Mais comme un rappel de l’homme rouge qui, de son aire, les surveillait encore, Durbec, derrière l’escorte, les suivait comme leur ombre, guidé par l’intérêt qui le liait au service du cardinal et par sa haine personnelle.
Bientôt, le paysage changea. Après la plaine de Gascogne, apparurent les premiers contreforts des montagnes pyrénéennes.
D’un geste, Castel-Rajac les montra à Marie.
– Voyez! s’écria-t-il. C’est au milieu de cette nature sauvage que notre filleul est élevé. L’air des montagnes lui fera des muscles forts et un cœur intrépide…
Marie sourit.
– Dites aussi votre éducation et votre exemple, ami! Je ne doute pas que notre cher Henry ne soit aussi un jour un gentilhomme accompli.
Lorsqu’ils arrivèrent à Bidarray, la jeune femme put se convaincre que le cadre était en effet idéal.
C’était un tout petit village, dominé par une vieille gentilhommière qui appartenait à une tante d’Hector d’Assignac, laquelle avait eu le bon esprit de mourir afin de laisser son manoir à son neveu.
Il était perché à l’avant d’un rocher faisant éperon, et dominant toute une verdoyante vallée, au fond de laquelle mugissait un torrent. Les maisons des paysans s’accrochaient au petit bonheur à la pierre, et les champs dégringolaient de terrasse en terrasse coupés çà et là de boqueteaux. Des troupeaux de chèvres faisaient tinter leurs clochettes; par instant, l’aboi bref du chien qui les gardait se répercutait au loin dans le vallon. Le soleil peignait d’or les flancs de la montagne, et irradiait les vitres du vieux castel. En face, l’autre versant se teignait de pourpre et de violet comme une robe cardinalice. Très haut, dans le ciel, tournoyait un oiseau de proie… Et l’air était si pur, le ciel était si bleu, que Marie, suffoquée de plaisir, comprit maintenant pourquoi le jeune homme lui avait dit: «Vous oublierez Paris…»
Immobile, les narines frémissantes, la duchesse regardait ce prestigieux spectacle, ne pouvant s’en arracher. Il fallut que Gaëtan, doucement, lui murmure:
– Marie… Ne voulez-vous point voir le petit?
La jeune femme tressaillit. Puis, s’arrachant à cette vision magique, elle se détourna.
– Vous avez raison, mon ami. Menez-moi vers lui!
Elle ne remonta point dans son carrosse, qu’elle avait quitté pour mieux contempler le splendide paysage. Elle voulut aller à pied jusqu’au château, dont la grande porte était ouverte à deux battants sur la cour intérieure.
– Prenez mon bras, ma chère Marie! murmura Castel-Rajac.
Soutenant la jeune femme, dont les pieds délicats s’accommodaient mal des rudes galets des Pyrénées, ils arrivèrent au pont-levis et entrèrent dans la grande cour.
Des poules, des oies, picoraient, jusqu’entre les pattes d’un gros chien noir et feu, qui les laissait faire. Un homme s’avança à leur rencontre, et salua Marie jusqu’à terre. C’était Henri de Laparède.
– Où donc est monsieur d’Assignac? interrogea gracieusement la duchesse.
Laparède eut un sourire.
– Par ma foi, madame, venez donc avec moi, si cela vous plaît; je vous le montrerai…
Ils s’approchèrent du grand perron et le gravirent.
– Serait-il malade? questionna Mme de Chevreuse, avec sollicitude, inquiète de ne pas avoir vu leur hôte.
– C’est, en tout cas, une maladie sans gravité, répondit Laparède.
Castel-Rajac devait savoir à quoi s’en tenir, car il souriait silencieusement.
Laparède ouvrit une porte.
Une nourrice était assise près d’un berceau. Dans celui-ci, un ravissant bébé riait aux anges. Et devant, le gros d’Assignac faisait mille pitreries pour distraire le fils adoptif de son ami…
CHAPITRE III UN ENVOYÉ DU CARDINAL
Une fois Durbec fixé sur le gîte où s’étaient réfugiés le gentilhomme gascon et son fils adoptif, il fit demi-tour, n’ayant plus rien à faire dans les Pyrénées.
Tout en ruminant ses projets de vengeance, il brûlait les étapes et avalait les lieues, n’accordant à son cheval et à lui-même que le temps strictement indispensable au repos.
Un fer perdu par son cheval, et une légère boiterie qui en résulta le retarda un peu. Enfin, un beau matin, il franchit la barrière d’Enfer, et se trouva dans la capitale.
Onze heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois, lorsqu’il demanda à être introduit auprès du premier ministre.
Hélas! cette entrevue, comme les deux précédentes, ne devait lui réserver que des désillusions. Richelieu accueillit avec une satisfaction évidente les renseignements qu’il lui communiqua, mais ne manifesta en aucune façon l’intention de s’approprier l’enfant de la reine ou même d’intervenir d’une façon quelconque dans les affaires du Gascon.
Durbec, dépité, insinua quelques perfidies contre Castel-Rajac, tentant un ultime effort pour dresser contre lui la colère du prélat. Mais ce fut en vain. Bien au contraire, le ministre fronça les sourcils et le congédia sèchement.
Le chevalier sortit, en proie à une colère qui, pour être cachée, n’en était pas moins violente, et jura de se venger. Il n’avait que trop tardé à agir par lui-même.
Richelieu connaissait trop les hommes et le secret des âmes pour que la haine de celui qu’il employait lui échappât.
Dès que la porte se fut refermée sur son espion, le cardinal se plongea dans une profonde méditation.
Enfin, au bout d’un moment, il allongea sa main vers un cordon de sonnette. Un officier parut.
– Prévenez M. de Navailles que j’ai à lui parler immédiatement! ordonna-t-il.
Quelques instants plus tard, le marquis de Navailles faisait son entrée.
C’était un des fidèles de Richelieu. Mais en même temps, c’était un des plus loyaux gentilshommes du royaume de France.
Il s’inclina profondément devant le cardinal et attendit ses ordres.
– Monsieur de Navailles, dit Richelieu, je connais vos mérites, et je veux aujourd’hui vous donner une preuve de confiance en vous chargeant d’une mission délicate entre toutes.
Navailles, un grand et fier gaillard, aux moustaches conquérantes et aux yeux gris d’acier, répliqua:
– Votre Éminence peut croire que je lui en suis profondément reconnaissant, et que je m’efforcerai d’accomplir de mon mieux ce qu’Elle daignera m’ordonner de faire…
– Avant, reprit Richelieu, qui se caressait le menton dans un geste machinal, je dois vous donner quelques mots d’explication préliminaire…
«Il existe dans les Pyrénées un petit village, du nom de Bidarray. C’est là que vous allez vous rendre…»