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Il n'attendit même pas la réponse de la jeune femme.

– Le type qui supervisait l'enlèvement d'Alice au Portugal, Vondt, il allait à un rendez-vous hier après-midi, à la pointe de Sagrès, qu'est-ce que vous pensez de ça?

Il y eut un long moment de silence. Et un faible, très lointain «bon dieu».

– D'autre part, Koesler m'a donné une vue d'ensemble des activités de notre chère rnadame K… Le mieux, maintenant ce serait que je vous le présente, de visu…

– Comment ça?

– Écoutez, j'en ai marre de faire le médiateur, j’ai un aperçu de son C.V. et je n'aime pas tellement ça, voyez?

– Vous… Vous avez appris quoi sur Koesler?

Hugo soupira. Cette flic était incorrigible.

– Il a travaillé dans des unités spéciales de la police et de l'armée en Afrique du Sud. Le genre à traquer des militants de l'ANC dans la brousse ou dans les townships, voyez?

– Je vois.

Le bruit du stylo sur un morceau de papier,

– Bon… Ça nous donne un point commun entre Sorvan, Vondt et Koesler, tous des anciens flics. Ça devait faire partie des méthodes de recrutement de la mère d'Alice, voyez?

– Oui, je vois.

– O.K., maintenant parlons clair: ce type m'encombre. Je dois reprendre la route et chercher Travis dans le coin dont je vous parlais hier soir… Je vous propose donc une chose. Votre avant-bras est suffisamment valide pour faire quinze bornes. Vous prenez Alice avec vous et je vous donne rendez-vous à Vila Real, à la frontière, sur les quais. Vous me remettez Alice, je vous remets Koesler. Vous l'interrogez, vous en faites ce que bon vous semble et Pinto et moi on cherche Travis, on le trouve et on remet Alice à son père…

Un très long silence, qu'il rompit:

– Écoutez, faisons ce que j'ai dit. Si madame K. est encore opérationnelle elle va continuer à traquer Travis et Alice… Le temps presse. Nous devons boucler cette affaire dans la journée… Faites ce que je dis, sans discuter, pour une fois.

Un autre silence, puis un soupir.

– O.K., je prétends que c'est dingue et dangereux mais je vais faire ce que vous dites et je ne sais absolument pas pourquoi… où ça sur les quais?

– Abordez les quais par l'entrée est et garez-vous aussitôt. Je serai là…

Il regarda le cadran de sa montre et fit un rapide calcul.

– Disons dans trois quarts d'heure. O.K.? Un morne «O.K.» lui répondit.

Il raccrochait déjà et courait se mettre au volant de la voiture.

Il fallait remettre cette petite fille à son père, maintenant, de toute urgence.

Il laissa Koesler dans le coffre et fonça d'une traite jusqu'à Vila Real. Là, il demanda à Pinto de louer une bagnole, tira du liquide avec la carte Zukor, lui fila le paquet d'escudos et lui dit de venir le rejoindre sur les quais.

Il n'attendit pas cinq minutes pour que la BMW fasse son apparition. Anita manœuvrait de sa main valide, l'autre simplement posée sur la résine brune du volant. Il ne vit Alice nulle part dans la voiture et une rage froide l'envahit. Il sortit de la Nissan et marcha d'un pas ferme sur le bord du quai. Si cette fliquesse comptait le baiser une fois de plus elle en serait pour son compte.

Anita ouvrit la portière passager alors qu'il arrivait à sa hauteur.

«Où est Alice, nom de dieu?» avait-il eu l'intention de hurler dès qu'il serait assis. Mais sur l'arrière de la banquette il aperçut le duvet militaire recouvrant une forme allongée, d'où dépassaient quelques mèches de cheveux noirs. Une paire d'yeux azur se découvrait lentement. Il esquissa un vague sourire et un rapide clin d'œil.

Il prit place en soupirant et tenta d'offrir un visage convenable à la jeune femme. Elle le regardait sans rien dire et, le temps qu'il s'adapte, un long silence plomba l'habitacle.

– Qu'est-ce qu'on fait exactement, maintenant? finit-elle par lâcher.

Il prit son inspiration et déroula son plan:

– Nous devons impérativement trouver Travis. Avant les autres. Je vous laisse Koesler, je prends Alice et je fonce vers Odeceixe, avec Pinto… J'espère trouver une trace solide dans la journée…

Il jetait un vague coup d'œil à l'horloge du tableau de bord en reprenant aussitôt:

– J'ai déjà perdu assez de temps comme ça. Vous avez Koesler, avec-lui vous pourrez remonter une bonne partie de la filière et localiser la mère. Pendant que vous l'interrogerez, moi je foncerai remettre Alice à son père.

Anita le regardait sans le voir, plongée dans une intense réflexion. Elle exhala un murmure:

– C'est trop dangereux…

– Nous devons courir le risque, maintenant. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu'il était dans le coin. Le voyant était en train de passer au rouge.

– Non, répéta-t -elle doucement. C'est trop dangereux. Il reste des types de la bande en liberté. Eva K. se planque sûrement à la Casa Azul… Dire que je n'y ai rien détecté de suspect mais que ça me semble tellement évident maintenant…

Elle semblait réellement mécontente d'elle. Hugo s'enfonça au creux du siège.

– Tout va bien, Alice? jeta-t-il par-dessus son épaule.

Un faible murmure lui répondit, étouffé par l'épaisseur de toile.

Anita ne le quittait pas des yeux.

– Bon… Que fait-on alors? Vous voulez vraiment battre la cambrousse avec Alice? Vous êtes dingue…

– Vous avez une meilleure solution?

– Oui, évidemment, confiez-moi Alice et Koesler, et je les mets tous deux illico sous la protection d'une centaine de policiers.

– J'me fiche de Koesler, mais vous savez aussi bien que moi que cent policiers armés n'empêcheront pas Mme Kristensen de reprendre sa fille, dans le plus strict respect de la légalité, ou, si ça se trouve, grâce à des complicités haut placées dans les bons ministères.

– Non, plus maintenant. Plus maintenant que nous avons Koesler, et les autres…

– Ne sous-estimez pas cette femme, Anita, ni ceux qui ont échappé au coup de filet.

– C'est très exactement ce que je dis. Alice doit rester en sécurité. Je ne pense pas que son père puisse la lui procurer. Nous devons sortir de la clandestinité et compter sur la justice désormais, si nous voulons y arriver.

La phrase résonna étrangement à ses oreilles. Un ou deux mois auparavant c'est ce que lui avait demandé un de ses amis, un jeune écrivain vivant à Paris comme lui, un Français qui participait également aux entreprises les plus secrètes du réseau Liberty-Bell. Tu ne crois pas que nous devrions reconsidérer le problème? Faire confiance à la justice légale, officielle? Et sortir de la clandestinité…

– Pas pour les crimes contre l'humanité, avait répondu Hugo. Nous sommes juste le bras armé du destin.

Il regarda Anita avec une intensité nouvelle.

– Je ne fais qu'une confiance limitée aux machineries administratives.

– Vous avez tort. Une bonne machinerie est souvent plus efficace qu'un régiment d'êtres humains.

– Ça dépend pour quoi faire. Certainement pas pour improviser, imaginer, penser, créer, s'adapter.

– Bon dieu, mais qu'est-ce que vous êtes donc, une espèce d'anarchiste?

– Une espèce en voie de disparition, ne vous inquiétez pas, mais nous allons tenter un dernier baroud d'honneur avant la fin du siècle…

Anita le regardait avec curiosité.

– Bon, trouvons un compromis, laissa tomber Hugo. Je vous propose la chose suivante: vingt-quatre heures de clandestinité encore. Jusqu'à demain midi disons. Si je n'ai pas trouvé le père d'Alice d'ici là, je laisse tomber. Pour sa sécurité je propose que vous veniez avec nous et qu'on vous laisse toutes deux dans un hôtel discret, dans le coin dont m'a parlé Pinto.

– Non, répondit-elle presque aussitôt, je dois m'occuper de l'interrogatoire de Koesler.

– Mais, putain de dieu, explosa Hugo sans crier gare, vous pourrez reprendre l'interview de Koesler dans un jour ou deux, quand nous aurons retrouvé Travis!

Sa voix avait claqué à ses propres oreilles.

– Non, je ne dois pas laisser une seconde de répit à Mme Kristensen… si elle est au Portugal je dois la coincer avant qu'elle ne file… Koesler a cité son nom, vous m'avez dit, il suffit qu'il le confirme sur procès-verbal et je la coincerai pour le restant de ses jours…

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