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Anne d'Autriche sortie, Mazarin fit un grand effort, et se soulevant vers Colbert:

– Eh bien! Colbert, dit-il, voilà deux jours malheureux! voilà deux mortels jours, et, tu le vois, rien n'est revenu de là-bas.

– Patience, monseigneur, dit Colbert.

– Es-tu fou, malheureux! tu me conseilles la patience! Oh! en vérité, Colbert, tu te moques de moi: je meurs, et tu me cries d'attendre!

– Monseigneur, dit Colbert avec son sang-froid habituel, il est impossible que les choses n'arrivent pas comme je l'ai dit. Sa Majesté vient vous voir, c'est qu'elle vous rapporte elle-même la donation.

– Tu crois, toi? Eh bien! moi, au contraire, je suis sûr que Sa Majesté vient pour me remercier.

Anne d'Autriche rentra en ce moment; en se rendant près de son fils, elle avait rencontré dans les antichambres un nouvel empirique. Il était question d'une poudre qui devait sauver le cardinal. Anne d'Autriche apportait un échantillon de cette poudre. Mais ce n'était point cela que Mazarin attendait, aussi ne voulait-il pas même jeter les yeux dessus, assurant que la vie ne valait point toutes les peines qu'on prenait pour la conserver. Mais, tout en proférant cet axiome philosophique, son secret, si longtemps contenu, lui échappa enfin.

– Là, madame, dit-il, là n'est point l'intéressant de la situation; j'ai fait au roi, voici tantôt deux jours, une petite donation; jusqu'ici, par délicatesse sans doute, Sa Majesté n'en a point voulu parler; mais le moment arrive des explications et je supplie Votre Majesté de me dire si le roi a quelques idées sur cette matière.

Anne d'Autriche fit un mouvement pour répondre: Mazarin l'arrêta.

– La vérité, madame, dit-il; au nom du Ciel, la vérité! Ne flattez pas un mourant d'un espoir qui serait vain.

Là, il arrêta un regard de Colbert lui disant qu'il allait faire fausse route.

– Je sais, dit Anne d'Autriche, en prenant la main du cardinal; je sais que vous avez fait généreusement, non pas une petite donation, comme vous dites avec tant de modestie, mais un don magnifique; je sais combien il vous serait pénible que le roi…

Mazarin écoutait, tout mourant qu'il était, comme dix vivants n'eussent pu le faire.

– Que le roi? reprit-il.

– Que le roi, continua Anne d'Autriche, n'acceptât point de bon cœur ce que vous offrez si noblement.

Mazarin se laissa retomber sur l'oreiller comme Pantalon, c'est-à-dire avec tout le désespoir de l'homme qui s'abandonne au naufrage, mais il conserva encore assez de force et de présence d'esprit pour jeter à Colbert un de ces regards qui valent bien dix sonnets, c'est-à-dire dix longs poèmes.

– N'est-ce pas, ajouta la reine, que vous eussiez considéré le refus du roi comme une sorte d'injure?

Mazarin roula sa tête sur l'oreiller sans articuler une seule syllabe.

La reine se trompa, ou feignit de se tromper, à cette démonstration.

– Aussi, reprit-elle, je l'ai circonvenu par de bons conseils, et comme certains esprits, jaloux sans doute de la gloire que vous allez acquérir par cette générosité, s'efforçaient de prouver au roi qu'il devait refuser cette donation, j'ai lutté en votre faveur, et lutté si bien, que vous n'aurez pas, je l'espère, cette contrariété à subir.

– Oh! murmura Mazarin avec des yeux languissants, ah! que voilà un service que je n'oublierai pas une minute, pendant le peu d'heures qui me restent à vivre!

– Au reste, je dois le dire, continua Anne d'Autriche, ce n'est point sans peine que je l'ai rendu à Votre Éminence.

– Ah! peste! je le crois. Oh!

– Qu'avez-vous, mon Dieu?

– Il y a que je brûle.

– Vous souffrez donc beaucoup?

– Comme un damné!

Colbert eût voulu disparaître sous les parquets.

– En sorte, reprit Mazarin, que Votre Majesté pense que le roi… (il s'arrêta quelques secondes) que le roi, reprit-il après quelques secondes, vient ici pour me faire un petit bout de compliment?

– Je le crois, dit la reine.

Mazarin foudroya Colbert de son dernier regard. En ce moment, les huissiers annoncèrent le roi dans les antichambres pleines de monde. Cette annonce produisit un remue-ménage dont Colbert profita pour s'esquiver par la porte de la ruelle. Anne d'Autriche se leva, et debout attendit son fils. Louis XIV parut au seuil de la chambre, les yeux fixés sur le moribond, qui ne prenait plus même la peine de se remuer pour cette Majesté de laquelle il pensait n'avoir plus rien à attendre.

Un huissier roula un fauteuil près du lit. Louis salua sa mère, puis le cardinal, et s'assit. La reine s'assit à son tour.

Puis, comme le roi avait regardé derrière lui, l'huissier comprit ce regard, fit un signe et ce qui restait de courtisans sous les portières s'éloigna aussitôt.

Le silence retomba dans la chambre avec les rideaux de velours. Le roi, encore très jeune et très timide devant celui qui avait été son maître depuis sa naissance, le respectait encore bien plus dans cette suprême majesté de la mort; il n'osait donc entamer la conversation, sentant que chaque parole devait avoir une portée, non pas seulement sur les choses de ce monde, mais encore sur celles de l'autre. Quant au cardinal, il n'avait qu'une pensée en ce moment: sa donation. Ce n'était point la douleur qui lui donnait cet air abattu et ce regard morne; c'était l'attente devant de ce remerciement qui allait sortir de la bouche du roi, et couper court à toute espérance de restitution. Ce fut Mazarin qui rompit le premier le silence.

– Votre Majesté, dit-il, est venue s'établir à Vincennes?

Louis fit un signe de tête.

– C'est une gracieuse faveur, continua Mazarin, qu'elle accorde à un mourant, et qui lui rendra la mort plus douce.

– J'espère, répondit le roi, que je viens visiter, non pas un mourant, mais un malade susceptible de guérison.

Mazarin fit un mouvement de tête qui signifiait: «Votre Majesté est bien bonne, mais j'en sais plus qu'elle là-dessus.»

– La dernière visite, dit-il, Sire, la dernière.

– S'il en était ainsi, monsieur le cardinal, dit Louis XIV, je viendrais une dernière fois prendre les conseils d'un guide à qui je dois tout.

Anne d'Autriche était femme; elle ne put retenir ses larmes. Louis se montra lui-même fort ému, et Mazarin plus encore que ses deux hôtes, mais pour d'autres motifs.

Ici le silence recommença; la reine essuya ses joues et Louis reprit de la fermeté.

– Je disais, poursuivit le roi, que je devais beaucoup à Votre Éminence.

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