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– Le comte?

– Oui, le comte, est venu m’annoncer qu’il avait soupé avec vous dans une hostellerie de Dampierre, tout de suite j’ai pensé que vous m’étiez envoyé par la Providence.

– Madame, déclarait Gaëtan, je ne demande pas mieux de faire pour ce petit tout ce qu’il dépendra de moi, puisque c’est vous qui me le demandez… Mais je ne puis, pourtant, être sa nourrice!

Tout en lui donnant une tape amicale sur la main, la duchesse, de plus en plus amusée, reprenait:

– Je ne vous le demande pas non plus! Je désirerais plutôt que vous soyez son grand frère, et que, l’élevant à votre image, vous en fassiez, non pas un freluquet de Cour, mais un fier et beau gentilhomme, et que vous soyez toujours prêt à le défendre au cas où il serait menacé.

– Madame, dit Castel-Rajac, gravement, cette fois, la mission que vous me faites l’honneur de me confier est trop noble pour que je ne l’accepte pas sur-le-champ. Je me charge de l’enfant! Je m’engage à tout mettre en œuvre pour qu’il soit un jour ce que vous désirez. Mais, par exemple, je me demande où et comment je vais l’emporter?

– Écoutez-moi, demanda Mme de Chevreuse, devenue, elle aussi, très sérieuse. Dès que l’enfant sera venu au monde, nous partirons immédiatement pour votre pays.

– Nous partirons! s’exclama le chevalier, en tressaillant d’allégresse.

– Oui, précisa la belle Marie. L’enfant, la femme qui doit lui donner le sein pendant le voyage, vous et moi.

– Dieu soit loué! s’exclama le Gascon avec enthousiasme.

– Vous le remercierez encore bien davantage, insinua Mme de Chevreuse, lorsque je vous aurai dit que mon séjour dans votre pays est appelé à se prolonger assez longtemps pour que nous ayons l’occasion de nous rencontrer très souvent.

– Tous les jours, je l’espère…, déclara galamment Castel-Rajac.

Mme de Chevreuse, se redressant, dit d’un ton presque solennel qui contrastait avec ses précédentes allures si gentiment familières:

– Maintenant, chevalier, je me vois dans l’obligation d’exiger de vous un serment, celui de ne chercher jamais à savoir quel est l’enfant que je vous confie et pour lequel on vous fera parvenir chaque année une somme destinée à son entretien.

– Madame, répliqua Castel-Rajac, l’enfant, je l’accepte, mais, la somme, je la refuse. Moi, je ne fais pas les choses à moitié. Nous ne sommes pas riches, là-bas, mais on y vit bien et à peu de frais. Et puis, croyez-moi, si vous voulez qu’un jour cet enfant me ressemble, il ne faut pas qu’il soit élevé dans un luxe qui engendre fatalement la mollesse; il faut, au contraire, qu’il soit trempé, comme nous le sommes tous, dans ce bain de soleil qui nous rend beaucoup plus riches en sang, en bravoure, en audace et en gaieté, que tous les louis d’or que pourrait contenir une galère royale.

– Je suis heureuse de vous entendre parler ainsi, s’écria Marie de Rohan.

– Je vous ai dit ce que je pensais.

– Décidément, nous sommes faits pour nous entendre.

Et, tout en enveloppant le jeune Gascon d’un regard plein d’amoureuse admiration, elle lui dit:

– Lorsque j’aurai appris à mon amie à qui je confie son enfant, ce sera pour elle un grand réconfort de le savoir entre vos mains.

– Ah! madame, vous pourrez lui dire d’être bien tranquille et que je serai trop heureux, lorsqu’elle viendra l’embrasser, de lui prouver que je sais tenir une parole.

– Hélas! mon ami, reprit Mme de Chevreuse, mon amie n’aura même pas cette consolation.

– Pourquoi?

– Parce que… Mais, je vous en prie, ne m’interrogez pas, car je ne puis pas vous en dire davantage…

– Oui, c’est vrai…

Le regard comme illuminé par une flamme, Castel-Rajac, le front haut, s’écria:

– Chez nous, madame, quand on fait un serment, c’est toujours l’épée nue à la main.

Et, tirant sa rapière de son fourreau, il l’étendit en disant:

– Je jure de respecter le secret de cette mère, comme je jure d’être un frère pour son enfant.

Et, d’un geste large, il replaça sa lame dans le fourreau.

Alors, n’écoutant plus que son cœur qui, maintenant, ne battait plus que pour son beau chevalier, la duchesse de Chevreuse se jeta dans ses bras et tous deux échangèrent un long et ardent baiser.

CHAPITRE IV À L’HOSTELLERIE DU «FAISAN D’OR»

Huit jours après ces événements, un carrosse couvert de poussière tiré par des chevaux ruisselant de sueur, s’arrêtait devant l’hostellerie du Faisan d’Or, gloire du village de Saint-Marcelin.

À l’une des portières se tenait le chevalier Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac. Sautant prestement de son cheval, il écarta l’un des rideaux du carrosse et aida la duchesse de Chevreuse à mettre pied à terre.

– Attendez là, dit-elle à une femme qui, restée assise dans le véhicule, portait sur ses genoux, enveloppé dans ses langes, un enfant de quelques jours.

Après avoir confié son cheval à un garçon d’écurie, le chevalier de Castel-Rajac et la duchesse entrèrent dans la cour de l’hostellerie, et Gaëtan qui n’avait jamais été d’aussi belle humeur fit une révérence comique à une servante qui balayait le sol, lui disant:

– Pourrais-je parler à la maîtresse de céans?

La fille, éclatant de rire, déclara:

– Monsieur le chevalier est toujours farceur…

Et, clignant de l’œil vers la duchesse, elle ajouta:

– Surtout quand il est avec de belles dames.

Déjà Mme Lopion, la propriétaire du Faisan d’Or, qui avait reconnu la voix sonore du chevalier, s’avançait vers le seuil et lui disait:

– Vous voilà déjà revenu? Votre voyage n’a pas été bien long.

Et reconnaissant la voyageuse inconnue qui avait séjourné une nuit dans son hôtel, elle fit, d’un air malicieux:

– Ah! je comprends!

Gaëtan ne lui laissa pas le temps de développer sa pensée et, tout de suite, il la coupa:

– Je voudrais votre plus belle chambre pour Madame, et une autre…

– Pour vous?

– Non, madame, pour une nourrice et son nourrisson!

– Tiens…, tiens, souligna la patronne avec un petit sourire polisson.

Au regard sévère que lui lança Castel-Rajac, elle jugea plus prudent de se mordre légèrement la langue, ainsi qu’elle le faisait chaque fois que celle-ci la démangeait par trop.

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