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– Comment cela?

– En me laissant mon fils, Éminence…

Puis, tout haut, il reprit:

– Ne nous attardons pas dans ces parages et évitons de donner à nos adversaires l’occasion d’un retour offensif. Je vais vous accompagner par des chemins détournés que je connais bien, jusqu’au bourg de Saint-Parens, où cantonne, en ce moment, un régiment de cavalerie qui se chargera d’assurer la sécurité de Votre Éminence.

Et retournant vers son cheval qui, sans doute exercé aux bruits de bataille, n’en avait paru nullement effrayé et s’était mis philosophiquement à arracher les pousses d’un jeune chêne, il remonta en selle et servit de guide à Richelieu et à ses soldats.

Après être arrivé sans encombre à Saint-Parens, Castel-Rajac prit congé du ministre. Celui-ci eut un mince sourire.

– Allons, chevalier, je crois que nous finirons par devenir de très bons amis! dit-il.

– Je serai déjà heureux si Votre Éminence veut bien me considérer avec la bienveillance qu’Elle accorde à ses fidèles serviteurs! riposta finement le Gascon en s’inclinant devant le tout-puissant prélat.

Celui-ci accentua son sourire.

– L’avenir ne m’inquiète nullement pour vous chevalier! Vous êtes brave, loyal, chevaleresque, et ce qui ne gâte rien, vous avez de l’esprit. Vous deviendrez maréchal de France!

Ce fut sur cette prophétie pleine d’espérance que le jeune homme se retira.

Mais il n’en avait pas encore fini avec la reconnaissance que son geste avait provoquée. Dans la cour, au moment où il allait remonter à cheval, il vit s’avancer un homme vers lui. À la lueur d’une torche que tenait un soldat, il reconnut le capitaine de Savières.

– Chevalier, fit celui-ci en lui tendant une main large comme l’épaule d’un bœuf, je sais ce que nous vous devons tous, à commencer par Son Éminence Je ne sais pas comment notre cardinal pense s’acquitter. Mais moi, ce que je veux vous dire, c’est que, morbleu! je suis votre ami, et si jamais vous avez besoin de moi, je serai là!

– Capitaine, répondit le Gascon en lui rendant sa poignée de main, je suis fier qu’un homme aussi brave que vous m’appelle son ami, et heureux d’avoir pu vous rendre ce léger service!

Puis, décidément réconcilié définitivement avec ses anciens ennemis, le jeune homme sauta sur son cheval et reprit la route de Pau à fond de train.

Il y arriva au petit matin. Son premier soin fut de ramener sa monture au château. L’officier de service s’y trouvait toujours. En quelques mots, Gaëtan lui narra ce qui s’était passé. L’autre manqua défaillir en pensant à la responsabilité qu’il avait failli encourir en refusant un cheval à cet inconnu. Castel-Rajac vit son trouble.

– Ne craignez rien, monsieur! À l’heure actuelle, Son Éminence est saine et sauve, et le régiment de cavalerie de Saint-Parens, où je l’ai conduite, renforcera son escorte et la conduira jusqu’à Bordeaux!

Il ne tarda pas enfin à regagner l’auberge où il avait laissé le petit Henry. Il trouva celui-ci dormant toujours de son sommeil de chérubin et souriant aux anges. Castel-Rajac le considéra un instant avec attendrissement.

– Ah! oui! murmura-t-il. Je suis déjà payé au centuple de ce que j’ai fait pour le cardinal… Que serais-je devenu, sans cet enfant?

CHAPITRE V DURBEC RÉAPPARAÎT

Les jours qui suivirent s’écoulèrent sans histoire. Castel-Rajac et le bambin avaient regagné leur vieille gentilhommière, où les attendaient le gros d’Assignac et de Laparède.

Durbec semblait avoir disparu. À vrai dire, il attendait le moment propice, mais n’avait point encore abandonné ses projets de vengeance.

Il avait appris le fait d’armes que Castel-Rajac avait accompli en sauvant la vie du cardinal-ministre, et cette nouvelle l’avait rempli d’une sombre fureur. Il comprenait bien que maintenant, plus que jamais, le seul fait de porter la main sur le Gascon déchaînerait des représailles dont lui, Durbec, supporterait les conséquences. Aussi, avec un froid sourire, il s’était dit:

– Attendons!

Durbec n’était pas pressé. Il était sûr d’avoir son heure!

Moins d’un an après ces événements, Richelieu mourut. Et Louis XIII, comme s’il n’avait pu survivre à celui qui avait fait sa grandeur et sa puissance, le suivit dans la tombe à quelques mois de distance.

Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, à peine âgé de cinq ans, fut nommée régente, pendant la minorité du roi. Son premier acte fut de nommer Mazarin premier ministre.

Peu de temps après, Castel-Rajac recevait la visite de Mme de Chevreuse.

Mais, cette fois, ce n’était pas seulement pour consacrer à son ami quelques rares instants de liberté qu’elle s’efforçait de conquérir sur ses obligations, mais pour lui annoncer que, désormais, il n’avait plus rien à craindre de personne au sujet du petit Henry.

– En quoi la mort de Sa Majesté et celle de Son Éminence le cardinal peuvent-elles changer le sort de cet enfant? questionna le Gascon, peut-être faussement naïf. Je suis persuadé que Richelieu, depuis que j’ai eu l’occasion de lui sauver la vie, ne me voulait que du bien…

Mais Mme de Chevreuse n’était pas de celles que l’on prend sans vert.

– Certes, répliqua-t-elle avec vivacité. Mais le père véritable de ce bambin était un favori de Sa Majesté, et pour lui être agréable, le roi n’aurait pas hésité à sévir… Rappelez-vous que le cardinal lui-même le ménageait.

Puis, sans laisser à Gaëtan le temps de s’appesantir sur cette réponse, elle reprit:

– D’ailleurs, je suis heureuse de voir que vous aurez enfin une situation digne de vos mérites…

Castel-Rajac dressa l’oreille.

Marie de Chevreuse ouvrit une cassette, posée près d’elle, en tira un rouleau cacheté et le remit en souriant à son amant.

– Ceci est le brevet de lieutenant aux mousquetaires du Roi, dit-elle.

Un tressaillement de joie et d’orgueil secoua le jeune homme. Servir dans ce corps d’élite avait toujours été son ambition et son rêve.

– Et l’enfant? interrogea-t-il pourtant.

– C’est à mon tour de m’en charger! Mais soyez tranquille, mon cher Gaëtan, vous n’en serez pas longtemps séparé, et vous pourrez le voir chaque fois que vous le désirerez.

» Je vais l’installer dans cette maison de Chevreuse où il est né, et que j’ai fait restaurer entièrement pour lui. Sa mère tient en effet à ce qu’il demeure non loin d’elle. Mais il est bien entendu que pour lui et pour tous, vous resterez son père. Vous avez trop dignement conquis ce titre pour que personne ne songe à vous l’enlever.»

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