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Ayant ainsi mis un frein à sa faconde, Mme Lopion reprit:

– J’ai ce que vous demandez, monsieur le chevalier.

Castel-Rajac retourna près du carrosse, en fit descendre la nourrice, qui portait avec précaution l’enfant mystérieux, et l’amena jusqu’à la porte de l’hostellerie.

Mme Lopion conduisit elle-même la duchesse jusqu’à la chambre qu’elle lui destinait et qui communiquait directement avec celle qui avait été dévolue à la nourrice.

L’enfant fit entendre un léger cri. La duchesse se mit à le bercer avec autant de douceur que s’il eût été son enfant. Mme Lopion s’était approchée et regardait le nourrisson qui, déjà calmé, s’était rendormi.

– C’est un garçon? demanda-t-elle.

– Oui, répondit Marie de Rohan.

En glissant un coup d’œil malicieux dans la direction de Gaëtan, Mme Lopion ne put s’empêcher d’ajouter:

– Il ressemble déjà à son papa…

Le jeune Gascon allait protester…, mais, d’un signe rapide, Mme de Chevreuse le retint. Il lui convenait fort que Castel-Rajac endossât la paternité du rejeton d’Anne d’Autriche et de Mazarin, quitte à passer elle-même pour la maman…

Mais, pour se débarrasser de la présence de l’hôtelière, qu’elle commençait à trouver quelque peu encombrante, la duchesse reprit:

– Je meurs de faim. Aussi, je vous prie de bien vouloir donner les ordres nécessaires pour que l’on me prépare un repas que vous aurez l’obligeance de me faire servir dans cette chambre.

Mme Lopion, qui, décidément, ignorait l’art de la plus élémentaire discrétion, demanda:

– Faudra-t-il mettre aussi un couvert pour M. le chevalier?

– Certainement! répliqua Marie de Rohan, qui commençait à manifester une certaine nervosité.

– Allez, madame Lopion, allez…, ordonna Castel-Rajac.

Tandis que la tenancière s’éclipsait, la duchesse rendit l’enfant à sa nourrice qui l’emporta dans sa chambre.

Mme de Chevreuse dit alors à Gaëtan:

– Maintenant, ami, je puis bien vous le dire: depuis huit jours et huit nuits que nous avons quitté Chevreuse, voilà la première fois que je respire librement.

– Est-ce possible? s’étonna le jeune Gascon. Sur l’honneur, je ne me suis pas aperçu un seul instant que vous fussiez inquiète…

– C’est parce qu’en même temps, murmura la duchesse, j’étais une femme divinement heureuse.

– Pour cette parole, laissez-moi vous prendre un baiser…

– Dix, si vous le voulez!

Longuement, ils s’étreignirent. Puis, se ressaisissant la première, Marie reprit:

– Écoutez, mon ami, nous avons à parler sérieusement, très sérieusement même.

Et, encore toute vibrante des caresses partagées, elle poursuivit:

– Que vous disais-je donc?

– Que, pendant huit grands jours et huit longues nuits, vous aviez été très inquiète…

– C’est vrai! Je craignais d’apercevoir derrière nous des cavaliers lancés à notre poursuite…

– Par qui donc?

– Mais… par… le mari…

– Puisqu’il est en voyage!

– Je tremblais à la pensée qu’il ne fût revenu.

– N’étais-je point là pour les recevoir, lui… et ses gens?

– C’est précisément ce qui me rassurait… Mais vous continuerez à veiller sur ce pauvre petit…

– Puisque je vous l’ai promis!

Et, avec un large sourire, Gaëtan s’écria:

– Il est donc si terrible, ce mari trompé?

– Oui, plutôt! déclara Mme de Chevreuse.

Et détournant brusquement la conversation, elle ajouta:

– Il me vient une idée. Tout à l’heure, je me suis aperçue, et vous avez dû le constater aussi, que cette hôtelière était convaincue que cet enfant était le nôtre!…

– Elle a fait mieux que de nous le laisser entendre.

– Je crois qu’à cause de vous, et surtout de vos parents, il serait peut-être bon de couper court à cette légende, et voilà ce que j’ai imaginé… Ce n’est pas extraordinaire, c’est somme toute assez vraisemblable. La morale et la religion vont y trouver leur compte à la fois.

» Que diriez-vous, mon cher Gaëtan, si nous racontions que nous avons trouvé cet enfant, de quelques jours à peine, abandonné sur la route?

– Pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Comme vous le dites si bien, cela est fort plausible.

– Nous l’aurions adopté en commun et, qui mieux est, nous prierions M. le curé du pays de bien vouloir, demain, par exemple, baptiser ce chérubin.

– De mieux en mieux, approuva Gaëtan. De cette façon, rien ne me sera plus facile que d’emmener ensuite le nourrisson et la nourrice jusque chez mes parents qui, certains de ne point abriter un bâtard de leur fils, ne lui en feront qu’un accueil plus favorable.

– Voulez-vous, aussitôt que nous aurons réparé nos forces, vous occuper de la cérémonie?

– Avec le plus grand plaisir. Je suis au mieux avec le curé de cette paroisse. C’est un très digne homme et je suis sûr qu’il se montrera plus tard, envers notre pupille, aussi bon qu’il l’a été envers moi.

Mme Lopion, poussée par la curiosité, apportait elle-même un couvert complet qu’elle dressait sur une table tout en s’efforçant de lier de nouveau conversation avec la duchesse.

– Comme il est beau, ce petit! Ah! on voit bien qu’il a du sang d’aristocrate dans les veines.

– À quoi voyez-vous cela? lança Castel-Rajac.

– À tout et à rien…

– Alors, si on vous disait que c’est le fils d’un charretier et d’une fille de cuisine?…

– Je répondrais que c’est impossible.

– Vous n’en savez rien, madame Lopion, pas plus que Madame et moi…

– Comment… comment?…

– Cet enfant, nous l’avons trouvé dans un fossé, près duquel nous étions assis pour permettre à nos chevaux de souffler.

– Que me racontez-vous là?

En fronçant les sourcils, le jeune Gascon martelait:

– Ah ça! madame Lopion, est-ce que vous ne savez pas que le chevalier de Castel-Rajac a pour principe de dire toujours la vérité?

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