Литмир - Электронная Библиотека

qui depuis trop longtemps me tenait affamé,

car je n’en trouve pas le remède sur terre!

Je sais que dans le ciel il est un autre empire

dont forme son miroir la divine Justice;

mais le vôtre non plus ne le voit pas voilé.

Vous savez que l’esprit s’apprête à vous entendre

avec le plus grand soin; et vous savez quel est

ce doute, objet pour moi d’un si durable jeûne.»

Et comme le faucon qui, sortant de sa coiffe,

regarde tout autour et se flatte les ailes

et dresse, impatient, sa tête vers le ciel,

tel je vis se mouvoir cet emblème tissé

par le chœur des chanteurs de la grâce divine,

avec des chants que seuls connaissent les élus.

Ensuite il commença: «Celui dont le compas

fit les confins du monde et répartit en eux

les objets que l’on voit et ceux qu’on ne voit pas,

n’avait pas mis le sceau de sa toute-puissance

dans tout ce qu’il a fait; en sorte que son verbe

demeure infiniment au-dessus du créé.

Comme exemple on peut voir le premier orgueilleux,

lequel, quoique au sommet de la création,

n’attendit pas la grâce et tomba sans mûrir [269].

II est d’autant plus clair que les natures moindres

ne peuvent contenir mieux qu’il l’a fait, ce Dieu

qui, n’ayant pas de fin, se mesure en lui-même.

Donc, votre vision, qui nécessairement

vient de quelque rayon de cette intelligence

qui pénètre et remplit tous les objets du monde,

ne saurait se trouver des forces suffisantes

pour refuser de voir que son propre principe

dépasse de bien loin les bornes du sensible [270].

Et c’est pourquoi la vue accordée aux humains

plonge pour pénétrer la justice éternelle

comme fait le regard qui se perd dans la mer

et qui peut voir le fond, étant sur le rivage,

mais non en haute mer: il n’en est pas moins là,

quoique sa profondeur empêche de le voir.

Il n’est pas de lumière, à part le ciel serein

que rien ne peut troubler; tout le reste est ténèbres

ou l’ombre de la chair ou, sinon, son venin.

Voilà l’obscurité dissipée à présent,

qui t’empêchait de voir la justice vivante

et produisait en toi des doutes si fréquents.

«Un homme, te dis-tu, qui naquit sur les bords

de l’Indus, où le Christ ne lui fut pas prêché,

où l’on n’enseigne pas et n’écrit pas sa loi,

et dont tous les désirs, tous les actes sont justes

autant que le conçoit notre humaine raison,

qui ne pécha jamais en œuvres ou paroles,

meurt sans avoir la foi, sans être baptisé:

où donc est le bon droit qui le peut condamner?

et quelle est son erreur, s’il n’était pas croyant?» [271]

Mais toi, qui donc es-tu, qui veux monter en chaire

et t’ériger en juge, à plus de mille milles,

avec ton jugement qui porte à deux empans?

Évidemment, celui qui voudrait ergoter

contre moi trouverait des raisons de douter,

s’il n’avait à côté l’Écriture qui veille.

Oh! grossiers animaux, esprits par trop obtus!

La Volonté première et bonne par nature

n’a jamais oublié qu’elle est le bien suprême;

et tout ce qui s’accorde avec elle est donc juste,

et aucun bien créé ne peut disposer d’elle:

c’est elle qui le fait, par son rayonnement.»

Comme au-dessus du nid tourne en rond la cigogne,

après avoir donné la pâture aux petits,

et que ceux-ci, repus, la suivent du regard,

tel je levais les yeux et telle s’agitait

cette image sacrée, en battant des deux ailes

que tant de volontés mettaient en mouvement.

Elle traçait des ronds et chantait: «Comme toi,

tu ne peux pénétrer le sens de ma musique,

telle est pour vous, mortels, la justice de Dieu!»

L’incendie éclatant que fait le Saint-Esprit

finit par s’arrêter, formant toujours l’emblème

qui rendit les Romains maîtres de l’univers,

puis il recommença: «Jusqu’à notre royaume

nul n’est jamais monté, s’il ne crut pas en Christ,

soit avant, soit après qu’on l’eut mis sur le bois!»

Nombreux sont cependant ceux qui s’écrient: «Christ!

qui, lors du jugement, s’en trouveront plus loin Christ!»

que d’autres qui, pourtant, n’ont pas connu le Christ;

et l’Éthiopien damnera les chrétiens,

le jour où l’on verra diviser les deux chœurs,

l’un riche à tout jamais et l’autre misérable.

Que pourront dire alors les Perses à vos rois [272],

lorsqu’on leur montrera le grand volume ouvert

où de tous leurs méfaits on tient le compte à jour?

C’est là que l’on verra, parmi les faits d’Albert,

ce fait dernier qui doit venir bientôt s’inscrire

et changer en désert le royaume de Prague [273].

C’est là que l’on verra le deuil que sur la Seine

doit produire, en frappant de la fausse monnaie,

celui pour qui la mort s’habillera de couenne [274].

C’est là que l’on verra l’orgueil dont l’aiguillon

rend dément l’Écossais aussi bien que l’Anglais [275]

et les pousse à sortir de leurs justes limites.

On verra la luxure et le dérèglement

du souverain d’Espagne et du roi de Bohême [276],

qui n’a jamais aimé ni connu la vertu.

On verra le Boiteux, roi de Jérusalem,

noté dans le journal de ses bienfaits d’un I,

tandis qu’il porte un M à la colonne en face [277].

On verra l’avarice avec la vilenie

de celui qui régit l’île brûlante où vinrent

se terminer enfin les errements d’Anchise [278];

et pour mieux faire voir qu’il ne vaut pas beaucoup,

son compte sera fait en sigles abrégés,

donnant beaucoup de texte en un petit espace.

Chacun y trouvera les œuvres repoussantes

et de l’oncle et du frère: ils ont déshonoré

leur illustre maison, avec leurs deux couronnes.

Celui de Portugal et celui de Norvège [279]

24
{"b":"125234","o":1}