Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Ce serait parfait! s’écria Louis. Où est donc ce bienheureux pavillon?

La nuit était venue, complètement, et noire comme de l’encre.

– Il me semble que nous devons suivre ce chemin, Sire, et aussitôt passé le tournant, nous l’apercevrons, si toutefois le diable ne nous jette pas de la poix dans les yeux.

– Allons!

Ils se remirent en route. Dès le tournant franchi, une masse sombre se profila. Une lueur brillait à travers les vitres d’une fenêtre.

– Tiens! s’écria Sentis, feignant l’étonnement. Je crois que quelqu’un s’est trouvé dans notre cas!

– Espérons que le premier occupant voudra bien nous donner l’hospitalité.

Senlis sauta à bas de son cheval et heurta l’huis du pommeau de son épée.

– Qui est là? dit une voix de femme.

– Le Roi!

La porte s’ouvrit aussitôt, et la figure spirituelle de Marie de Rohan parut.

– Quoi, Madame la duchesse, c’est vous qui aviez choisi ce refuge? s’écria Senlis.

– Je ne suis pas seule, monsieur le comte! Sa Majesté est avec moi…

Anne d’Autriche parut à son tour.

– Madame, dit Senlis en s’inclinant profondément, Sa Majesté s’est égarée dans le bois avec moi, et fuyant l’orage, nous sommes venus jusqu’ici…

– Soyez les bienvenus! dit gracieusement la reine. Nous allions précisément souper. Marie et moi… Voulez-vous partager notre modeste repas?

Le dîner était délicat, la chère abondante et choisie, les vins généreux. Louis XIII, affamé par la longue course fournie, but et mangea avec l’entrain d’un vieux routier. Senlis et Mme de Chevreuse furent étincelants d’esprit. Anne d’Autriche leur donna la réplique. Ce fut un souper fin comme le roi n’en avait pas encore connu. Lui-même se sentait tout autre, dans cette atmosphère légère et pétillante comme le vin qu’on lui servait généreusement. Un grand feu de bois flambait dans la cheminée. Dehors, de larges gouttes de pluie claquaient sur le toit moussu…

Cependant, l’heure s’avançait. Au loin, les grondements de l’orage s’éloignaient. Senlis se leva.

– Sire, dit-il en s’inclinant, permettez-moi maintenant de prendre congé.

– Hé! quoi! Senlis, vous ne restez pas? Vous allez vous perdre, mon pauvre ami!

Un imperceptible sourire erra sur ses lèvres.

– Ma bonne étoile me guidera. Sire! Mais je dois avertir au château que vous avez trouvé refuge ici, avec Sa Majesté, sinon, on s’inquiétera…

Marie de Rohan s’inclina à son tour.

– Que Vos Majestés me donnent le même congé… Je regagne aussi Saint-Germain…

– Madame, dit le roi, je ne peux autoriser ce départ, la nuit, par ce temps exécrable… Attendez le jour ici…

Une lueur espiègle fit briller les yeux de la belle duchesse.

– Que Votre Majesté me pardonne! Mais comme il n’y a céans qu’une seule couche…

Une rougeur soudaine parut sur les joues de Louis XIII tandis qu’un vif embarras se peignait sur son visage. Mais Marie ne lui laissa pas le temps de réfléchir.

– Je suis infiniment reconnaissante à Votre Majesté de sa sollicitude… Mais sous la protection de M. de Senlis, je ne risquerai rien…

– Allez donc, et que Dieu vous garde! soupira le roi, peut-être moins fâché qu’il voulait le laisser paraître de ce tête-à-tête forcé.

La duchesse et le comte de Senlis remontèrent à cheval. Puis la porte du pavillon se referma sur le couple royal…

Les deux cavaliers piquèrent des deux malgré l’obscurité. Ce fut sans une hésitation que le gentilhomme s’orienta et se dirigea vers le château où la Cour avait élu domicile.

Lorsqu’ils furent en vue de la splendide terrasse qui domine toute la vallée de la Seine, ils ralentirent le train. La duchesse de Chevreuse se tourna vers son compagnon.

– Monsieur de Senlis, dit-elle, vous avez accompli votre rôle à la perfection. La reconnaissance de la reine et la mienne vous sont acquises…

– Ah! Madame! fit-il en se rapprochant de la jeune femme, serez-vous cette nuit plus cruelle que Sa Majesté pour notre Roi?

Marie éclata de rire.

– Doucement, monsieur le comte! La question de la postérité royale n’est pas en jeu entre nous, que je sache! Nous en reparlerons…

Mais l’ordre du cardinal-ministre parvint à la duchesse de Chevreuse avant qu’elle ait eu le temps d’entamer un autre entretien à ce sujet avec son galant complice. Elle dut regagner ses terres, maudissant une fois de plus l’omnipotence de Richelieu.

Neuf mois plus tard, le héraut royal annonçait la naissance d’un enfant du sexe masculin du nom de Louis, et surnommé «Dieudonné» tant l’impatience et le désir de sa venue furent grands.

Depuis quelque temps déjà, M. de Senlis avait obtenu un brevet de colonel dans la garde royale, à l’instigation de la reine Anne d’Autriche…

CHAPITRE II MARIE DE ROHAN PART POUR UN AGRÉABLE EXIL

Par un beau matin tout poudré de poussière d’or, un de ces matins parisiens où l’automne s’alanguit sur les berges de la Seine, le carrosse de la duchesse de Chevreuse quitta une nouvelle fois la capitale pour l’exil.

À vrai dire, la jeune femme n’était pas trop inquiète, elle savait bien que sa disgrâce ne serait pas éternelle, car sa royale amie emploierait toute son influence pour la faire revenir plus tôt.

L’escorte de la noble dame galopait autour d’elle, sans s’apercevoir que derrière, à une distance respectueuse, un cavalier, emmitouflé dans un manteau gris, suivait la même route. D’ailleurs, le chemin du Roi était à tout le monde, et ce voyageur ne pouvait leur inspirer aucun soupçon.

Apprenant le départ de Mme de Chevreuse, Durbec s’était dit qu’il n’aurait jamais meilleure occasion de retrouver la piste de Castel-Rajac et celle de l’enfant.

Sa haine couvait encore n’attendant qu’un hasard favorable pour s’assouvir. Il n’avait pas oublié le coup d’épée du chevalier.

Le voyage fut sans histoire. Trottant le jour, s’arrêtant la nuit, l’équipage de la duchesse, par étapes successives, ne tarda pas à gagner le village de Saint-Marcelin. On fit halte au Faisan d’Or.

Bien entendu, quelques instants après, Durbec, le plus discrètement possible, demandait à son tour une chambre.

Mais, à l’étonnement du chevalier, le lendemain, il n’y eut point d’ordre de départ.

– Ho! ho! grommela Durbec. Est-ce que par hasard, ma bonne étoile me favoriserait plus tôt que je ne le pense, et verrais-je arriver notre cher Gascon?

22
{"b":"125222","o":1}