– Après tout, non, car mon intention était bien, mes chers amis, de vous mettre au courant de l’aventure qui m’arrive. J’ai en effet ramené de voyage une fort jolie femme et un délicieux poupon, mais si je suis le père de cet enfant, la dame n’en est que la marraine… car, la vraie maman…
Gaëtan s’arrêta, comme pour donner plus d’importance à ces paroles, puis sur un ton grave et mystérieux:
– Au nom de l’honneur, je vous demande de ne point m’interroger à ce sujet.
– Nous serons discrets, affirma le colossal Hector.
– Nous nous tairons, enchaîna le très aimable Henri.
Castel-Rajac reprit:
– J’ai un autre service à vous demander.
– Lequel? firent ensemble les deux amis.
– Tout à l’heure, je vais faire baptiser mon fils. Je ne puis pas vous demander à l’un ou à l’autre d’être son parrain, mais je vous prie de bien vouloir signer sur le livre de baptême.
– Très volontiers, acceptèrent les deux gentilshommes.
– Alors, rendez-vous à l’église à quatre heures précises.
– Nous y serons.
Ils échangèrent de nouvelles poignées de main et, tandis qu’Hector réclamait un nouveau pichet, Gaëtan rejoignit Mme de Chevreuse et Mazarin, qui avaient eu tout le loisir de s’entretenir d’une façon plus directe des événements qui venaient de se dérouler et de ceux dont ils attendaient la venue, non sans inquiétude.
La figure réjouie de Castel-Rajac les réconforta un peu.
– Tout va bien, annonça-t-il, tout s’est même passé admirablement. Mon bon vieux curé a été magnifique. Le baptême est fixé pour quatre heures. D’ici là, je vais avoir le temps de m’occuper du petit.
Et, se tournant vers Mazarin, il ajouta:
– Il est toujours bien entendu, mon cher comte, que vous lui servez de parrain?
– Mais certainement.
Avec un éclair de joie dans le regard, le Gascon demanda:
– Cela ne vous contrarie pas trop que je me fasse passer pour le papa du petit?
– Non, répliqua l’amant d’Anne d’Autriche, car je suis sûr que vous en ferez un vrai gentilhomme dont son véritable père ne pourra que s’enorgueillir un jour.
– Je m’en porte garant, affirma la duchesse.
– Je vous quitte pour aller prendre toutes mes dispositions, déclara Castel-Rajac.
Sans doute ménageait-il à ses adversaires futurs un nouveau tour de sa façon, car ses yeux pétillaient de malice.
*
* *
Ainsi que l’avait annoncé le bon curé de Saint-Marcelin, à quatre heures moins le quart, la cloche de l’église commença à tinter.
Dans le pays, le bruit s’était répandu que le chevalier Castel-Rajac allait faire baptiser son fils.
Cette nouvelle avait provoqué dans tout le village un mouvement de curiosité qui avait précipité vers l’église toutes les commères du pays.
Lorsque le cortège pénétra sous la voûte, tous les bancs étaient occupés. Précédée du bedeau, Mme de Chevreuse, qui portait elle-même sur un coussin enveloppé dans des flots de dentelles le précieux nourrisson, s’avançait, ayant à ses côtés le comte Capeloni ou plutôt M. de Mazarin.
Derrière eux, suivait le chevalier, plus vibrant que jamais et semblant défier à la fois du regard et du sourire tous ceux qui se seraient permis de blâmer sa conduite.
Il était escorté d’Hector d’Assignac, imposant et solennel, et d’Henri de Laparède, souple et désinvolte.
Après s’être agenouillés devant le maître-autel et avoir été bénis par le curé qui, assisté de deux enfants de chœur, s’était avancé vers eux, ils gagnèrent la chapelle latérale où se trouvaient les fonts baptismaux.
La cérémonie s’accomplit suivant le rite habituel, puis toujours précédé par le curé, le cortège se rendit à la sacristie; le parrain, la marraine et les deux témoins apposèrent au-dessous de la déclaration de naissance et de baptême, qui était alors le seul acte officiel reconnu par la loi, leur signature et leur paraphe. Mazarin signa naturellement: comte de Capeloni et la duchesse: Antoinette de Lussac; puis, le cortège regagna l’église qu’il traversa sur toute sa longueur.
En arrivant sous le porche, la duchesse de Chevreuse, qui portait toujours l’enfant sur son coussin, pâlit légèrement. Elle venait d’apercevoir, debout sur les marches de l’église, revêtus de leurs manteaux marqués d’une croix blanche, plusieurs gardes du cardinal qui la considéraient d’un air goguenard. Mazarin, qui s’en était aperçu, lui aussi, ne broncha pas et murmura à l’oreille de la duchesse:
– Ils sont arrivés, mais trop tard; maintenant, nous n’avons plus rien à craindre.
– Qu’en savez-vous? soupira Marie de Rohan.
– J’ai confiance en votre chevalier!
Quant à Castel-Rajac, il s’était contenté de toiser les gardes de Richelieu. Quand il passa près d’eux, il se retourna pour dire à haute voix à ses amis d’Assignac et de Laparède:
– Ah ça! que viennent donc faire ces gens dans notre pays?
Un des gardes, fort gaillard, à la figure farouche et à l’aspect peu engageant, allait répliquer au Gascon, mais un de ses compagnons lui posa la main sur l’épaule.
Gaëtan se retournant pour dévisager encore une fois ceux qu’il considérait comme ses ennemis, le garde dit à son camarade:
– Ce n’est pas le moment de provoquer un esclandre. Nous avons l’ordre d’agir promptement et sans tapage. Son Éminence ne nous pardonnerait pas de lui avoir désobéi. Laissons-les rentrer tranquillement à l’auberge.
Au même moment, deux hommes sortaient d’un des bas-côtés de l’église, dans l’ombre duquel ils s’étaient dissimulés. L’un, vêtu de velours noir, sur lequel tranchait la blancheur d’un col en toile blanche, n’était autre que M. de Durbec. L’autre portait l’uniforme du capitaine des gardes du cardinal. Il s’appelait le baron de Savières.
Le chevalier de Durbec fit:
– Tout est bien convenu. Vous avez bien saisi les instructions du cardinal?
Le capitaine résuma:
– Il s’agit, d’abord, de nous emparer de l’enfant, puis d’emmener la duchesse au château de Montgiron où il faudra qu’elle s’explique sur son rôle dans cette affaire.
– Très bien, approuva Durbec. Je vous recommande, encore une fois, la prudence. Les gardes du corps dont elle est entourée ne sont pas nombreux, mais ils sont de taille à nous mener la vie dure. N’oubliez pas non plus que le cardinal tient essentiellement, et pour des raisons connues de lui seul, que M. de Mazarin ne soit ni molesté ni même inquiété. Quant aux autres, pas de quartier, telle est la consigne. Cela, mon cher capitaine, vous simplifiera singulièrement la tâche.