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D’un ton volontairement radouci, il reprit:

– Croyez, madame, qu’il m’est fort désagréable, je dirai même fort pénible, d’être obligé de vous parler ainsi et de me montrer, envers vous, d’une rigueur qu’excuse cependant la situation, grave entre toutes, dans laquelle vous êtes placée. Sans doute allez-vous m’accuser encore de me montrer impoli et brutal envers vous. Mais nous en sommes arrivés à un point où il est de toute nécessité d’abattre nos cartes.

– Soit, monsieur, acquiesça la duchesse. Je pense que vous avez beaucoup d’atouts, mais je ne vous cacherai pas que j’en ai certains, moi aussi, qui sont fort capables de rivaliser avec les vôtres.

L’émissaire de Richelieu répliqua:

– Dans la nuit du 5 au 6 mai, Sa Majesté la reine Anne d’Autriche a accouché clandestinement d’un enfant du sexe masculin, dans une maison qui vous appartient et qui est située aux environs du château de Chevreuse. La reine vous a chargée de faire disparaître cet enfant. Dans ce but, vous avez eu recours à l’un de vos amis, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac et, tous deux, en compagnie d’une nourrice que vous aviez fait venir en secret de province, vous avez gagné ce pays, espérant ainsi mettre à l’abri de toutes poursuites l’enfant illégitime de la reine. Voilà pourquoi, madame, au nom de la Raison d’État, une dernière fois, je vous somme de nous restituer cet enfant! Si vous acceptez, non seulement vous rentrerez en grâce immédiate auprès du cardinal, qui est décidé à vous combler de ses bienfaits et de ses faveurs, mais, en son nom, je prends l’engagement solennel que cet enfant sera élevé par les soins du cardinal avec tous les égards dus à son rang, sans que nul, cependant, ne puisse soupçonner quelles sont ses origines. Madame, j’attends votre réponse!

– Elle est fort simple, déclara la duchesse, sans se départir un seul instant de l’attitude qu’elle avait adoptée. Allez consulter le registre de la paroisse de Saint-Marcelin, et vous y verrez que cet enfant, que vous attribuez à la reine et à M. de Mazarin, est, en réalité, celui de Gaëtan de Castel-Rajac et d’une jeune fille des environs de Marmande, morte, ces jours derniers, en donnant le jour à son fils.

Redevenu nerveux, M. de Durbec s’écria:

– On peut écrire ce que l’on veut sur un registre de baptême.

– Je vous ferai observer, monsieur, que ces déclarations sont signées par Mme la duchesse de Chevreuse, M. de Mazarin, M. le chevalier de Castel-Rajac, M. le baron d’Assignac, M. le comte de Laparède. Donc, si nous avons fait une fausse déclaration, il faudra que vous nous poursuiviez en justice.

Durbec s’écria:

– Ne nous égarons pas en vains subterfuges. Voulez-vous, oui ou non, madame, me dire ce que vous avez fait de cet enfant?

– Demandez-le à son père. Lui seul pourra vous renseigner à ce sujet.

– C’est votre dernier mot?

– C’est mon dernier mot.

– En ce cas, madame, vous ne vous en prendrez qu’à vous seule des conséquences regrettables que vont avoir pour vous vos façons d’agir.

– Vous devriez savoir, monsieur, que je ne suis pas femme à me laisser intimider.

Cette fois, Durbec ne répondit rien. Il s’en fut simplement tirer sur le cordon d’une sonnette. L’un des panneaux de la porte s’ouvrit, et l’espion de Richelieu dit au garde qui se présenta:

– Prévenez votre capitaine que je désire lui parler.

Le garde salua et disparut. Durbec jeta un regard vers la duchesse qui n’avait pas bougé. Toujours debout, près de la table, en une attitude de sobre dignité, elle attendait la suite des événements avec la sérénité d’une femme qui vient de faire tout son devoir et qui est décidée à le remplir jusqu’au bout.

Un instant après, M. de Savières réapparut dans la pièce. Durbec lui dit, désignant Mme de Chevreuse:

– Veuillez, capitaine, considérer, à partir de ce moment, Mme la duchesse de Chevreuse comme votre prisonnière. Conduisez-la dans la chambre où elle doit demeurer enfermée, jusqu’à nouvel ordre, au secret le plus absolu.

Féru de discipline, le capitaine ne pouvait qu’obéir.

– Suivez-moi, madame, dit-il à Marie de Rohan qui, après avoir foudroyé Durbec d’un regard de mépris, s’en fut, guidée par M. de Savières, à travers les corridors sombres et déserts du vieux château de Montgiron.

Demeuré seul, l’émissaire de Richelieu grinça entre ses dents:

– Avant demain, j’aurai bien trouvé le moyen de faire parler cette maudite duchesse.

*

* *

Le premier mouvement de Gaëtan fut de se précipiter vers Montgiron, sans trop savoir comment il pourrait délivrer Mme de Chevreuse.

Cette impétuosité n’était guère dans les manières de Mazarin qui préférait la réflexion à l’action.

– Je crois, dit-il, qu’il serait beaucoup plus sage d’employer la ruse. En effet, si nous nous avisons d’occire une grande partie ou la totalité des gardes du cardinal, celui-ci ne nous le pardonnera pas et, à moins que nous prenions la décision de quitter par les moyens les plus rapides le doux pays de France, nous ne tarderons pas, malgré tous nos efforts, à tomber entre ses mains. Je crois le connaître assez bien pour pouvoir vous déclarer que, si nous lui infligions un pareil affront, il serait fort capable de nous envoyer un régiment à nos trousses, tandis que, si nous arrivions à pénétrer subrepticement dans le château, à découvrir l’endroit où est enfermée Mme de Chevreuse et à la faire s’évader sans attirer sur nous l’attention de ses geôliers, j’estime que nous aurons accompli une besogne beaucoup plus salutaire et beaucoup moins compromettante qu’en livrant une bataille rangée aux gardes du cardinal.

– Mais, objecta Castel-Rajac, comment ferons-nous pour pénétrer dans le château?

– Est-il donc d’un accès si difficile?

Gaëtan réfléchit un instant, puis il reprit:

– Je me souviens que, du côté de la forêt, il existe une petite porte plutôt vermoulue, par laquelle on doit pouvoir pénétrer aisément dans les communs.

– Bien. C’est plus qu’il nous en faut, déclara Mazarin, qui devait s’être déjà tracé dans l’esprit un plan beaucoup plus arrêté qu’il ne voulait bien le dire.

Et il reprit, d’un air entendu:

– En ce cas, messieurs, il ne nous reste plus qu’à monter à cheval et, afin d’éviter d’attirer l’attention des espions qui pourraient très bien rôder aux alentours, choisir des chemins de traverse que vous devez connaître mieux que personne.

» Une fois arrivés là-bas, par la porte, nous nous efforcerons de pénétrer dans la place que vient de nous indiquer M. de Castel-Rajac, et nous rechercherons alors le moyen d’exploiter ce premier avantage.»

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