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Sans s’être donné le mot, ils se mirent à marcher sur la pointe des pieds, jusqu’au moment où Martigues s’arrêta devant la porte de la cellule où était enfermé le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche.

Un rai de lumière filtrait sous le vantail inférieur. Éclairé par le falot suspendu au centre du corridor, Martigues se retourna vers Gaëtan, lui demandant, d’un coup d’œil expressif, ce que maintenant il fallait faire.

Castel-Rajac, que rien ne semblait embarrasser, frappa lui-même un coup contre la porte.

– Qui va là? fit la voix du gouverneur.

– Service du roi, répondit imperturbablement le lieutenant aux mousquetaires.

M. de Saint-Mars eut un sursaut de surprise. Comme il ne pouvait supposer un seul instant la vérité, d’autant plus qu’à plusieurs reprises il lui était arrivé d’être alerté en pleine nuit par des courriers chargés de venir inspecter la forteresse, M. de Saint-Mars s’en fut aussitôt ouvrir la porte. Un cri lui échappa.

Sous une poussée formidable, il se sentit projeté jusqu’au fond de la pièce.

C’était Castel-Rajac qui avait bondi sur lui et lui disait:

– Monsieur le gouverneur, je vous avertis qu’il est inutile de chercher à vous défendre et d’appeler vos hommes à votre secours. Pas un seul ne vous répondrait. Ils sont tous gris comme des Polonais…

Tandis que Laparède tenait en respect le gouverneur et que d’Assignac, telle une statue vivante, bouchait littéralement la porte de sa haute stature, Castel-Rajac se précipitait vers Henry qui, frémissant sous son masque d’acier, tendait vers lui ses bras, en criant:

– Mon père, mon père!

– Oui, mon fils, c’est moi, fit simplement le héros gascon.

Et il ajouta, avec sa verve habituelle:

– J’espère que je vais pouvoir te débarrasser promptement de ce saladier qui te cache la figure et que je vais pouvoir t’embrasser sur les deux joues. Mais, auparavant, j’ai quelques mots à dire à M. le gouverneur.

– Et moi, monsieur, répliqua M. de Saint-Mars avec dignité, je n’en ai qu’un seul. Je vous prie seulement d’ordonner à votre ami, qui me tient sous la menace de son pistolet, de me remettre immédiatement son arme, afin que je puisse immédiatement me brûler la cervelle.

– Qu’est-ce à dire, monsieur le gouverneur? s’exclama Gaëtan.

– Monsieur, répliqua M. de Saint-Mars, vous venez m’enlever un prisonnier que j’avais juré sur l’honneur de garder toujours devers moi. Je suis gentilhomme, un gentilhomme n’a pas le droit de forfaire au serment qu’il a fait à son roi.

Cette vigoureuse apostrophe parut produire sur l’être chevaleresque entre tous qu’était Castel-Rajac une impression profonde.

– Monsieur le gouverneur, fit-il, je ne vous cacherai pas que le langage que vous venez de me tenir n’est pas sans me troubler. Et croyez que je serais désolé d’avoir votre mort sur la conscience. Mais, moi aussi, j’ai fait un serment, pas au roi, mais presque… oui… le serment de défendre ce jeune homme, victime de la plus effroyable des injustices. Ce serment, je l’ai toujours tenu et j’entends le tenir jusqu’au bout! Mais peut-être existe-t-il un moyen d’arranger les choses? Je vous assure que je ne demanderais pas mieux, mon cher gouverneur.

– Non, c’est impossible!

– Veuillez me suivre jusqu’auprès de cette fenêtre, insista le Gascon, car ce que j’ai à vous dire ne peut être entendu que de nous deux.

M. de Saint-Mars répondit:

– Soit!

Et il s’en fut rejoindre Castel-Rajac qui lui fit à l’oreille:

– Vous connaissez, monsieur le gouverneur, les raisons pour lesquelles le jeune homme a été condamné à la détention perpétuelle et à porter jusqu’à la fin de ses jours ce masque sur son visage.

– Oui, monsieur, répondit sans hésiter M. de Saint-Mars.

– Ne trouvez-vous pas que les gens qui ont ordonné un pareil supplice ont commis une infamie et que ceux qui s’en sont faits les complices se sont rendus coupables d’une lâcheté?

– Monsieur, blêmit le gouverneur.

– Rentrez en vous-même, interrogez votre conscience, elle vous répondra que j’ai raison, et ne me parlez plus de serment que vous avez fait au roi, car cet argument, pour moi, n’est pas valable.

» Le roi, je crois le connaître assez, puisque je suis lieutenant à son régiment de mousquetaires, le roi est incapable d’avoir donné un pareil ordre. C’est son nouveau ministre, ce Colbert qui, pour faire du zèle, a consommé ce véritable crime et bien à tort, monsieur le gouverneur, car si je crois bien connaître le roi Louis XIV, je connais encore mieux son frère, puisque j’ai eu l’honneur et le bonheur d’être son père adoptif et que je l’ai élevé à l’ombre de mon honneur et de ma tendresse.

» Eh bien! questionnez-le vous-même. Demandez-lui s’il a l’intention de conspirer contre Sa Majesté et de profiter d’une ressemblance voulue par un caprice de la nature pour semer le trouble et la discorde dans le royaume, oui, questionnez-le, et vous verrez ce qu’il vous répondra!»

M. de Saint-Mars se taisait. Il était facile de deviner, au trouble de son visage, qu’un violent combat se livrait en lui et que le véritable gentilhomme qu’il était ne pouvait être que bouleversé par les paroles que venait de lui adresser le lieutenant aux mousquetaires.

Désireux d’en finir, Castel-Rajac appelait à haute voix:

– Henry!

L’homme au masque de fer s’approcha.

– Mon fils, reprit le Gascon avec un accent de grandeur incomparable, dis à M. le gouverneur ce que tu comptes faire dès que tu seras libre.

Henry répliqua d’une voix ferme et harmonieuse:

– Pendant les heures déjà si longues de ma captivité, j’ai longuement réfléchi à mon sort futur, au cas où les portes de ma prison viendraient à s’ouvrir. Ayant pénétré la raison pour laquelle j’ai été jeté dans ce cachot, j’ai pris envers moi-même l’engagement, si je retrouvais ma liberté, de m’en aller loin, très loin, et de ne jamais reparaître. Car, sachez-le, monsieur, je n’ai pas d’autre ambition que d’être un bon gentilhomme, et si, hélas! par la volonté du destin, je ne puis l’être dans mon pays, il ne m’est pas impossible de m’y conduire comme tel dans un autre.

» Je vous donne donc ma parole d’honneur de ne jamais rien entreprendre ni contre le roi, que je respecte et que j’aime, mais encore contre tous ceux qui m’ont infligé un supplice auquel je n’ai résisté que parce que j’avais la foi, la certitude que l’homme admirable que vous voyez devant vous viendrait un jour, avec ses deux amis, ses deux frères, ses deux compagnons d’armes, m’arracher à ceux qui m’avaient volé à lui.

– Vous venez de l’entendre, monsieur le gouverneur, reprit Castel-Rajac, tandis qu’Assignac qui, décidément, avait la larme facile, se tamponnait les yeux avec la manche de sa chemise, et que Laparède tortillait nerveusement sa fine moustache.

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