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Froidement, et répondant à peine au salut de son interlocuteur, l’homme interpellé ripostait avec un léger accent italien:

– Comte Julio Capeloni, de Florence.

– Un beau pays, déclarait Gaëtan, de plus en plus aimable. Je n’y suis jamais allé, mais j’ai ouï-dire par mon aïeul paternel, qui y avait quelque peu guerroyé, que Florence était une des plus belles villes du monde.

Ce compliment parut impressionner favorablement Capeloni, car il reprit:

– Moins belle que votre Paris, monsieur le chevalier, puisqu’il sait si bien attirer à lui les habitants des pays les plus reculés du monde.

– Monsieur le comte, reprenait Castel-Rajac, je crois qu’après cet échange de politesses, nous sommes destinés à nous entendre le mieux du monde. Voilà pourquoi je me permets de vous renouveler la demande que je viens d’avoir l’honneur de vous adresser… Voulez-vous m’accepter comme voisin de table? Vous m’obligeriez infiniment, car je viens de faire vingt lieues à francs étriers… Je meurs de faim, je crève de soif, et cela doit suffire pour que vous ayez pitié de moi.

Gagné par l’entrain du jeune Gascon qui semblait incarner si richement toutes les qualités de sa race, Capeloni, d’un geste gracieux, l’invita à s’asseoir en face de lui.

Et, frappant sur la table, il lança sur le ton d’un familier de la maison:

– Hé là! dame Jeanne, il vous arrive de province un jeune loup qui a les dents longues. Il s’agit de le rassasier au plus vite car, sans cela, il est capable de vous dévorer toute crue…

Dame Jeanne, qui avait eu le temps d’avaler non pas un, mais trois verres de vin, s’approcha aussitôt de son hôte, qui devait être un client important, car, tout de suite, elle dit avec un empressement qui n’était pas précisément dans ses habitudes:

– Que faut-il servir à ce monsieur?

Immédiatement, Castel-Rajac répliquait:

– Tout ce que vous avez de meilleur.

Et, frappant sur sa ceinture, il ajouta:

– J’ai de quoi vous régler la dépense. Je viens de faire un héritage… celui d’un oncle qui m’a laissé… cent pistoles.

Rassurée, dame Jeanne s’en fut aussitôt donner ses ordres à l’une des jeunes servantes chargées de répartir la boisson et les vivres entre tous ces ventres affamés qu’il s’agissait de satisfaire. Moins de trois minutes après, devant un verre rempli d’un petit vouvray clair comme un rayon de soleil, Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac attaquait vigoureusement une énorme tranche de pâté en croûte.

L’Italien, qui en était déjà à la moitié de son repas, regardait le Gascon dévorer avec une expression de sympathie évidente.

– Alors, mon cher chevalier, fit-il au bout d’un instant, vous êtes venu uniquement à Paris dans le but d’y faire ripaille?

– Oui et non! éluda le jeune homme.

– Cela m’étonnait aussi qu’un gentilhomme de votre allure s’amusât à faire plus de cent cinquante lieues à cheval pour venir y manger et y boire quelques dizaines de pistoles!

– Mordious, vous avez raison! approuvait l’excellent Gaëtan, qui vida d’un trait son verre de vin.

Le comte le remplit aussitôt et, élevant le sien, qu’il n’avait pas encore approché de ses lèvres, il dit:

– Chevalier, buvons à nos amours!

– Aux vôtres! rectifia Gaëtan.

– Aux vôtres aussi, insista son voisin de table.

Avec une naïveté non feinte, le jeune cavalier s’exclamait:

– Ah ça! comment avez-vous deviné que j’étais amoureux?

– D’abord parce qu’à votre âge, et avec votre tournure, on l’est toujours.

– À mon âge, oui, mais… quant à ma tournure… je crois que, mon cher comte, vous me flattez un peu trop… Je ne suis qu’un gentilhomme campagnard qui, jusqu’alors, ayant toujours vécu au fond de sa province, ignore les grandes manières de la Cour et surtout l’art de parler aux femmes.

– Je suis sûr, au contraire, protestait l’Italien, que vous ne comptez plus vos succès!

– Là-bas, dans mon pays, auprès d’Agen, je reconnais que j’ai remporté quelques avantages…

– Et vous voulez augmenter, ou plutôt couronner la série de vos exploits en ajoutant à vos conquêtes de terroir celle d’une jolie Parisienne!

Toujours avec la même franchise, Gaëtan répliquait:

– C’est déjà fait, mon cher comte!

– Cela ne m’étonne pas. En amour comme en amitié, je vous crois capable de toutes les prouesses.

Et, tout en posant son coude sur la table et en remplissant pour la troisième fois le verre du beau Gascon, il ajouta:

– Racontez-moi l’histoire de cette conquête.

– Oh! après tout, faisait Castel-Rajac, je puis bien le faire sans manquer aux lois de l’honneur, car, quand bien même le voudrais-je, il me serait impossible de vous révéler le nom de celle qui, pendant huit jours, m’a rendu le plus heureux des hommes.

L’Italien, qui semblait de plus en plus intéressé, conclut:

– L’aventure devient de plus en plus piquante, et j’ai hâte d’en connaître la suite.

Et, tout en mangeant, car Gaëtan-Nompar-Francequin méritait ce nom de loup affamé que lui avait donné son compagnon de souper, il reprit sur un ton de bonne humeur et de franchise:

– Quelques mots d’abord sur moi. Oh! ce ne sera pas long, car je suis de ceux qui, à vingt-cinq ans, n’ont pas de bien longues histoires à conter. Je suis le fils unique du baron de Castel-Rajac, ancien page, puis écuyer de Sa Majesté Henri IV, et qui, depuis l’arrivée au pouvoir de Son Éminence le cardinal Richelieu, vit retiré dans son manoir, si tant est qu’on puisse appeler ainsi la pauvre maison à moitié en ruine qui, avec trois maigres fermes, quelques vignes, un étang et un bois de cinquante arpents constitue tout son patrimoine, destiné à devenir le mien, le plus tard possible, si Dieu daigne le vouloir!

» Ma mère passe son temps à s’occuper des soins de la maison, à prier dans l’église du village, à visiter les malheureux et à les soulager de ses soins les plus touchants, en même temps que de ses maigres aumônes. C’est donc vous dire que j’ai été élevé devant un horizon beaucoup trop étroit pour être tourmenté par des ambitions très vives.

» Dans mon enfance, cependant, émerveillé par les récits de mon aïeul, de mon père et de leurs compagnons d’armes, je rêvais d’être à mon tour soldat, officier, et de me battre pour accomplir, moi aussi, de vaillantes prouesses. J’avais, tout jeune, appris à monter à cheval avec un ancien écuyer du brave Crillon, et les armes avec un vieux maître qui vivait retiré dans notre pays et se targuait, à juste titre, d’avoir appris l’art de tuer son prochain aux plus illustres capitaines de ce temps. C’est ainsi que je devins un cavalier assez solide et un escrimeur, ma foi, tout aussi bon qu’un autre.

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