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– Il pense à tout, s’écria Assignac que la perspective d’une bonne chère, même relative, achevait d’épanouir.

Tous trois escaladèrent un escalier en forme d’échelle qui donnait au premier étage et disparurent par une porte qui se referma lourdement sur eux.

*

* *

Une heure après, une barque, pilotée par Castel-Rajac s’arrêtait dans une petite crique de l’île Sainte-Marguerite, presque au pied du château.

Après avoir abattu la voile et jeté l’ancre, il s’élança sur un rocher, suivi par ses deux compagnons habituels, qui avaient peut-être moins le pied marin que lui, mais n’en faisaient pas moins bonne figure sous les défroques de matelot qu’ils avaient endossées, ainsi que leur chef de file.

Favorisés par une nuit obscure, ils parvinrent à se faufiler jusqu’au pied du mur d’enceinte de la citadelle.

Castel-Rajac avait dû dresser un plan très net, très défini, car ce fut sans la moindre hésitation qu’il se dirigea vers un des saillants du fort que surplombait une plate-forme supportant un vieux canon de marine.

Cette plate-forme, protégée par des créneaux à mâchicoulis, se trouvait située à environ cinq mètres du roc.

Une fois en bas, Gaëtan s’empara d’une besace que d’Assignac portait sur le dos; il l’ouvrit et en retira une corde à nœuds dont il enroula une des extrémités autour de son poignet; puis il dit, toujours à d’Assignac:

– Mets-toi là, contre la muraille, et toi, Laparède, grimpe-lui sur les épaules.

Tous deux s’exécutèrent aussitôt. Avec la souplesse et l’agilité d’un acrobate professionnel, Gaëtan parvint à s’installer à son tour sur les épaules de Laparède. Sa tête dépassait le parapet, sur lequel il appuya ses deux mains, et, d’un seul bond, il se trouva sur la plate-forme auprès du canon, à la bouche duquel il assujettit solidement la corde à nœuds qu’il traînait après lui.

Tour à tour, Laparède et Assignac firent l’ascension de la corde et rejoignirent leur ami, qui leur dit à voix basse:

– Maintenant, il s’agit de s’orienter. Mais n’allons pas trop vite et flairons d’abord le vent. Surtout, imitez-moi dans tous les gestes et mouvements que je vais faire.

Il s’agenouilla et se mit à ramper le long du parapet dans la direction de la forteresse, qui élevait sa masse sombre à deux portées de fusil de là.

Arrivé au sommet de l’escalier de pierre qui donnait accès dans une première cour défendue par une muraille assez élevée et au milieu de laquelle se dressait la grille d’un portail d’une solidité qui semblait à toute épreuve, Castel-Rajac s’arrêta.

Dominant la muraille, il pouvait se rendre compte de tout ce qui se passait à l’intérieur de la cour. Tout d’abord, il ne vit rien, il n’entendit rien. Un calme absolu semblait régner à l’intérieur du château. Aucune lumière n’apparaissait derrière les fenêtres.

De même que lors de son équipée de Montgiron, le chevalier Gaëtan eut l’impression qu’il se trouvait aux abords d’un nouveau château de la Belle au bois dormant. Déjà, il songeait au moyen d’escalader ce nouvel obstacle qu’il n’avait pas été sans prévoir. Il n’y en avait qu’un seul, c’était de recommencer la même opération qu’il avait faite pour escalader l’enceinte de la citadelle.

Toujours à quatre pattes, et naturellement suivi de ses deux fidèles associés, il se mit à descendre l’escalier qui aboutissait à la grande porte grillée.

Comme il atteignait la dernière marche, il s’arrêta subitement. Il avait cru entendre, dans la cour, un léger bruit. Tapi dans l’ombre, il demeura immobile ainsi que ses camarades. Comme le bruit s’élevait de nouveau, plus rapproché, il saisit la poignée d’un coutelas qu’il portait accroché à sa ceinture, se préparant à supprimer, s’il en était besoin, l’indiscret qui avait le singulier aplomb de se mêler de ses affaires et la malencontreuse idée de venir se jeter dans ses jambes, ou plutôt dans ses bras.

Le regard tendu, l’oreille aux aguets, il vit bientôt une ombre s’approcher de la grille. Son cœur eut un joyeux battement. Le Gascon venait de reconnaître la silhouette de Jean Martigues. Il le laissa tranquillement ouvrir la porte à l’aide d’une clef énorme avec laquelle on aurait pu aisément assommer un bœuf, et, toujours sur les genoux, il s’avança vers lui, après avoir fait signe à ses amis de demeurer sur place.

Martigues, en apercevant cet homme qui rampait dans sa direction, eut un mouvement d’hésitation. Instantanément, Castel-Rajac se releva et lui dit simplement:

– Avez-vous la clef du cachot?

Le pêcheur, l’air consterné, baissa la tête en disant:

– Non, je ne l’ai pas!

D’un geste brusque, Gaëtan le saisit par le revers de son veston.

Un mot lui échappa:

– Animal!

– Ne m’en voulez pas, murmura le pauvre diable, M. le gouverneur a voulu lui-même porter secours à M. l’homme au masque de fer et il est en ce moment avec lui dans son cachot.

– Mordious! grommela le Gascon, en frappant du pied le sol.

Tout en dévisageant l’ancien pêcheur d’un air courroucé, il fit:

– Et les soldats?

– Ah! ceux-là, monsieur, ils ne vous gêneront pas beaucoup, car ils sont tous soûls comme des bourriques.

– Allons, ça va un peu mieux, respira Gaëtan.

Et, après avoir appelé ses amis qui n’avaient pas bougé de place et s’empressèrent de le rejoindre, de l’air décidé d’un homme qui vient de prendre une résolution dont rien ne pourrait le faire démordre, il dit à Martigues, qui n’avait plus un poil de sec:

– Maintenant, conduis-moi jusqu’au cachot du prisonnier.

– Mais, hésita le brave garçon, je viens de vous dire, monsieur, que M. le gouverneur s’y trouvait.

– Eh bien! tant mieux.

– Mon Dieu, mon Dieu, gémit Martigues, pourvu qu’il ne vous arrive pas malheur!

– Ton gouverneur est donc si terrible que cela?

– Ce n’est pas un méchant homme… mais…

– Allons, conduis-moi, ordonna le Gascon sur un ton qui n’admettait pas de réplique.

L’ancien pêcheur ne se le fit pas répéter une troisième fois.

– Suivez-moi, messieurs, fit-il.

Les trois Gascons emboîtèrent aussitôt le pas au valet, qui, après les avoir fait pénétrer à l’intérieur de la citadelle, les fit entrer dans un couloir obscur et désert où s’amorçait l’escalier qui conduisait aux cachots.

Castel-Rajac et ses amis aperçurent bien, dans la pénombre, ça et là, quelques corps étendus à terre. Ils ne s’en inquiétèrent point, car c’étaient ceux des soldats que leur guide avait copieusement grisés. Derrière lui, ils gravirent les marches et arrivèrent dans un autre couloir sur lequel donnaient plusieurs cachots.

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