» Maintenant, vous allez immédiatement, avec vos hommes, simuler un départ. Vous aurez soin de dire à haute voix, à l’hostellerie du Faisan d’Or, que vous partez pour Toulouse préparer les appartements du cardinal qui doit se rendre prochainement dans cette ville. De cette façon, les méfiances de M. de Mazarin et de la duchesse de Chevreuse seront endormies et leur vigilance, ainsi que celle de leurs amis, ne pourront que s’en atténuer.»
Le capitaine fit un signe d’acquiescement, puis il ajouta:
– Nous pourrons donc, dès la nuit venue, nous livrer à une perquisition en règle à l’hostellerie.
Tandis que M. de Durbec quittait l’église par une petite porte qui donnait sur la campagne, le capitaine des gardes en sortait ostensiblement et, après avoir rallié ses hommes, il les entraîna jusqu’au Faisan d’Or où il leur dit à haute voix:
– Restaurez-vous copieusement, car nous allons faire cette nuit une rude étape.
Les gardes s’installèrent devant des tables inoccupées et se commandèrent un copieux repas.
Lorsqu’ils achevèrent leurs agapes, la nuit était venue. Un appel de trompettes retentit: c’était le signal du départ.
Tous se levèrent de table et regagnèrent la cour où leur chef, déjà en selle, les attendait. Enfourchant à leur tour leurs montures, ils gagnèrent aussitôt la grand-route de Toulouse, suivis du regard par Mazarin et Castel-Rajac qui dissimulés dans l’ombre, avaient assisté à leur départ.
Tous deux, en effet, avaient entendu dire par Mme Lopion que les gardes du cardinal partaient pour Toulouse, mais ils n’en avaient pas cru un mot, persuadés que ce n’était qu’une feinte et qu’ils n’allaient point tarder à revenir.
M. de Durbec en était donc pour sa ruse, d’ailleurs cousue de fil blanc. Plus que jamais, les deux alliés allaient se tenir sur leurs gardes.
Quelques instants après, ils étaient rejoints par Hector d’Assignac et Henri de Laparède, auxquels déjà Gaëtan avait raconté qu’on voulait lui voler son fils.
Cela avait suffi pour enflammer l’ardeur de ses deux amis, enchantés de se trouver mêlés à une aventure à la fois mystérieuse, galante et chevaleresque.
M. de Mazarin, tout en saisissant Gaëtan par le bras, lui dit:
– Je crois que cette nuit nous allons avoir à en découdre…
Le colossal Hector s’écria:
– À la bonne heure, moi, j’aime ça.
L’ardent et subtil Laparède ajouta:
– Nous allons montrer à ces gens de Paris de quel bois se chauffent les cadets de Gascogne.
– En attendant, proposa Castel-Rajac, si nous faisions une ronde autour de la maison… car il n’y a rien d’extraordinaire que ces drôles eussent laissé derrière eux quelques mouchards.
– Vous pouvez en être sûr, déclara M. de Mazarin.
Au premier abord, ils ne remarquèrent rien de suspect. La rue était déserte. Dans la cour, en dehors d’un valet d’écurie, qui aidait à descendre de sa monture un voyageur, aucune figure inquiétante ne se manifestait.
Il faut croire que les agents secrets de M. de Durbec possédaient l’art de se rendre invisibles, à moins que, fatigués de leur filature, ils eussent été souper.
Malgré cela, Castel-Rajac, qui n’était qu’à moitié rassuré, proposa à son ami de monter la garde à tour de rôle, afin de prévenir toute attaque imprévue.
Et, tirant son épée, tout en appuyant la pointe de son arme contre le sol:
– Maintenant, fit-il, ils peuvent venir, ils seront bien reçus.
Quant à Mazarin, Hector d’Assignac et Henri de Laparède, ils se firent ouvrir une chambre dont une des fenêtres, placée à l’angle de l’hostellerie, leur permettait de surveiller efficacement la rue.
Une heure passa, sans le moindre incident, lorsque le chevalier Gaëtan, qui avait l’oreille aux aguets, crut entendre derrière lui un bruit de pas très léger s’avançant dans sa direction.
Brusquement, il se retourna, l’épée en avant mais il n’eut pas le temps de faire un geste.
Subitement coiffé d’un sac en drap noir, empoigné par les bras, tiraillé par les jambes et jeté à terre en un clin d’œil, il se sentit ligoté, bâillonné et dans l’impossibilité d’opposer à ses assaillants la moindre résistance.
À l’intérieur de l’hostellerie, une autre scène se déroulait, non moins rapidement que celle que nous venons de décrire.
Le capitaine baron de Savières, après avoir fait irruption dans la salle à la tête de douze de ses gardes, escaladait rapidement l’escalier qui conduisait à la chambre occupée par Mme de Chevreuse et heurtait à la porte en disant:
– Ouvrez, au nom du roi!
À peine avait-il prononcé ces mots que Assignac et Laparède apparaissaient sur le palier. Ils allaient dégainer; ils n’en eurent pas le temps. Les gardes du cardinal se précipitaient sur eux et les refoulaient dans leur chambre, les désarmaient et leur faisaient subir le même sort qu’à leur ami.
Quant à M. de Mazarin, il avait disparu.
Nous revenons à la duchesse de Chevreuse, qui s’était empressée d’obéir à l’injonction de M. de Savières et lui avait ouvert toute grande sa porte.
– Que voulez-vous de moi? lui dit-elle, en dévisageant, d’un œil sévère, l’intrus qui se présentait à elle d’une façon aussi cavalière.
– Je suis le baron de Savières, capitaine des gardes de Son Éminence le cardinal de Richelieu.
– Je vous reconnais fort bien, monsieur, déclara la duchesse, et je ne suppose pas que vos fonctions vous donnent le droit de vous conduire d’une façon aussi peu chevaleresque.
– Madame la duchesse, riposta le capitaine avec beaucoup de calme, je suis chargé d’une mission que j’ai le devoir d’accomplir jusqu’au bout.
– Et qui consiste, sans doute, à vous emparer de ma personne?
– Non, madame la duchesse, mais à vous prier de bien vouloir vous rendre jusqu’au château de Montgiron.
– Où je serai prisonnière?
– Madame, je l’ignore. Je suis également chargé de vous demander de me remettre immédiatement un enfant que vous avez amené ici.
– Ah! vraiment, ironisa la duchesse. Arrêter une femme et s’emparer d’un enfant est un double exploit qui ne m’étonne point de la part de celui qui vous envoie jusqu’ici, mais qui, véritablement, est indigne du gentilhomme et du soldat que vous êtes.
Savières eut un imperceptible frémissement. Le coup avait porté, mais il lui était impossible de reculer. Il se tut en se mordant les lèvres.