Celui-ci comprit qu’il avait affaire à un gentilhomme. À la demande du Gascon, il s’inclina avec politesse, mais répondit que Son Éminence était partie pour Bordeaux depuis une demi-heure, et que le capitaine de ses gardes, M. le baron de Savières, l’accompagnait.
– Tiens! philosopha Castel-Rajac, en souriant dans sa moustache, il s’en est fallu de peu que je me retrouve nez à nez avec ce sympathique capitaine…
Il laissa échapper un sonore juron gascon et gronda:
– Pourvu que je n’arrive pas trop tard!
– Que se passe-t-il donc? interrogeait l’officier, déjà inquiet.
– Je viens de découvrir un complot qui a pour but d’assassiner le cardinal au cours de son retour à Paris!
L’officier eut un haut-le-corps.
– Est-ce possible!
– J’en suis sûr! Aussi, il n’y a pas une minute à perdre! Donnez-moi un cheval, un très bon cheval, et je réponds de tout!
Comme son interlocuteur le regardait avec une certaine méfiance, se demandant quel crédit il devait accorder à cet inconnu qui voulait réquisitionner un cheval appartenant au service de Son Éminence, Gaëtan s’exclama:
– Je suis le chevalier de Castel-Rajac, et tout le monde, dans le pays, vous affirmera que je dis toujours la vérité!
– Ça, c’est vrai! dit un soldat en s’avançant.
– Tiens, c’est toi… Crève-Paillasse! lançait le chevalier en reconnaissant un jeune paysan originaire de la localité pyrénéenne où il s’était retiré.
– Oui, monsieur le chevalier! répondait le soldat. Il y a justement à l’écurie un pur-sang qui ne demande qu’à galoper un train d’enfer!
– Eh bien! amène-le-moi vite! commandait déjà l’amant de la duchesse de Chevreuse.
Mais l’officier de service intervenait à nouveau.
– Minute! Il me faut d’autres garanties!
Castel-Rajac fronça les sourcils.
– Prenez garde, monsieur l’officier, s’écria-t-il. Vous assumez là une lourde responsabilité! Chaque minute que vous me faites perdre risque de coûter la vie à Son Éminence! Et s’il arrive malheur au cardinal de Richelieu, je ne manquerai point de dire très haut que c’est par votre faute!
Ce dernier argument dissipa les scrupules du militaire.
– Va chercher le cheval! lança-t-il à Crève-Paillasse qui partit aussitôt.
Moins de cinq minutes après, Gaëtan sautait en selle et partait au triple galop sur la route de Bordeaux.
Crève-Paillasse avait dit vrai. Sa monture, une bête admirable, avait véritablement des ailes.
Castel-Rajac galopa environ pendant deux lieues à francs étriers. Puis, à un détour du chemin, il aperçut des lueurs de torches, en même temps que son ouïe, très fine, percevait un cliquetis d’armes, révélateur d’un proche combat.
– Sangdiou! grommela-t-il. Est-ce que j’arriverais trop tard, déjà?
En quelques bonds de sa monture, il arriva sur le théâtre de la lutte. Et il aperçut, entourant le carrosse du cardinal, une bande d’hommes masqués qui ferraillait contre les gardes de Son Éminence.
Il était hors de doute que l’escorte allait succomber sous le nombre, et qu’aussi valeureux que soit l’appui que le Gascon était décidé à leur donner, les conspirateurs ne pouvaient manquer d’avoir le dessus.
Mais Castel-Rajac, une fois de plus, allait leur prouver que l’esprit d’un Gascon est capable de triompher des pires situations.
Sautant à bas de son cheval, et profitant de ce que les combattants, acharnés dans une bataille sans merci n’avaient point remarqué sa présence, il grimpa sur un arbre, au pied duquel le carrosse était arrêté.
Il le fit si doucement et si prestement que personne ne s’aperçut de rien. Les gardes du cardinal combattaient en braves, mais visiblement, ils commençaient à faiblir, ce qui encourageait les sacripants à attaquer de plus belle.
– Il est temps d’intervenir, mordiou! se dit le chevalier après avoir prudemment observé les phases de la lutte.
Il tira son épée, qu’il plaça entre ses dents. Puis, sans hésitation, il se laissa tomber sur la toiture du véhicule.
Le cardinal, effaré, mit la tête à la portière, persuadé que c’était un de ses ennemis qui allait l’égorger; mais déjà, Castel-Rajac s’était dressé, et d’une voix vibrante, qui domina le tumulte, il clama:
– À moi, mes amis! À bas les traîtres et vive le cardinal!
Les assaillants, surpris par ce renfort inopiné, levèrent la tête. Ils aperçurent le Gascon, debout sur le carrosse, brandissant son épée. Bondissant comme un diable, Gaëtan sauta sur le dos de l’adversaire le plus proche, qui s’étala aussitôt en poussant un cri d’agonie: l’épée l’avait traversé de part en part.
– En avant, en avant! hurla Castel-Rajac derechef.
Et il se jeta avec furie au milieu de la mêlée.
Convaincus qu’une troupe importante arrivait au secours de Son Éminence, les conjurés eurent un mouvement d’hésitation, suivi d’un léger recul. Les gardes en profitèrent pour les contre-attaquer aussitôt avec succès. Castel-Rajac, sautant à la gorge d’un des conspirateurs qui le menaçait de son arme, roula avec lui à terre en hurlant:
– Sangdiou! Je vais t’apprendre comment on étrangle les gens, en Gascogne!
Et il le fit avec un tel brio que les conspirateurs, persuadés qu’un renfort de plusieurs hommes venait de leur tomber sur le dos, s’empressèrent de rejoindre leurs chevaux, qu’ils avaient laissés à la lisière d’un champ voisin, et de s’enfuir dans une galopade effrénée.
Le capitaine des gardes, qui était bien en effet le baron de Savières, avait reconnu en son sauveur l’homme qui, quelques années auparavant, lui avait joué, au château de Montgiron, le tour que l’on n’a pas oublié. Il s’écria:
– Il est vraiment étrange, monsieur le chevalier, que ce soit à vous que je doive aujourd’hui la vie!
Mais déjà, une voix s’élevait du carrosse:
– N’est-ce point le chevalier de Castel-Rajac?
– Mais oui, Éminence!
Et l’amant de Marie de Rohan, s’avançant vers l’homme d’État dit, tout en le saluant en grande cérémonie:
– Vous voyez, Éminence, qu’un bienfait n’est jamais perdu, puisque votre indulgence à mon égard me vaut l’honneur de vous délivrer aujourd’hui de ces misérables qui voulaient vous assassiner!
– Chevalier, dit le cardinal, vous n’aurez point obligé un ingrat. Je saurai vous récompenser…
– Votre Éminence l’a fait d’avance!