ni plus grands.

Le vivant justicier modère dans nos cœurs

si bien notre désir, que l’on ne peut jamais

le tordre dans le sens de quelque iniquité.

Diversité de voix fait la douce musique:

de même parmi nous des sièges différents

produisent dans nos cieux une douce harmonie.

Et dans l’intérieur de cette marguerite

brille d’un grand éclat ce Romieu, dont l’ouvrage,

quoiqu’il fût grand et beau, fut mal récompensé [59].

Mais tous les Provençaux qui tramaient contre lui

n’en ont pas ri; partant, mal choisit son chemin

qui paie avec le mal le bien fait par un autre.

Car Raymond Bérenger avait eu quatre filles,

qui toutes ont régné: ce résultat était

l’œuvre de ce Romieu, modeste et sans parents.

Les intrigues, plus tard, de certains envieux

lui firent demander des comptes à ce juste,

qui lui rendit pour dix, sept et cinq à la fois.

Et il partit, bien vieux et sans un sou vaillant;

si le monde savait ce qu’il avait au cœur,

lorsqu’il dut mendier pour un morceau de pain,

quoiqu’on le loue assez, on le louerait plus.»

CHANT VII

«Hosanna sanctus Deus Sabaoth

superillustrans claritate tua

felices ignes horum malacoth[60]

Ainsi, faisant retour aux notes de son chant,

je vis bientôt après chanter cette substance

sur laquelle se joint une double clarté [61].

Avec d’autres esprits, elle reprit sa danse

et comme un grand envol d’étincelles rapides

ils plongèrent au fond des distances soudaines.

Il me restait un doute et je pensais: «Dis-lui!

dis-le-lui! dis-le-lui!» me disais-je, à ma dame

qui sait calmer ma soif avec de douces gouttes.

Cependant, la ferveur qui s’empare de moi

quand j’entends seulement prononcer B ou ice,

me tenait engourdi, comme lorsqu’on s’endort.

Béatrice ne put me voir dans cet état

et elle commença, m’éclairant d’un sourire

qui me rendrait heureux même au milieu du feu:

«Ma perspicacité qui voit tout m’avertit

que tu ne parviens pas à comprendre pourquoi

il convient de punir une juste vengeance [62].

Mais j’aurai vite fait de supprimer tes doutes;

écoute-moi donc bien, parce que mes paroles

t’apporteront le don de vérités profondes.

N’ayant pas accepté de mettre un frein utile

à son vouloir, celui qui fut homme sans naître [63],

damna toute sa race en se damnant lui-même.

Par lui, l’espèce humaine est demeurée infirme,

dans une grande erreur, pendant beaucoup de siècles,

jusqu’au jour où de Dieu le Verbe est descendu

et daigna réunir la nature éloignée

de son premier auteur à sa propre personne,

par la seule vertu de l’amour éternel.

Réfléchis maintenant à ce que je te dis:

cette même nature, unie au créateur

telle qu’il l’avait faite, était bonne et sans tache;

mais par sa propre faute elle se vit ensuite

bannir du Paradis, pour avoir délaissé

la route véridique et son propre chemin.

Ainsi, le châtiment imposé par la croix

fut, en considérant la nature empruntée,

plus juste que nul autre, avant ou bien depuis;

mais on ne fit jamais une plus grande offense,

si l’on pense à Celui qui la dut supporter

et à qui s’ajoutait la nature nouvelle.

C’est pourquoi l’acte unique eut des effets divers:

cette mort plut à Dieu en même temps qu’aux Juifs;

elle ébranla la terre et fit s’ouvrir le ciel.

II ne te sera plus difficile d’admettre

qu’on dise désormais qu’une juste vengeance

fut vengée à son tour par une juste cour.

Mais je vois maintenant ton esprit s’embrouiller

de penser en penser, jusqu’à former un nœud

dont il est désireux de se voir dépêtrer.

Tu te dis: «Je comprends très bien ce que j’entends;

mais j’ignore toujours pourquoi précisément

Dieu choisit ce moyen pour racheter les hommes.»

Frère, ce décret-là demeure enseveli

aux regards de tous ceux qui n’ont pas encor pu

sublimer leur esprit aux flammes de l’amour.

Pourtant, comme ce but a bien souvent été

regardé, soupesé, bien mal interprété,

je te dirai pourquoi ce moyen fut plus digne.

La divine bonté, qui brûle en elle-même

et qui repousse au loin tout penser égoïste,

dispense son éclat aux beautés éternelles.

Ce qui dérive d’elle immédiatement

ne connaît pas de fin: la marque de son coin

demeure inaltérable, une fois mis le sceau.

Ce qui dérive d’elle immédiatement

est libre tout à fait, car il n’est pas soumis

aux vertus des objets nouvellement créés.

Plus l’objet lui ressemble, et plus il doit lui plaire,

car cette sainte ardeur qui rayonne sur tout

a d’autant plus d’éclat qu’elle l’imite mieux.

Or, quant à l’homme, il peut tirer des avantages

de chacun de ces dons [64]; et si l’un seul lui manque,

on le voit aussitôt déchoir de sa noblesse.

Le seul péché lui fait perdre sa liberté

et toute ressemblance avec le Bien suprême,

en sorte qu’il reçoit bien moins de sa clarté;

il ne retrouvera jamais sa dignité,

sans bien remplir d’abord ce que vidaient ses fautes,

payant d’un juste deuil ses coupables plaisirs.

Votre nature humaine ayant dans son ancêtre

péché toute à la fois, fut à la fin privée

de cette dignité comme du paradis;

et si tu réfléchis avec attention,

elle ne les pouvait recouvrer nullement,

si ce n’est en passant par l’un de ces deux gués:

ou bien que Dieu lui-même, usant de bienveillance,

pardonnât, ou que l’homme eût enfin racheté

par ses propres moyens son ancienne folie.

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