Cinq minutes après, les quatre cavaliers chevauchaient sur un sentier étroit, entre deux haies drues et hautes. Gaëtan servait de guide.
Après avoir abouti à une sorte de piste à peine tracée qui longeait de vastes prairies bordées de peupliers ils atteignirent une forêt dans laquelle ils s’engagèrent et, protégés ainsi par les hautes futaies, ils arrivèrent à l’autre lisière d’où, à la clarté de la lune, ils aperçurent, se détachant sur un petit mamelon qui surmontait la Garonne, la silhouette du manoir de Montgiron.
Pour l’atteindre, il restait à peine un quart de lieue. Mazarin fit, toujours sur un ton de camaraderie:
– Je crois que nous ferions bien de laisser ici nos chevaux.
Les trois Gascons sautèrent en bas de leur monture. Utilisant fort habilement tous les replis de terrains, les fossés garnis de hautes fougères et les arbres qui se dressaient çà et là, ils atteignirent ainsi les fossés du château. Celui-ci ne présentait pour ainsi dire plus de défense. Quelques années auparavant, Richelieu, qui craignait toujours un retour offensif de la féodalité, l’avait fait entièrement démanteler. Les douves larges et profondes qui l’entouraient avaient été comblées.
D’un rapide coup d’œil, Mazarin se rendit compte de la situation et il murmura entre ses dents:
– Décidément, M. de Richelieu n’a pas prévu le bon tour qu’il va se jouer à lui-même.
Se tournant vers Gaëtan, il ajouta:
– Voulez-vous, mon cher chevalier, me conduire jusqu’à la porte que vous nous avez signalée tout à l’heure?
– Très volontiers, mon cher comte.
Entouré des trois autres conjurés, Castel-Rajac contourna le château et, au pied d’une tour il désigna une petite excavation fermée par un simple pan de bois qui paraissait si peu résistant, qu’un simple coup d’épaule était capable d’en venir à bout.
– Allons, fit sobrement Mazarin.
Gaëtan, le premier, s’élança vers la porte, qui ne portait aucune serrure apparente. Il allait la heurter d’un coup de pied, lorsque Mazarin le retint en disant:
– Oh! pas de bruit, surtout, mon cher. Voulez-vous me permettre?
Docilement, Gaëtan s’effaça pour le laisser passer. Mazarin appuya de la paume de sa main droite sur la porte, qui résista. Elle était fermée à l’intérieur.
– Maintenant, dit-il à Castel-Rajac, poussez, mais très doucement.
Gaëtan s’exécuta. Un craquement se produisit.
Vivement, Mazarin avança la main et retint une planche au moment où, détachée de son cadre, elle allait choir sur le seuil. Il plongea son bras à l’intérieur, tâtonna un instant et, trouvant un loquet, il le fit glisser avec précaution.
La porte s’ouvrit en grinçant légèrement sur ses gonds rouillés. Mazarin s’avança. Il se trouvait dans un étroit réduit qui, par un soupirail, prenait jour sur la cour des communs, un petit escalier de pierre en forme de vis, donnant accès à l’étage supérieur. Après avoir recommandé à ses amis de faire le moins de bruit possible, Mazarin commença à gravir les marches et se trouva bientôt en face d’une porte qui, fort heureusement, était ouverte, ce qui prouvait que l’excellent Barbier de Pontlevoy, quelque peu amolli par les délices d’une oisive retraite, avait cessé de surveiller, même sommairement, les entrées et sorties du château dont il avait la garde.
Les quatre conjurés se trouvaient dans une cour étroite et obscure. Elle semblait complètement inhabitée et était entourée de bâtiments bas qui devaient autrefois former les écuries du château.
Au travers d’une grille délabrée, rouillée et demeurée ouverte, on apercevait une seconde cour, qui paraissait plus importante que celle-ci.
Mazarin, indiquant l’un des bâtiments aux trois Gascons, leur dit:
– Cachez-vous là, pendant que je vais en reconnaissance.
Tandis que, toujours dociles, Castel-Rajac, Assignac et Laparède se dissimulaient dans l’ombre, Mazarin, avec la souplesse d’un chat, se glissait jusque dans l’autre cour, d’où il pouvait examiner très attentivement les aîtres du château.
Le principal corps de logis formait l’un des côtés de la cour. À droite, la cuisine, le cellier. À gauche, un corps de garde, dans lequel quelques chandelles de résine achevaient de se consumer, et où régnait un profond silence.
Mazarin s’y faufila, et aperçut, étendus sur la planche d’un lit de camp et ronflant côte à côte à poings fermés, quatre des gardes du cardinal, dont les manteaux, les chapeaux et les épées étaient jetés pêle-mêle à leurs pieds.
Mazarin esquissa cet énigmatique sourire qui marquait chacune de ses joies intérieures puis, s’emparant des quatre chapeaux, des quatre manteaux et des quatre épées, il s’en fut à pas de loup les déposer dans la cuisine, légèrement éclairée, elle aussi, par quelques chandelles qui achevaient de se consumer dans leurs chandeliers.
Cela fait, il rejoignit les trois Gascons qui l’attendaient avec une fébrile impatience.
– Décidément, leur annonça-t-il, le destin nous est favorable. Je viens de surprendre dans un profond sommeil quatre gardes de Son Éminence, qui avaient cru bon de se dévêtir à moitié et de se désarmer tout à fait.
» Je me suis emparé de leurs défroques et de leurs épées. J’ai transporté le tout dans une cuisine, où nous serons à merveille pour endosser les uniformes de ces messieurs.»
Il les entraîna tous les trois jusqu’à la cuisine et, là, ils commencèrent à se déshabiller.
Déjà, Castel-Rajac et Laparède avaient mis bas leur justaucorps et, pleins d’ardeur et d’entrain, ils s’apprêtaient tous quatre à jouer consciencieusement leur rôle dans la tragi-comédie dont Mazarin était le metteur en scène, lorsque tout à coup, il leur sembla entendre un bruit de pas précipités sur les pavés de la cour.
Instinctivement, ils saisirent leurs épées. À peine venaient-ils de s’en emparer que huit gardes du cardinal se précipitaient dans la cuisine, l’épée à la main.
Cédant un moment au nombre, ils durent battre en retraite et se réfugier dans le cellier, où ils allaient trouver un champ plus facile pour se défendre.
– Quatre contre huit, s’écria Gaëtan d’une voix éclatante, c’est une bonne mesure.
Et il fonça sur ses adversaires, en mettant pour commencer deux à bas, tandis que, de leur côté, Mazarin, Assignac et Laparède en tuaient et en blessaient trois autres.
Les trois gardes qui étaient restés indemnes prirent le parti de rallier la cour et de donner l’alarme à ceux du corps de garde, qui se réveillèrent aussitôt et s’en vinrent à leur rescousse. Mais ils ne pouvaient pas être d’une grande utilité dans la bataille: ils étaient sans armes et encore tout alourdis de sommeil.