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– Il y a longtemps?

– Le jour où vous avez pris la place du cardinal, Monsieur.

– Quoi! Voudriez-vous dire que Son Éminence…

Le visiteur fit un léger signe de tête.

Colbert sembla réfléchir profondément.

– Savez-vous que voilà de graves révélations? dit-il enfin. J’espère que personne n’est au courant de cette naissance clandestine?

– Quelques-uns, Monsieur.

– Vous les connaissez?

– Mme la duchesse de Chevreuse…

– L’amie intime de Sa Majesté… C’est logique. Après?

– Un chevalier gascon, actuellement lieutenant aux mousquetaires, M. de Castel-Rajac, qui n’a pas craint d’endosser la responsabilité de cette affaire en reconnaissant l’enfant.

– Morbleu! C’est galant! Il connaissait le nom des parents?

– Non; il ne les a appris, je crois, que dernièrement.

– Enfin, il sait lui aussi. Après?

– La sage-femme qui a présidé à la naissance de l’enfant. Mais au fait non: je me souviens maintenant qu’elle a toujours ignoré la qualité de l’illustre malade.

– Elle sera à surveiller. Ensuite?

– Il y a encore deux amis du chevalier de Castel-Rajac: MM. d’Assignac et de Laparède qui sont aussi intéressés dans cette aventure.

Colbert, au fur et à mesure, avait pris des notes et crayonné les noms.

– C’est tout, conclut Durbec, satisfait.

Le ministre parcourut rapidement sa liste.

– Somme toute, peu de personnes. Quatre en tout, une incertaine… Sont-elles capables de divulguer ce secret un jour?

– Certainement non, répondit vivement l’interpellé, qui devina l’idée de son vis-à-vis.

– Je vous remercie, monsieur… Je saurai vous prouver ma reconnaissance en temps et lieu pour l’important service que vous venez de rendre à la couronne. Je vais réfléchir à tout ceci…

Il se leva, indiquant par là que l’entretien était terminé. Durbec salua et partit, cette fois triomphant d’une joie démoniaque. Il était sûr que sa dénonciation n’allait pas rester sans effet!

CHAPITRE II LE TEMPS DES PÉRILS

À quelques jours de là, un cavalier, âgé de quarante à quarante-cinq ans environ, à la petite moustache grisonnante, droit en selle et cambré comme un jeune homme, galopait à toute allure sur la route qui conduisait de Paris à Saint-Germain.

Le chevalier de Castel-Rajac dut s’interrompre, car son cheval, fatigué par une course longue et rapide, venait de broncher. D’un énergique rappel de bride, le Gascon l’empêcha de tomber sur les genoux et le força à se redresser. Puis, silencieusement, il continua sa route.

Ce n’était plus avec l’entrain qu’il mettait autrefois que le gentilhomme allait rejoindre sa belle amie. Que s’était-il donc passé? Quelle catastrophe avait bouleversé leur existence jusque-là si paisible?

La veille même, ainsi qu’il le faisait presque journellement, Henry, devenu un charmant jeune homme de vingt-trois ans, à la fière allure et aux traits virils, avait manifesté le désir de monter à cheval.

Excellent écuyer, le fils de la reine Anne d’Autriche parcourait de longues distances, par champs et par bois, trouvant dans cet effort physique un dérivatif aux études plus ou moins austères qu’il poursuivait avec son précepteur.

Ce jour-là, précisément, le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Il ferait bon dans la forêt. Le jeune homme sauta en selle et piqua des deux.

En quelques instants, il fut hors de vue du château de Chevreuse. Le village se trouvait à quelque distance. Il lui tourna carrément le dos, et se dirigea vers la forêt.

Ce fut enfin le couvert, les branches feuillues des grands arbres qui étaient pour lui des amis.

Il mit son cheval au trot, afin de pouvoir mieux jouir de la délicieuse fraîcheur du lieu. Un ramage d’oiseaux se faisait entendre, étourdissant; une mousse épaisse, où les sabots de sa monture enfonçaient profondément, garnissait le sol d’un somptueux tapis naturel.

Tout à coup, sa bête fit un écart. Le jeune prince aperçut alors un homme couché au pied d’un chêne.

Henry avait bon cœur. Il crut le malheureux blessé, et s’approcha.

– Qu’avez-vous, brave homme? questionna-t-il. Êtes-vous souffrant? Puis-je quelque chose pour vous?

– J’ai été attaqué par des bandits, geignit l’inconnu. Ils m’ont frappé…

Ému à l’idée que l’inconnu pouvait souffrir, et désirant lui porter remède, Henry mit pied à terre et s’approcha de l’homme afin de l’examiner.

Mais dès qu’il fut près de lui, le «blessé», se jetant aux jambes du cavalier, les emprisonna, l’empêchant de faire un pas. Au même instant, plusieurs individus sortaient de derrière les troncs d’arbres qui les dissimulaient et se précipitaient sur leur victime avant que celle-ci ait le temps de tirer son épée. Henry se trouva assailli, désarmé par cette bande de furieux.

Alors, deux hommes s’approchèrent. L’un d’eux était un gros homme, à l’aspect rude, mais franc. C’était M. de Saint-Mars, gouverneur de la forteresse de l’île Sainte-Marguerite, qui avait été mandé d’urgence à Paris. Il avait l’air peu satisfait et se tourna vers son compagnon pour lui exprimer son mécontentement.

– Voilà de la vilaine besogne, monsieur, et qui ne me plaît guère! dit-il avec sa franchise d’ancien soldat. Cette attaque ressemble furieusement à un guet-apens. Je n’aime pas cela!

– C’est évidemment regrettable, mais nous n’avions pas le choix des moyens! répliqua le chevalier de Durbec.

Il tenait à la main un engin bizarre. C’était un masque, mais un masque de fer, percé de deux trous pour les yeux, un autre pour le nez, un autre pour la bouche.

Cachant mal sa joie, il s’approcha rapidement du jeune homme toujours immobilisé, et lui appliqua cet engin sur le visage.

Henry eut beau clamer son indignation et sa fureur, le masque était mis et bouclé.

– Vous me rendrez raison de cette violence! s’écria le fils adoptif du chevalier gascon. Pour quel motif me traitez-vous ainsi?

– Monsieur, répondit Durbec avec une politesse exquise qui dissimulait mal son triomphe, nous avons des ordres et les exécutons!

– C’est indigne! Je n’ai commis aucun crime!

– Nous ne pouvons vous donner aucune explication!

Cependant, le masque fermé, les soldats, tout en maintenant toujours énergiquement leur prisonnier, lui permirent de se relever. Ils le dirigèrent vers un carrosse qui attendait dans une allée parallèle, et l’y firent monter.

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