Castel-Rajac mit un genou en terre devant sa belle amie et lui baisa la main.
– Comment puis-je m’acquitter envers la gracieuse Providence qui m’accable sous ses bienfaits? murmura-t-il tendrement.
La belle duchesse eut un sourire exquis, et comme Castel-Rajac avait déjà répondu au cardinal quelques mois plus tôt sur la route de Bordeaux, elle répliqua:
– Mais vous vous êtes déjà acquitté, mon ami!
Il attira son amie sur sa poitrine, et un baiser fervent vint récompenser cet aveu.
Une seule chose chagrinait Gaëtan en pensant à cette nouvelle et brillante situation qui l’attendait. L’enfant, il le verrait fréquemment… d’ailleurs, confié aux soins de la duchesse de Chevreuse, il était tranquille… Mais ses deux inséparables, Assignac et Laparède, avec lesquels il avait vécu de nombreuses et tranquilles années… Il allait falloir les quitter!
Cependant, il ne se tenait pas encore pour battu. Dès qu’il fut en possession de ses nouvelles fonctions, son premier soin fut d’aller rendre visite au nouveau premier ministre. Celui-ci le reçut d’une façon fort affable.
– Charmé de vous revoir, chevalier! s’écria-t-il. Voici longtemps que je ne vous ai vu…
– Que Votre Éminence daigne m’excuser… J’avais, ainsi que vous le savez, des obligations précises qui m’absorbaient fort…
Mazarin eut un gracieux sourire.
– Nous ne les avons pas oubliées, chevalier, et je suis heureux de cette occasion pour vous remercier du zèle et du soin que vous avez mis à vous en acquitter…
– Éminence, cet enfant a fait mon bonheur… C’est moi qui serai éternellement reconnaissant à Mme la duchesse de Chevreuse d’avoir bien voulu faire appel à moi…
– Je suis heureux, chevalier, de voir qu’aujourd’hui, vos mérites vous ont fait accéder à une situation digne de vous.
– Ah! soupira benoîtement le Gascon, j’ai fait de mon mieux pour élever cet enfant dans les principes les plus élevés. D’ailleurs, mes amis dévoués m’ont été dans cette tâche d’un précieux secours, et c’est aussi grâce à eux si, aujourd’hui, je peux affirmer que le petit Henry fera plus tard un gentilhomme accompli.
Mazarin avait dressé la tête.
– Vos amis? Quels amis, chevalier.
– Mais MM. d’Assignac et de Laparède, deux braves et loyaux gentilshommes, que je regrette fort de savoir restés dans les Pyrénées.
– Il faut les faire venir à Paris! Nous leur trouverons un emploi.
– Ah! Éminence! continua à soupirer le rusé chevalier. Il n’y a qu’une seule chose qui les comblerait, mais je ne sais…
– Dites toujours! On verra si on peut satisfaire leur désir!
– Oh! peu de chose! Entrer comme mousquetaires dans le corps où je suis lieutenant.
– Hé! monsieur le chevalier, savez-vous que les mousquetaires sont un corps d’élite?
– Je le sais, Éminence!
– On n’accepte pas n’importe qui!
– Ah! Éminence, mes amis sont des gentilshommes de bonne souche gasconne!
– Je n’en doute pas… Enfin monsieur de Castel-Rajac, je verrai… je tâcherai d’en toucher deux mots à Monsieur de Guissancourt, votre capitaine…
Le nouvel officier s’inclina jusqu’à terre et sortit, rayonnant. Il était certain d’avoir gagné la partie.
En effet, quelques jours plus tard, Assignac et Laparède, au fond de leur retraite méridionale, apprenaient, à leur vive joie, qu’ils étaient incorporés dans cette glorieuse phalange des mousquetaires, sous les ordres directs de leur ami, Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-Rajac. À cette nouvelle, ils commencèrent par tomber dans les bras l’un de l’autre. Puis, bondissant chacun vers leur appartement respectif, ils se mirent en devoir de préparer leur départ avec toute la célérité dont ils étaient capables.
Il y avait à peine une semaine qu’ils étaient arrivés à Paris, lorsque l’atmosphère politique commença à se gâter.
Le nouveau cardinal-ministre avait commencé par augmenter les charges que supportait le bon peuple de France, ce qui, du premier coup, ne l’avait point rendu populaire. Le Parlement prit le parti des mécontents. Or le Parlement représentait une puissance avec laquelle il fallait compter.
Il parla haut et fort. La réponse ne se fit pas attendre: le lendemain même, les chefs les plus populaires et les plus influents furent arrêtés. Carton, Blancmesnil et Broussel furent incarcérés.
Ce fut, de la part du rusé Italien, un pas de clerc. Le peuple, qui grognait ou chantait lorsqu’on l’accablait d’impôts, se révolta carrément. Des barricades s’élevèrent.
Anne d’Autriche, fort effrayée, manda en hâte son ministre auprès d’elle.
– Qu’allons-nous faire? s’écria la régente. Voyez ce qui se passe…
– Madame, répondit le Florentin, lorsqu’on n’est pas les plus forts, il faut céder. Donnez l’ordre d’élargir les prisonniers, en feignant d’agir par clémence pure. Le peuple en saura gré à Votre Majesté, s’apaisera, et les messieurs du Parlement vous seront également reconnaissants de ce geste plein de mansuétude.
– Comment? s’emporta la reine, dont l’orgueilleux sang espagnol se révoltait à l’idée des concessions. Ce seront donc les factieux qui auront raison?
– Que non. Madame! sourit l’Italien. Ce sera chacun son tour de chanter la canzonetta…
Cependant, le ministre avait vu juste. Dès que les parlementaires furent élargis, le peuple mua ses menaces en clameurs d’enthousiasme, voulut porter Broussel en triomphe, et cria vive la reine et vive le premier ministre. Un vent de popularité soufflait.
Il ne dura pas longtemps.
Mazarin était patient. Lorsqu’il crut favorable l’occasion, il agit.
Le prince de Condé était un de ces grands seigneurs turbulents, actifs, pleins de feu et de courage, qui ne demandent qu’à dépenser leur ardeur. Il pouvait devenir un ennemi dangereux, car il commandait les troupes et était fort populaire dans l’armée.
Mazarin, par des promesses, le gagna à la cause royale. Mais Condé n’était pas seul. Longueville, Conti, Beaufort, Elbeuf, s’estimèrent lésés par cette brusque faveur, et, faisant cause commune avec le Parlement qui n’avait point désarmé, ameutèrent si bien l’opinion qu’un beau matin, la situation devint tout à fait menaçante pour la Cour.
– Nous pendrons ce faquin de Mazarin! affirmait-on tout haut.
Mazarin tenait à son cou; la régente tenait à Mazarin, pour des raisons qui n’étaient pas toutes d’État.
Aussi fallut-il aviser sans retard. Le ministre fit mander tout de suite dans son cabinet le lieutenant de Castel-Rajac, dont il connaissait le dévouement à la cause royale, et qu’il savait aussi homme de bon conseil.