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– Et où est le capitaine?

– Auprès de M. de Durbec, qui est grièvement blessé.

– Quelle aventure! s’écria le brave homme, qui demanda aussitôt:

» Où avez-vous transporté M. de Durbec?

– Dans la chambre d’honneur.

– J’y vais.

Tout essoufflé, bouleversé, suant déjà à grosses gouttes, le vieux soldat s’en fut retrouver Durbec, qui était étendu sur un lit et semblait souffrir cruellement de sa blessure. Le capitaine de Savières se trouvait à côté de lui, ainsi qu’un chirurgien que Sans-Plumet avait été quérir en toute hâte.

Le praticien venait de sonder la plaie et il déclara d’un air quelque peu hésitant:

– J’espère qu’aucune complication ne se produira, mais il faut bien compter trois semaines avant que vous puissiez vous remettre en route.

L’espion du cardinal eut une crispation du visage qui révélait l’impression fâcheuse que lui produisait ce pronostic. Mais Pontlevoy s’avançait en s’écriant:

– Vous me voyez furieux, affolé! Je ne comprends rien, mais rien…

– Eh bien! continuez, coupa Durbec, d’un ton sarcastique.

– Cependant, monsieur, permettez-moi, hasarda le colonel.

Durbec reprit:

– N’ayez aucune crainte quant aux responsabilités que vous avez encourues. Mon intention n’est nullement de rejeter sur vous l’odieux guet-apens qui a été tendu cette nuit à M. le capitaine de Savières et à ses gardes, ni de la tentative d’assassinat dont j’ai été l’objet.

» Soyez donc rassuré, monsieur le gouverneur, et n’ayez point souci de moi. Si Dieu le veut, je saurai bien me tirer d’affaire… et, s’il ne le veut pas, eh bien! il sera fait selon sa volonté.

» Retournez à vos occupations habituelles et puissiez-vous dormir aussi bien la nuit prochaine que vous avez dormi la nuit dernière.»

Le vieil homme allait insister, mais, avec déférence, M. de Savières lui dit:

– Je crois, monsieur, que M. de Durbec a besoin de m’entretenir en particulier. Monsieur le chirurgien, à bientôt, n’est-ce pas?

Le praticien répliqua:

– Demain matin, je viendrai renouveler le pansement.

Précédé de Sans-Plumet et flanqué de Pontlevoy, il descendit dans la cour, où il enfourcha sa maigre haridelle et il s’éloigna, tandis que le gouverneur, rouge, congestionné au point qu’on aurait pu redouter pour lui une apoplexie foudroyante, s’écriait, en tournant autour d’un puits qu’il semblait prendre à témoin de son désarroi:

– Je n’y comprends rien… rien… rien…

Deuxième Partie: L’Épopée De La Haine

CHAPITRE PREMIER UN ORAGE PROVIDENTIEL

Le coup d’épée envoyé par Castel-Rajac à Durbec était magistral, car le blessé dut rester alité plus de trois semaines avant de reprendre une vie normale et obtenir du praticien l’autorisation de se lever.

Mais pendant cette retraite forcée, la rancune qu’il éprouvait pour le chevalier gascon ne fit que croître, alimentée qu’elle était par le dépit qu’il éprouvait à s’être laissé vaincre par cet adversaire. Il se jura qu’il aurait sa revanche, sa vie entière devrait-elle y être consacrée.

Il lui tardait de pouvoir repartir, afin de mettre lui-même le cardinal de Richelieu au courant. Déjà, le baron de Savières avait dû lui raconter ce qui s’était passé au château de Montgiron. Mais Durbec connaissait le capitaine des gardes. C’était un rude soldat, qui ne saurait pas présenter l’histoire de façon que le ministre conçoive pour ses adversaires une de ces haines terribles qui ne désarment pas. Tandis que lui, Durbec, saurait y glisser quelques perfidies propres à exciter la colère du grand cardinal.

Enfin, ce jour tant attendu arriva. Après avoir visité sa blessure une dernière fois, le médecin qui le soignait lui déclara:

– Votre plaie est cicatrisée. Je crois que vous pourrez repartir lorsque vous le désirerez.

Il y avait longtemps que l’espion du cardinal attendait cette nouvelle. Aussi poussa-t-il un profond soupir de joie à cette annonce. Mais lorsque le brave Barbier de Pontlevoy apprit que son pensionnaire forcé allait repartir, il leva les bras au ciel:

– Je vous regretterai! affirma-t-il. Avec qui donc vais-je pouvoir faire ma partie de piquet, désormais?

– Bast! répondit Durbec, qui se moquait bien de la partie de son amphitryon, vous engagerez l’un de vos hommes, ce brave Sans-Plumet, ou bien Passe-Poil, pour vous servir de partenaire!

Le lendemain matin, l’homme du cardinal put enfourcher le cheval que le gouverneur lui prêta. Et après un dernier échange de compliments, le cavalier piqua des deux vers la capitale, un peu étourdi par le grand air, mais complètement guéri.

Sa monture était excellente; néanmoins, il lui semblait qu’elle piétinait. Il labourait les flancs de la pauvre bête, penché sur l’encolure. Toute sa vigueur lui était revenue. Le démon de la vengeance le portait en avant.

Enfin, après quatre jours de marche forcenée, il distingua les murs de la capitale! Il poussa un soupir d’aise: dans deux heures, il serait auprès du cardinal-ministre.

Celui-ci était dans son cabinet de travail lorsque Durbec se fit annoncer. Il leva sa tête, que la maladie et les soucis creusaient, et répondit simplement, en reposant sa plume d’oie:

– Qu’il entre!

Quelques secondes plus tard, le personnage était introduit. Il s’avança d’un pas rapide vers Richelieu, puis, à quelques pas, s’immobilisa dans un profond salut, attendant que son maître veuille bien le questionner.

Celui-ci le considéra un instant, sans grande bienveillance. Il connaissait le Durbec depuis longtemps, et, s’il l’utilisait, ne pouvait guère concevoir de l’estime pour lui.

– Eh bien! monsieur! dit-il enfin, en lui faisant signe d’approcher, quelles nouvelles m’apportez-vous?

– Votre Éminence doit les connaître déjà, répondit Durbec. M. de Savières a dû vous les communiquer…

– Vous devez vouloir parler de l’attaque, du château de Montgiron?

– Oui, Éminence! Suivant vos ordres, la duchesse de Chevreuse et l’enfant…

Richelieu l’interrompit.

– Je sais… je suis au courant… Avouez, monsieur, que vous n’avez pas eu le beau rôle?

Le ton était sarcastique. Durbec blêmit de colère.

– Que votre Éminence daigne nous excuser! Mais ces endiablés…

– Oui, oui… Ce fut là un joli coup de force! Ces hommes sont étonnants…

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