Castel-Rajac, d’un ton bref, s’écria:
– Qu’en savez-vous?
Martigues eut un signe évasif, mais déjà le Gascon interrogeait:
– De combien d’hommes se compose la garnison?
– De vingt hommes!
– Ce sont de bons soldats?
– Pas très. On s’ennuie beaucoup à Sainte-Marguerite, et ils n’attendent qu’une occasion de filer, surtout la nuit, et de gagner la terre afin d’y faire ripaille.
– Bien. Le gouverneur est-il sévère?
– Très.
– Il ne badine pas avec la discipline?
– Chaque fois qu’il prend un de ses hommes en faute, il le met au cachot pour vingt-quatre heures.
– De mieux en mieux, ponctua Gaëtan.
L’œil étincelant de malice, il continua:
– Je suppose que je pénètre avec quelques-uns de mes amis dans le château de Sainte-Marguerite.
– Ça, monsieur, c’est impossible.
– Impossible, riposta Castel-Rajac, c’est un mot qui n’est pas français, encore moins gascon.
» Je suppose donc que, par force ou par ruse, nous pénétrions dans la citadelle en nombre suffisant pour venir à bout de ceux qui l’occupent et que, fidèle à son devoir ainsi qu’il doit l’être, le gouverneur se refuse à me livrer son prisonnier, seriez-vous prêt à m’ouvrir les portes de son cachot?»
Spontanément, le pêcheur répliqua:
– Oui, monsieur, si toutefois j’en avais la clef. Cette clef, je dois la remettre chaque soir à M. le gouverneur et j’ignore où celui-ci la cache.
– Il faut que tu la prennes, dans le plus bref délai. Tu vas donc retourner au château de Sainte-Marguerite et tu chercheras, par tous les moyens dont tu disposes, à découvrir l’endroit où M. de Saint-Mars serre cette clef. Ou plutôt, non, il me vient une idée lumineuse; tout à l’heure, en rentrant, tu iras frapper à la chambre du gouverneur et tu lui diras qu’en rentrant au château tu es allé, comme toujours, écouter à la porte du prisonnier, que tu as entendu celui-ci se plaindre et que tu demandes au gouverneur de te donner le moyen de le secourir. Il te remettra la clef, tu la glisseras dans ta poche et tu la garderas jusqu’à ce que j’arrive, ce qui ne saurait tarder.
– Monsieur, je ne demande pas mieux de faire tout ce que vous me dites, mais je vous le répète, la citadelle est imprenable.
– Pas pour des Gascons!
Martigues, entièrement gagné à la cause de l’homme au masque de fer, s’écria:
– Ah! si je pouvais seulement vous baisser le pont-levis et vous faire ouvrir la porte.
– Je te sais gré de tes excellentes intentions, déclara Castel-Rajac, mais, sur ce terrain, je n’ai pas besoin de ton concours. Contente-toi de me donner cette clef quand je te la réclamerai. Tu auras tes cinquante mille livres et tu pourras t’en aller filer en sécurité le parfait amour avec ta bonne amie.
» En attendant, voici une bourse qui contient vingt pistoles. Arrange-toi pour faire boire les soldats de la citadelle… Raconte-leur que tu as fait un héritage et que tu désires le fêter avec eux. Bref, arrange-toi pour que, vers dix heures, ils soient gris à rouler par terre…
» Allons, va mon gars. Maintenant, un bon conseil: tu ne me parais pas d’une bravoure excessive.
– Ah! ça, monsieur, quand on n’a que sa peau comme fortune, on y tient.
– Évidemment, mais, une fois là-bas, ne t’avise pas de revenir sur la promesse que tu m’as faite et, quoi qu’il arrive, ne te laisse pas intimider et surtout ne me trahis pas.
Martigues releva la tête:
– Monsieur, fit-il, tout à l’heure, vous m’avez dit: «Regarde-moi en face et, après cela, dis-moi si j’ai l’air d’un bandit?» Eh bien! à mon tour, fixez-moi bien dans les yeux et dites-moi si j’ai l’air d’un traître?
– Va, mon ami, fit Castel-Rajac, en lui donnant une tape sur l’épaule. Tu auras tes cinquante mille livres, quand je devrais aller couper les cornes et la queue du diable!
D’Assignac fit sortir le pêcheur par une porte dérobée, ce qui lui évita de traverser la salle où tous les hommes que Castel-Rajac avait recrutés dans les environs et costumés en mousquetaires continuaient à fumer et à boire du vin blanc. Resté seul avec son ami, Gaëtan lui dit:
– Nous avons eu la chance de tomber sur ce brave garçon. Il n’est certes pas doué d’une intelligence supérieure, mais, en tout cas, je suis certain qu’il nous est tout acquis et qu’il fera l’impossible pour me rendre le service que je lui ai demandé.
» Maintenant, mon bon Assignac et mon cher Laparède, prenons toutes les dispositions nécessaires.
– Nous t’écoutons.
– Parle!
Castel-Rajac développa:
– J’ai renoncé à ma première idée, qui consistait à prendre d’assaut la citadelle et à nous emparer de vive force du prisonnier. Cela, pour deux raisons. La première, c’est que, si décidés soyons-nous de vaincre, nous pouvons très bien subir une défaite, et la seconde est que nous nous mettrions en rébellion ouverte et à main armée contre l’autorité royale. Or je ne tiens ni à me placer dans un aussi mauvais cas, ni à y mettre mes amis, même pour la cause la plus noble et la plus juste.
» Tous ces gens que tu as recrutés, mon cher Laparède, et que tu as revêtus des uniformes de mousquetaires que nous avions apportés avec nous, vont donc nous attendre ici et nous servir tout simplement d’escorte jusqu’à la frontière italienne, où il a été convenu que nous conduirions notre cher Henry dès sa libération.
» Vous allez vous embarquer avec moi tous les deux et nous allons nous rendre à l’île Sainte-Marguerite.
» Hier, j’ai pu me rendre compte de la façon dont nous avions le plus de chances à pénétrer dans la place et cela nécessitera de la part de nous trois un peu de gymnastique; mais nous avons bon pied, bon œil, bon muscle, bon nerf et surtout bon cœur. Je suis donc tranquille de ce côté, et si, comme je l’espère, notre homme de tout à l’heure exécute fidèlement mes instructions au cours de cette nuit, nous enlèverons Henry au nez de M. le gouverneur.
– Très bien, approuva Assignac, qui eût suivi son intrépide ami les yeux fermés jusqu’au bout du monde.
– Quand partons-nous? demanda Laparède, qui professait une égale confiance envers Gaëtan.
– Dans une heure, répliqua Castel-Rajac. Il faut donner à notre complice le temps de griser les soldats de la garnison et de se faire remettre la clef du cachot par M. de Saint-Mars.
» Maintenant, suivez-moi, j’ai fait préparer par la brave femme qui tient cette auberge un petit souper qui achèvera de nous donner les forces dont nous aurons besoin.