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– Cet intendant, intervint Gaëtan, m’a tout l’air de dépasser les limites. Mordious, est-il donc si puissant pour arriver à ses fins?

– Hélas! oui, déclara Mme de Chevreuse. Son maître est l’un des plus intimes amis du cardinal et celui-ci n’a rien à lui refuser. Je ne serais donc nullement surprise que Richelieu eût mis à sa disposition toutes les forces de sa police.

– Certainement, appuya Mazarin. Voilà pourquoi je me suis empressé de courir à francs étriers jusqu’à vous, afin de vous prévenir que vous eussiez à vous tenir sur vos gardes.

– Qu’ils y viennent! clama le jeune Gascon.

– Soyez tranquille, appuya Mazarin, ils y viendront.

– Eh bien, foi de gentilhomme, je vous garantis qu’ils ne nous prendront pas le petit.

– Ils auront la force et le nombre, objecta l’Italien.

– Mais nous serons la ruse, répliqua le Gascon.

– À la bonne heure, approuva Mazarin. Il me plaît de vous entendre parler ainsi.

– Auriez-vous déjà trouvé un expédient? interrogea Marie de Rohan.

– Oh! bien mieux qu’un expédient… déclara Gaëtan. Et je crois que si les argousins de l’intendant viennent ici tenter l’aventure, ils s’en retourneront fortement déçus; car je leur ménage une de ces petites farces, comme on sait en préparer dans ce pays.

– Quoi donc? interrogea la duchesse.

Castel-Rajac s’en fut à pas de loup vers la porte. Brusquement, il l’ouvrit et il aperçut la silhouette de Mme Lopion qui fuyait dans l’ombre du couloir.

– L’aubergiste nous écoutait, fit-il. Je n’étais point sans m’en douter et j’ai bien fait de m’en assurer avant de continuer.

» Mais, ainsi que le dit le proverbe, un homme averti en vaut deux… et, comme j’ai tout lieu de penser qu’ici les murs ont des oreilles, permettez-moi maintenant de vous parler tout bas. Je crois que c’est encore le moyen pour qu’aucune indiscrétion ne soit commise.»

Mme de Chevreuse et Mazarin se rapprochèrent du chevalier qui leur murmura son projet. Celui-ci parut les satisfaire, car, à mesure que Gaëtan s’exprimait, leur visage prenait à tous deux une expression joyeuse.

Quand il eut terminé, la duchesse fit:

– Je trouve votre idée excellente. Qu’en pensez-vous, mon cher comte?

– Je l’approuve entièrement et je suis convaincu qu’il était impossible de jouer un meilleur tour à ces gens et de se tirer avec une désinvolture plus élégante d’une histoire qui risquait d’avoir les plus redoutables conséquences.

Enchanté de l’accueil chaleureux que son projet venait de rencontrer, Castel-Rajac s’écria:

– En vertu de ce principe qu’il faut battre le fer quand il est chaud je veux vous demander la permission d’aller me livrer aux préparatifs que réclame l’exécution du plan que je viens de vous dévoiler.

– Allez, mon ami, s’écria la belle Marie. Laissez-moi vous dire auparavant que jamais je n’oublierai…

– Ne me remerciez pas, je vous en prie, interrompit le jeune Gascon qui semblait radieux de jouer un rôle aussi important dans cette équipée dont il ignorait totalement le véritable secret.

Et il ajouta, en adressant un petit salut à sa maîtresse:

– Croyez, chère madame, que, quoi qu’il arrive, c’est toujours moi qui serai votre humble et reconnaissant serviteur!

Et, après avoir touché la main que Mazarin lui tendait, il s’en fut, tout transporté de l’allégresse chevaleresque qui était en lui.

– Il est admirable, n’est-ce pas? s’écria Mme de Chevreuse.

– Admirabilissime, surenchérit l’Italien. J’ai rarement rencontré sur ma route un gentilhomme doué de qualités aussi brillantes et aussi solides à la fois. Il a l’étoffé d’un chef.

Un peu rêveuse, la duchesse dit en souriant:

– Il sera peut-être un jour maréchal de France.

– Qui sait? fit en écho le futur ministre de Louis XIV.

CHAPITRE V UNE GASCONNADE

Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac avait quitté l’hôtel du Faisan d’Or et s’était dirigé vers le presbytère.

C’était une petite maison qui se dressait à l’entrée du pays, au milieu d’un grand jardin, aux allées bordées de buis, où s’épanouissaient, çà et là, dans un désordre pittoresque, de belles fleurs qui embaumaient les airs de leur parfum et parmi lesquelles bourdonnaient joyeusement les abeilles.

Après avoir poussé la petite barrière, Gaëtan longea l’allée principale, contourna la maison et s’en fut sur une petite terrasse ombragée de tilleuls d’où l’on découvrait un panorama magnifique sur la vallée de la Garonne.

Un vieux prêtre à cheveux blancs, un peu cassé par l’âge, le nez chevauché par une énorme paire de besicles, était en train d’émietter du pain, qu’il jetait aux moineaux. L’arrivée du chevalier fit envoler les gentils oiseaux et provoqua un mouvement d’humeur du vénérable prêtre qui se traduisit par ces mots:

– Ah ça! qu’est-ce qui vient me déranger et faire peur ainsi à mes petits amis?

– Excusez-moi, monsieur le curé, lança Castel-Rajac. Mais rassurez-vous, vos petits amis ne tarderont pas à revenir.

– Je ne me trompe pas, c’est bien toi, mon cher Gaëtan, s’exclama le prêtre.

Et, d’un ton un peu chagrin, il ajouta:

– Décidément, ma vue baisse de plus en plus, mon pauvre enfant; je ne t’aurais pas reconnu; j’ai bien peur que, d’ici peu, je ne devienne complètement aveugle.

Et, avec un accent de résignation il ajouta:

– Si le bon Dieu le veut, qu’il en soit ainsi. Mais ne nous attardons pas à ces pénibles pensées.

Après avoir serré affectueusement la main de son ancien élève, l’abbé Murat reprit:

– Je te croyais parti pour un long voyage.

– Mais oui, monsieur le curé. Malheureusement, il m’est arrivé en route un accident plutôt fâcheux.

– Aurais-tu été détroussé par des voleurs?

– Non point, monsieur le curé.

– Alors?

– J’ai commis un gros péché.

– Lequel? grand Dieu! s’effarait l’abbé Murat.

– Je suis papa!

– Seigneur, s’exclamait le vieux prêtre, en joignant les mains. Que me dis-tu là? Père, tu es père… en dehors des saintes lois de l’Église!

– Oui, monsieur le curé.

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