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CHAPITRE V LA RUSE ETLA FORCE

En quelques enjambées rapides, Castel-Rajac avait rejoint le comte de Laparède qui l’attendait sur la route.

Laconiquement, il lui dit:

– Notre homme est là, sous la garde de notre ami d’Assignac. Nous ne lui avons rien dit encore, mais il a l’air d’un brave garçon, et je crois que nous allons pouvoir nous entendre avec lui.

Prenant son compagnon par le bras, il s’en fut avec lui dans la direction de La Napoule. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à l’entrée du village et pénétrèrent par une petite porte donnant sur une cour obscure et déserte dans une salle basse, enfumée, où une vingtaine d’hommes, qui portaient tous l’uniforme des mousquetaires, étaient rassemblés.

À la vue de Castel-Rajac, tous se levèrent, saluant le lieutenant, qui leur répondit avec bienveillance, tout en glissant à l’oreille de Laparède:

– On dirait qu’ils sont vrais.

– Le fait est, murmura Laparède, que ces braves gens portent aussi bien l’uniforme que s’ils étaient des authentiques mousquetaires.

Castel-Rajac, guidé par Laparède, traversa la salle et s’arrêta devant une petite porte que poussa son ami. Il se trouva alors dans une sorte de réduit, occupé par d’Assignac et un second personnage qui n’était autre que Jean Martigues. Celui-ci semblait très troublé et même très effrayé.

Lorsqu’il aperçut M. de Castel-Rajac, il devint plus pâle encore et dirigea vers ce dernier un regard qui semblait implorer pitié.

– Rassurez-vous, mon ami, s’empressa de déclarer le Gascon, personne ici ne vous veut du mal, au contraire. Si mon ami d’Assignac ne vous a rien dit encore, c’est parce qu’il a préféré me laisser le soin de vous parler.

Et, tout en s’asseyant familièrement sur un escabeau en face de l’ancien pêcheur, il lui dit:

– Ce n’est pas une raison, parce que, pour vous amener ici, mes amis ont usé envers vous d’un procédé un peu brutal, pour que vous vous figuriez que nous souhaitons votre mort. Nous sommes ici pour assurer votre fortune.

– Vous plaisantez, monsieur, articula péniblement Martigues.

Le lieutenant aux mousquetaires fronça les sourcils:

– Sachez, fit-il d’un ton sévère, que je ne plaisante qu’avec les gens de ma qualité et que je le fais toujours avec esprit.

– Excusez-moi, monsieur, supplia le valet de l’homme au masque de fer. Je suis tellement ahuri par ce qui m’arrive… Pensez donc que, tout à l’heure, profitant d’une permission de la nuit que m’avait donnée M. le gouverneur de l’île Sainte-Marguerite, j’étais venu à terre pour…

– Embrasser votre bonne amie…

– Oui, oui… bégaya le pêcheur, pour… pour… c’est cela, monsieur, pour embrasser ma bonne amie, lorsque, tout à coup, dix hommes, que je n’avais point vus, parce qu’ils se cachaient derrière les rochers, se sont précipités sur moi, au moment où je sautais de ma barque, et m’ont amené ici en me menaçant si je poussais seulement un cri, de me faire jaillir les tripes hors du corps. J’en ai encore la chair de poule.

– Vous n’êtes donc pas brave?

Naïvement, Martigues répliqua:

– Oh! si, monsieur je suis toujours très brave, quand je sens que je suis le plus fort! Mais que pouvais-je faire contre dix hommes aussi déterminés et armés de pistolets, d’épées, tandis que, moi, je n’avais que mes poings pour me défendre?

» Ah! miséricorde, j’ai bien cru que ma dernière heure était venue.

– Vous avez eu tort, coupa Castel-Rajac, qui mesurait son interlocuteur d’un regard qui signifiait clairement: «Toi, tu ne vas pas peser lourdement entre mes mains.»

Et, tout haut, il reprit:

– Maintenant, mon gaillard, à nous deux. J’ai l’habitude d’aller droit au but et de ne pas m’attarder inutilement en détours où l’on risque presque toujours de s’égarer. Voulez-vous gagner cinquante mille livres?

– Cinquante mille livres! répétait Martigues, en roulant des yeux effarés.

Le fond de sa nature honnête et naïve reprenant immédiatement le dessus, il s’écria:

– Quel crime allez-vous me demander de commettre contre une pareille somme?

Avec un calme beaucoup plus impressionnant que la menace et la colère, Castel-Rajac se leva et, approchant son visage de celui du pêcheur, il lui dit:

– Regarde-moi bien en face et dis-moi, après ça, si j’ai l’air d’un bandit.

– Non, répliqua Martigues, vous avez l’air d’un honnête gentilhomme.

– Tu as raison de me juger ainsi, car je suis tel.

M. d’Assignac qui, avec M. de Laparède, avait assisté à cette scène, se leva à son tour et déclara de sa basse voix chantante:

– Et moi, qui le connais depuis toujours, je puis affirmer qu’il est l’officier le plus loyal de France.

Le pêcheur, qui n’avait pas besoin de ce témoignage pour accorder toute sa confiance au lieutenant de mousquetaires, reprenait:

– Alors, monsieur, si c’est une bonne action que vous me proposez, gardez votre argent pour vous, car, quand on fait le bien, on n’a pas besoin de récompense.

– Voilà une réponse qui me plaît, s’écria Gaëtan. Néanmoins, je maintiens mes offres, car, si tu veux bien nous aider à sauver un innocent, à délivrer un malheureux, j’entends que tu n’aies pas à supporter les conséquences d’une bonne action, qui, je ne te le cache pas, pourrait te coûter fort cher. Je veux te donner le moyen d’échapper à ceux qui seraient tentés de te chercher noise et de trouver un abri tranquille et sûr où tu pourras filer le parfait amour avec ta bonne amie.

– Ah! monsieur, je crois deviner, fit le pêcheur. Vous me demandez, n’est-ce pas, que je vous aide à faire évader l’homme au masque de fer?

– Tiens, tiens, s’écria gaiement le Gascon, tu es plus malin que je ne le pensais. Eh bien! oui, c’est cela! Sommes-nous d’accord?

– Monsieur, reprit Martigues avec un accent plein de franchise, je ne demanderais pas mieux que de vous aider en cette entreprise, car ce prisonnier, que je suis chargé de servir, m’inspire une profonde pitié, et, chaque fois que je le vois avec ce masque sur la figure, l’envie me prend de le lui arracher; mais il paraît que c’est impossible et que seul M. de Saint-Mars, le gouverneur, connaît le mécanisme secret qu’il faudrait faire fonctionner pour cela. Et puis, je ne suis qu’un pauvre hère!

» Ah! tenez, il faut que je vous le dise, puisque vous vous intéressez tant à ce malheureux. Depuis un an qu’il est prisonnier à l’île Sainte-Marguerite, il n’avait pas encore desserré les lèvres; et puis, aujourd’hui seulement, il s’est décidé à me dire quelques mots! Rien qu’au son de sa voix, j’ai compris qu’il était jeune et qu’il devait être aussi bon que brave. Ah! oui, il m’a parlé; il m’a même appelé son ami!… Inutile de vous en dire davantage, tout ce que je pourrais faire pour lui, pour vous, je le ferais! Mais, malheureusement, je le répète, mon aide ne peut pas vous être très efficace et je crains bien que vous ayez eu tort de compter sur moi.

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