Castel-Rajac qui, d’emblée, avait repris le commandement de la bataille, profitant de la panique qui régnait parmi ses adversaires se précipita sur eux avec ses amis.
Au même moment, une fenêtre du château, qui se trouvait au premier étage, s’ouvrait, et une voix retentissait:
– Tenez bon! Sus à ces bandits, à ces misérables, sus aux ennemis du cardinal!
C’était le capitaine de Savières qui encourageait ses hommes.
Mettant, lui aussi, l’épée en main, il se précipita à travers le vestibule, les couloirs, dégringola l’escalier et se précipita dans la cour.
Quand il arriva, les trois Gascons et l’Italien avaient achevé de mettre ses gardes à la raison. Tous jonchaient le sol, morts ou blessés. C’était un véritable carnage.
N’écoutant que son courage, M. de Savières voulut s’élancer sur les vainqueurs. Mais, du revers de son épée rouge de sang, Castel-Rajac, qui était décidément l’un des escrimeurs des plus redoutables qu’il fût possible d’imaginer, envoyait promener en l’air l’arme du capitaine, sur lequel se jetaient Assignac et Laparède, qui l’immobilisaient instantanément.
Castel-Rajac s’avançait vers Savières et, approchant son visage du sien, lui demandait, les yeux dans les yeux:
– Qu’avez-vous fait de Mme de Chevreuse?
– Je n’ai pas à vous répondre, répliqua l’officier désarmé.
– Vous êtes notre prisonnier.
À peine le Gascon avait-il prononcé ces mots qu’un cri déchirant partait du château.
Castel-Rajac eut un grand sursaut: il lui sembla que c’était la duchesse qui appelait au secours.
Bondissant à l’intérieur, escaladant l’escalier quatre à quatre, il parvint jusqu’au troisième étage et se heurta à un homme vêtu de noir, l’épée à la main, qui semblait décidé à lui barrer le passage.
Le Gascon fonça sur lui.
Durbec – car c’était lui – essaya vainement de se mettre en garde et de parer cette foudroyante attaque. Lourdement, il retomba sur le sol, le corps traversé de part en part par la lame du chevalier.
Sautant par-dessus lui, Castel-Rajac franchit en quelques bonds les marches de l’escalier qui donnait accès au grenier et d’où continuaient à s’échapper les appels désespérés de Mme de Chevreuse.
Il se trouva devant une porte entrebâillée sur le seuil de laquelle, le dos tourné, se tenait un homme.
D’un coup de poing formidable, il l’écarta et, comme une trombe, il pénétra dans la pièce. Deux autres hommes s’apprêtaient à étrangler, à l’aide d’un lacet, la duchesse de Chevreuse, qui se débattait avec l’énergie du désespoir.
Lardés de grands coups d’épée, les deux bandits durent lâcher prise et, poursuivis par le Gascon, qui, d’un violent coup de botte, avait à demi écrasé la figure du troisième homme qui cherchait à se relever, ils s’élancèrent vers une lucarne qui donnait sur les toits. Mais, dans leur affolement, ils avaient mal pris leur élan et, glissant sur les tuiles, ils s’en furent s’aplatir sur les dalles de la cour à côté des autres victimes de la fureur gasconne.
Comme Mme de Chevreuse, brisée d’émotion, chancelait, Castel-Rajac dut la retenir dans ses bras; mais, se ressaisissant, la vaillante femme s’écria:
– Non, je suis trop heureuse, maintenant, pour m’évanouir.
Gaëtan l’entraînait vers la sortie.
– La victoire est complète, disait-il, allons rejoindre nos amis!
Tout en tenant son épée d’une main et soutenant la marche de la duchesse de l’autre, il regagna la cour, sans remarquer que le corps du chevalier de Durbec n’était plus à l’endroit où il était tombé.
Rejoignant Mazarin, Assignac et Laparède, il leur annonça d’une voix triomphante:
– La chasse a été bonne. Il y a douze pièces au tableau!
M. d’Assignac lui désignait le baron de Savières, qui gisait, ligoté, sur le sol.
– Celui-là, fit-il, est encore en assez bon état.
Mazarin, qui s’était précipité vers Mme de Chevreuse, lui dit:
– Maintenant, il s’agit de vous mettre rapidement en sécurité, car, après ce qui vient de se passer ici, je ne réponds plus de la tête de personne.
– Le mieux, déclara Castel-Rajac, est de gagner le plus rapidement possible la frontière espagnole. Je crois que je ferais bien d’emmener aussi mon petit garçon. N’est-ce point votre avis, madame la duchesse?
– Certes!
– Et vous, comte Capeloni?
– Tout à fait.
Les quatre conspirateurs, qui entouraient la duchesse, quittèrent le château et rejoignirent leurs chevaux qui étaient restés dans la forêt. Bientôt, ils galopaient dans la direction de Saint-Marcelin, et le chevalier, qui tenait, doucement serrée contre sa poitrine, la belle Marie de Rohan qui se cramponnait à son cou, lui murmurait à l’oreille, entre deux phrases brûlantes d’amour:
– Je crois que votre amie sera contente de nous.
*
* *
Quelle ne fut pas la stupéfaction de l’excellent Barbier de Pontlevoy, lorsque, se réveillant le lendemain matin au chant du coq, suivant son habitude, après avoir revêtu ses chausses et son justaucorps, il commença son inspection quotidienne.
À la vue de tous ces cadavres alignés dans la cour et de tous ces blessés qui gisaient dans les communs, à l’endroit où ils avaient été frappés, il ne sut que s’écrier, en levant les bras au ciel:
– Mille millions de gargousses, est-ce que je rêve ou bien suis-je devenu fou?
Et il appela, avec toute la force de ses poumons, les deux invalides qui constituaient avec lui la garnison de Montgiron:
– Passe-Poil et Sans-Plumet!
Ce ne fut qu’au bout de cinq minutes de vociférations stériles que Passe-Poil, tout en traînant sa jambe de bois, accourut à son appel.
– Monseigneur, s’écria-t-il, je respire, j’avais peur que vous eussiez été égorgé pendant votre sommeil.
– Ah ça! que s’est-il donc passé?
– Je n’en sais rien, monseigneur, Sans-Plumet et moi, nous avions profité de votre permission que nous avait value la présence au château des gardes de Son Éminence pour nous rendre jusqu’à la ville.
» Tout à l’heure, quand nous sommes rentrés, nous nous sommes trouvés en face d’un véritable carnage. Nous avons commencé par relever les blessés, les panser de notre mieux, puis nous avons découvert M. le capitaine de Savières ligoté et bâillonné au fond du fournil, où nous l’avons délivré.