Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Profitant de cet avantage, Mme de Chevreuse, surprise de la carence de ses amis et craignant qu’ils ne fussent tombés dans quelque guet-apens, reprenait, pour gagner du temps:

– Je suis surprise, monsieur le capitaine, que votre maître n’ait pas plutôt choisi, pour remplir son exploit, un des nombreux espions qu’il entretient à sa solde.

Devinant la ruse de son interlocutrice, Savîères reprit:

– Je ne suis pas ici, madame la duchesse, pour discuter avec vous des raisons qui font agir M. le cardinal, pas plus que sur les moyens qu’il a cru devoir employer à votre égard; je ne puis que vous répéter ce que je viens de vous dire, et je vous demande instamment de ne pas me contraindre à employer la force.

– Vous oseriez lever la main sur moi?

– La plus noble dame de France, répliqua le capitaine, cesse de l’être lorsqu’elle conspire contre son roi!…

– Alors, s’écria Marie de Rohan en éclatant d’un rire forcé, je suis une conspiratrice. Décidément, monsieur le capitaine, vous êtes bien mal informé. J’ignore ce qu’on a pu vous conter à mon sujet, ou plutôt, je m’en doute. La vérité est tout autre. Vous avez simplement, uniquement, devant vous, une femme qui a juré de sauver à tout prix l’honneur d’une de ses amies. Maintenant, je n’ajouterai plus un mot.

Et, désignant d’un geste large la porte de la chambre voisine, elle fit:

– L’enfant est là. Auriez-vous le courage d’aller le prendre?

Savières eut un instant d’hésitation, car Mme de Chevreuse lui avait parlé avec un tel accent d’indignation et de noblesse que, pour la première fois depuis qu’il était au service du cardinal, il se demandait si véritablement son maître ne lui avait pas ordonné de commettre une mauvaise action.

Cette pensée ne dura en lui que l’espace d’un éclair. Non point par crainte des représailles, car Savières était brave, et il était de ceux qui savent prendre leurs responsabilités, mais uniquement parce qu’il avait fait au cardinal le serment de lui obéir en tout et pour tout, même au péril de sa vie. Il se dirigea vers la porte de la chambre et l’ouvrit toute grande.

La pièce était à demi éclairée par la lueur d’une veilleuse placée près d’une petite table, à côté d’un grand lit qui n’était occupé par personne, et dont la couverture n’avait pas été défaite.

Au pied du lit, un berceau au rideau fermé attira l’attention du capitaine qui, en trois enjambées, le rejoignit. Soulevant les rideaux, il aperçut un enfant tourné sur le côté et qui semblait profondément endormi. Il s’en empara, le plaça sous son manteau et rejoignit la duchesse de Chevreuse, qui venait de réprimer un indéfinissable sourire.

– Maintenant, madame la duchesse, êtes-vous décidée à vous rendre au château de Montgiron? Je tiens à vous dire que toute résistance est inutile, car mes gardes ont déjà mis à la raison trois des gentilshommes qui s’étaient constitués vos défenseurs. Quant au quatrième, c’est-à-dire M. de Mazarin, il a réussi à nous échapper; mais je doute qu’à lui seul il soit de taille à nous mettre en déroute.

La duchesse pensa:

«Mon pauvre Gaëtan! Pourvu qu’ils ne l’aient pas égorgé ainsi que ses amis. Enfin, Mazarin est libre! Tout espoir n’est donc pas perdu de remporter une revanche sur nos ennemis.»

Et jugeant pour l’instant toute résistance inutile, elle reprit:

– Soit, monsieur le capitaine, je vous accompagne. Je ne vous demande qu’une grâce: rendez-moi cet enfant, car, nous autres femmes, savons beaucoup mieux les porter dans nos bras, et ce pauvre petit a grand besoin de ménagement.

Savières se laissa fléchir par cette requête et remit le nourrisson à la duchesse qui, l’enveloppant dans un des pans du manteau qu’elle avait jeté sur ses épaules, l’emporta tendrement contre sa poitrine, en disant:

– Heureusement qu’il ne s’est pas réveillé!

– Le fait est, déclara Savières, enchanté du succès de sa mission, que je n’ai pas encore vu un petit enfant dormir aussi profondément.

Quelques minutes après, Mme de Chevreuse, qui n’avait pas lâché son précieux fardeau, montait dans un carrosse, dans lequel deux gardes prirent place en face d’elle et, entourée d’une solide escorte que commandait le capitaine, le véhicule, traîné par quatre chevaux vigoureux, disparut bientôt dans la nuit.

M. de Mazarin, descendant alors de la cheminée dans laquelle il s’était réfugié, commença par aller délivrer Hector d’Assignac et Henri de Laparède et, après les avoir mis au courant des faits qui venaient de se dérouler, il descendit avec eux à la recherche du chevalier de Castel-Rajac.

Ils se heurtèrent aux époux Lopion qui, encore épouvantés, se livraient aux lamentations et aux imprécations les plus vives contre ceux qui les avaient troublés dans leur sommeil et risquaient de faire passer leur hostellerie pour une gargote mal famée et peu hospitalière.

Mazarin imposa silence à leurs criailleries. Tout de suite, il leur demanda:

– Avez-vous vu le chevalier de Castel-Rajac?

– Non, monsieur, s’écriait l’aubergiste, et je ne tiens même pas à le revoir, car c’est bien de sa faute si, aujourd’hui, nous avons à subir tous ces désagréments.

– Assez de jérémiades, et donnez-nous tout de suite des lanternes, afin que nous puissions nous mettre à la recherche de notre ami.

Tout en grognant, Mme Lopion allait s’exécuter lorsque, les vêtements en désordre, les cheveux en broussailles, la chemise déchirée, Gaëtan de Castel-Rajac, qui avait réussi à se débarrasser des liens qui l’entouraient et à sortir du sac qui l’aveuglait, apparut, clamant d’une voix rauque:

– Les misérables viennent d’emmener la duchesse au château de Montgiron. Je les ai entendus partir. Leur capitaine leur donnait des ordres. Il faut absolument aller là-bas, leur arracher cette malheureuse; sans cela elle est perdue.

Et, se tournant vers Mazarin, il ajouta:

– Pour que le cardinal s’acharne avec autant de cruauté sur cette femme et cet enfant, il faut…

Il n’acheva pas. M. de Mazarin, lui prenant la main, lui dit:

– Vous avez raison, mon cher chevalier, il faut à tout prix sauver la duchesse.

– Nous la sauverons!… fit le Gascon avec une énergie que l’on devinait sans limites.

15
{"b":"125222","o":1}