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M. de Saint-Mars déclara:

– Je vous crois tous les deux. Mais comment expliquer cette évasion?

D’un ton fort conciliant, Castel-Rajac continua:

– Je comprends que vous songiez, mon cher gouverneur, à mettre à couvert votre responsabilité et à éviter les conséquences fâcheuses que pourrait avoir pour vous la disparition de votre captif. Mais je crois que j’ai trouvé le moyen de concilier vos intérêts avec les nôtres. Vous avez d’autres prisonniers, ici?

– Deux seulement. L’un est un Espagnol fanatique qui avait tenté d’assassiner le cardinal de Mazarin.

– De celui-là, n’en parlons pas, coupa le Gascon. Voyons l’autre.

– C’est un gentilhomme, le comte de Marleffe.

– Le faux-monnayeur! s’exclama Castel-Rajac.

– Lui-même!

– Quel âge?

– Vingt-trois ans.

– Parfait!

– Mais?…

– C’est bien simple. Après l’avoir fait passer pour mort, vous collerez sur la figure de ce bandit le masque de fer que vous avez mis à mon fils!

– Lieutenant, c’est impossible.

– Ah! que je n’aime pas ce mot!

– Je vous assure que vous me demandez-la une chose que je ne puis exécuter.

– Pourquoi?

– Si un envoyé de M. Colbert venait visiter le prisonnier et s’il l’interrogeait, M. de Marleffe ne manquerait pas de dire qui il est et de protester contre le traitement dont il est l’objet!

Castel-Rajac, qui ne s’embarrassait jamais de rien, répliqua avec une magnifique assurance:

– Qu’à cela ne tienne, monsieur le gouverneur. Vous direz au représentant de M. Colbert que votre prisonnier est devenu fou, ce qui, somme toute, n’aura rien d’invraisemblable et d’extraordinaire.

– Mais si cet envoyé exige que j’enlève le masque?

– Et après?

– Il s’apercevra tout de suite de la substitution.

– Mais non, mais non…

– Mais si.

– D’abord, mon cher gouverneur, vous n’enlèverez pas le masque.

– Pourquoi?

– Parce que vous expliquerez à votre interlocuteur que l’artisan qui l’avait fabriqué est mort en emportant dans la tombe le secret du mécanisme qui permet de l’enlever. Mordious! vous voyez que ce n’est pas bien difficile!

Entraîné par la verve du Gascon autant que par son désir de mettre fin à une situation dont le chevalier de Castel-Rajac venait de lui démontrer si éloquemment et si irréfutablement l’iniquité, M. de Saint-Mars avoua:

– Décidément, lieutenant, vous avez réponse à tout. Vous venez de me donner d’autant mieux le moyen de m’associer à une œuvre de réparation et de justice d’autant plus que j’ai confiance en votre discrétion, ainsi qu’en celle de celui que vous appelez votre fils et des deux témoins qui ont assisté à cette scène.

Laparède intervint:

– Vous pouvez, monsieur le gouverneur, compter sur mon silence.

– Et sur le mien, aussi, dit en écho le bon gros Assignac.

Et il ajouta avec bonhomie:

– Cela me sera d’autant plus facile que je vous avouerai franchement que je n’ai rien compris à cette équipée.

D’un air grave, M. de Saint-Mars continua:

– Lieutenant, tout sera fait selon votre désir. Je n’y mets qu’une condition et cela encore plus pour la sauvegarde de votre fils que pour la mienne. Je vous demande qu’il conserve sur son visage ce masque de fer jusqu’à ce qu’il ait franchi la frontière, car il se pourrait fort bien que des espions rôdassent sur la côte.

Tout en souriant, Castel-Rajac reprit:

– Mieux que personne, j’en suis certain, et voilà pourquoi je trouve votre précaution excellente. Deux objections, cependant.

– Dites!

– Si nous emportons le masque, comment ferez-vous pour le mettre ensuite sur la figure de votre faux monnayeur?

– J’en ai un de rechange.

– Ah! très bien. Mais ce n’est pas tout. Comment m’y prendrai-je pour débarrasser mon fils de celui-ci?

– Je vais vous l’expliquer, répliqua M. de Saint-Mars.

Et, s’approchant d’Henry, il montra à Castel-Rajac, en dessous de la mentonnière, un trou pas plus grand que celui par lequel on réglait à cette époque les aiguilles d’une montre. Et, tirant de l’une des poches de son habit une petite clef, il l’introduisit dans l’ouverture.

Instantanément, le masque se sépara en deux et le visage pâle, amaigri, mais toujours plein de beauté juvénile du prisonnier, apparut aux yeux des assistants. Aussitôt, Gaëtan se précipita sur son fils d’adoption et fit claquer sur ses joues les deux baisers sonores qu’il lui avait promis.

M. de Saint-Mars donna au chevalier la clef avec laquelle il avait fait fonctionner le mécanisme secret du masque qu’il remit lui-même en place, tout en disant:

– Ne m’en voulez pas, monsieur, de prolonger encore un peu votre si cruelle épreuve, mais ce ne sont plus que quelques instants de patience; et maintenant, adieu, monsieur, et que Dieu vous garde.

– Monsieur le gouverneur, répliqua l’homme au masque de fer avec un accent et une allure d’une dignité magnifique, je voudrais vous serrer la main.

Le gouverneur, très ému, tendit sa dextre au fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche, qui, tout en l’étreignant, lui dit:

– Puisse, monsieur, l’acte d’humanité que vous venez d’accomplir vous valoir le bonheur dans ce monde et dans l’autre.

Castel-Rajac, tout frémissant de joie, s’écria:

– Monsieur le gouverneur, laissez-moi joindre mes remerciements à ceux de ce cher enfant. Désormais, vous êtes mon ami et, quand on est mon ami, on l’est bien, et je vous en donnerai d’ici peu la preuve… Attendez-vous à recevoir un avancement digne de vos mérites. Je ne serais pas surpris que, dans quelque temps, vous fussiez nommé gouverneur de la Bastille! Je ne vous dis donc pas adieu, mais au revoir!

Après avoir échangé une chaleureuse poignée de main avec M. de Saint-Mars, Castel-Rajac, Henry et ses deux amis s’empressèrent de gagner le couloir où les attendait Martigues qui, dans l’ombre, avait assisté à toute cette scène à laquelle, d’ailleurs, pas plus qu’Assignac, il n’avait compris le moindre mot.

Le gouverneur, qui les avait accompagnés jusque dans la cour, leur dit:

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