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Navailles réprima un geste de surprise, mais ne dit rien.

– Dans ce village, continua le ministre, vit un jeune enfant, avec son père, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac, et deux autres gentilshommes: MM. d’Assignac et de Laparède… J’ai des raisons spéciales et très graves pour m’intéresser à ce bambin, et par contre-coup, au chevalier de Castel-Rajac. Il se pourrait qu’ils soient en butte à des attaques sournoises d’adversaires qu’ils ne soupçonnent pas… Vous allez donc, comme je vous l’ai déjà dit, partir pour ce village. Votre mission consistera à veiller sur la sécurité de ces deux personnes. Je ne veux pas qu’aucun mal leur arrive. Vous m’avez compris?

Le marquis de Navailles s’inclina jusqu’à terre.

– J’ai compris, Éminence… Aucun mal ne leur arrivera.

– Merci, monsieur. Je sais que je peux compter sur vous.

– Jusqu’à la mort, Éminence!

– Allez, monsieur… Je vous remercie…

Le gentilhomme se retira, laissant Richelieu à ses réflexions.

Les révélations de Durbec ne faisaient que confirmer le cardinal dans la supposition que Mazarin était bien le père légitime de cet enfant.

Richelieu, bien que décidé à faire surveiller attentivement Castel-Rajac et son pupille, avait résolu, en même temps, que cette surveillance serait une protection contre certaines manœuvres occultes qu’il ne soupçonnait que trop.

En effet, Durbec, après son entrevue avec le cardinal, n’avait rien eu de plus pressé que de réenfourcher son cheval et de reprendre la route des Pyrénées.

Il était persuadé que le grand air lui porterait conseil, et qu’en route, il trouverait un plan pour se venger enfin de celui qu’il haïssait.

Un soir, comme il arrivait à l’auberge des Quatre-Frères, non loin de Bordeaux, il remarqua un cavalier d’élégante tournure qui mettait lui-même pied à terre devant l’auberge.

Lorsqu’il entra dans la grande salle, le cavalier était déjà installé devant une table, un pichet de vin du Bordelais devant lui, attendant paisiblement son dîner. Il se présentait de telle façon que Durbec ne put que très mal distinguer son visage, mais il lui sembla que cette silhouette lui était familière.

Ce voyageur n’était autre que le marquis de Navailles, qui se rendait à son poste, suivant les ordres reçus.

Mais si Durbec avait remarqué ce client sans pouvoir définir sa personnalité, Navailles, lui, n’avait pas hésité un instant:

– Morbleu! pensa Navailles, intrigué, que vient-il faire dans ce pays, cet oiseau-là? Aurait-il reçu une mission similaire?

Mais à peine cette idée lui eut-elle traversé l’esprit qu’il la rejeta.

– Non! non! C’est impossible. Son Éminence m’a parlé «d’une mission d’honneur»… Il ne peut l’avoir confiée à ce traître!

Comme corollaire, une réflexion vint tout de suite se greffer sur sa première idée.

– Mais alors, s’il n’est pas en mission pour le cardinal, que vient-il donc faire par ici?

Navailles avait l’esprit prompt. Il ne tarda pas à se souvenir de l’algarade qui avait mis aux prises, au château de Montgiron, les gardes de Richelieu et le chevalier gascon, pendant laquelle Durbec avait été blessé par Castel-Rajac en personne.

– Tiens… tiens… tiens! fit lentement le marquis. Ceci m’ouvrirait de nouveaux horizons… Peut-être Son Éminence n’a-t-elle pas eu tort en supposant que la sécurité de ce gentilhomme et de son fils est assez gravement compromise. Car je crois cet individu capable de tout!

Lorsque Durbec descendit le lendemain matin, après une excellente nuit, et prêt à reprendre la route, il ne revit point l’inconnu qu’il avait remarqué la veille au soir. D’ailleurs, son souvenir même lui était passé de la tête.

Navailles après les soupçons qui l’avaient assailli la veille, n’avait pas attendu le réveil du chevalier pour prendre le large.

Aussi, dès l’aube, il avait fait seller son cheval et était parti au galop, espérant gagner une assez grande avance pour arriver à destination sans être rejoint par Durbec.

Il se rendait compte qu’il avait sur lui un avantage appréciable: il connaissait sa présence, et peut-être le but de son voyage, tandis que Durbec, lui, ignorait jusqu’à la mission dont Navailles était chargé.

Mais le marquis était trop rusé pour se présenter armé de pied en cap dans ce petit village. À la ville voisine, il laissa son cheval, acheta des habits modestes, et, vêtu comme un marchand, arriva à Bidarray.

On l’accueillit sans méfiance. Il en passait tellement! Sans hésiter, Navailles se rendit au presbytère. C’était une vieille maison où vivait un brave curé presque aussi âgé qu’elle.

Sous couleur de lui proposer une pièce de drap et des almanachs, il réussit à le voir, et là, il lui révéla sa qualité, et pour quelle raison il était céans.

– Monsieur le curé, conclut-il, vous savez tout. Il me faut un gîte. Puis-je compter sur vous pour me l’accorder?

– Mon cher enfant, répondit le vieux prêtre, il y a toujours eu ici une place pour le pauvre et l’errant. À plus forte raison lorsqu’il s’agit du service de Son Éminence le cardinal. Tout ce que j’ai ici est à vous, vous êtes chez vous!

Le bruit courut au village que le marchand était un vague neveu au curé de Bidarray. Il était naturel qu’il réside chez son parent quelque temps, après avoir pris la peine de monter jusqu’en ce pays perdu!

Tandis que ce petit complot s’arrangeait au presbytère, là-haut, à la gentilhommière, les trois Gascons et leur pupille filaient des jours sans histoire.

Marie de Chevreuse avait été s’établir dans le village voisin, et partageait son temps entre cette résidence champêtre et le logis où des amis fidèles l’hébergeaient, à Pau. Dès qu’elle était à la montagne, un petit berger partait vers Bidarray et remettait un message au chevalier gascon… Alors, le soir, à la brune, celui-ci se glissait jusqu’à l’humble demeure où la grande dame consentait à demeurer quelques jours pour l’amour de lui…

Puis, après trois ou quatre rencontres, et pour ne pas éveiller les soupçons, la duchesse retournait à Pau.

De la sorte, chacun était parfaitement heureux, et leur vie n’aurait été marquée par aucun événement, si la haine n’avait entrepris de démolir ce bonheur tranquille.

Durbec était arrivé lui aussi à Bidarray. Il n’avait pas eu besoin de se travestir pour donner le change, son allure le rendait semblable aux petits bourgeois des environs.

D’ailleurs, il menait la vie la plus discrète qui fût, ne sortant qu’à la nuit de la maison isolée où il avait trouvé gîte, afin de rôder autour de la gentilhommière où vivait son ennemi.

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