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Sur le pas de la porte, il hésita puis fourra sa main sous son blouson. Il la ressortit armée d'un gros automatique noir et luisant dont il manœuvra instantanément la culasse pour engager une balle dans le canon. Il poussa le cran de sûreté et remit le 9 mm dans son holster.

Il descendit l'escalier, ouvrit la porte du perron et jeta un coup d'œil sur les deux côtés, tendant l'oreille pour détecter un éventuel bruit de moteur. Rien.

Il s'avança jusqu'à la portière de la Volvo, mit la main sur la poignée froide et se figea. Il était absolument certain d'avoir placé le duvet et la couverture navajo sur la valise. Pas là. Pas par terre, étendus sur le plancher au pied de la banquette arrière.

Hugo retira doucement la main de la poignée et se déplaça de quelques centimètres pour mieux observer ce qu'il y avait sous le gros drap kaki.

Une forme.

Une forme humaine.

Il pouvait percevoir le soulèvement régulier d'une poitrine.

Hugo jeta un coup d'œil panoramique autour de lui, s'assura que la rue était déserte et que personne n'était à la fenêtre puis plaça la main sur la crosse sécurisante du Ruger.

Il l'extirpa doucement de son harnais de cuir, le colla à sa cuisse et posa l'autre main sur la poignée de la portière.

Il ouvrit brutalement la porte et dans le même mouvement plongea sa main vers le duvet qu'il empoigna et fit voler dans l'habitacle par-dessus les appuie-tête.

Il braqua le canon de l'automatique sur une petite tête blonde. Une petite tête âgée de douze ou treize ans, pas plus, et qui ouvrait deux yeux bleus, rougis par le sommeil, et aveuglés par la peur.

CHAPITRE 1

Alice Kristensen

Le samedi 10 avril 1993, un peu après huit heures du matin, une jeune adolescente se présenta au commissariat central d'Amsterdam.

Personne n'aurait pu deviner qu'elle mettrait toutes les polices d'Europe en alerte, et qu'un peu plus tard son visage et son nom couvriraient les premières pages des journaux de tout le continent.

C'était une très jeune fille blonde, d'une douzaine d'années environ, aux yeux d'un bleu profond, rayonnant d'intelligence et d'une forme de gravité intense très particulière et assez indéfinissable au premier abord. Elle était vêtue d'un blouson matelassé bleu marine doté d'une capuche ruisselante de pluie, car dehors il tombait un crachin dru et imperturbable depuis deux jours.

La petite fille mouillée s'était approchée du bureau de l'agent de service Cogel et était venue planter ses deux yeux bleus en plein dans le regard du jeune flic.

L'agent stagiaire Cogel avait souri le plus gentiment possible devant cette apparition un peu incongrue. Il s'était penché par-dessus le comptoir qui clôturait le service d'accueil et n'avait pas attendu que la fillette ait ouvert la bouche pour lui demander:

– Dis-moi, tu as perdu tes parents, c'est ça?

La petite fille tenait entre ses bras un petit sac de sport auquel elle s'agrippait comme à une bouée.

À la grande surprise de Cogel elle hocha négativement la tête, faillit articuler quelque chose puis se retint, se mordant les lèvres, comme pour s'empêcher au dernier instant de dévoiler un secret.

Le flic ne la vit pas détailler prestement l'organigramme affiché derrière lui. En moins de trois secondes, Alice avait assimilé le tableau et repéré ce dont elle avait besoin. BRIGADE CRIMINELLE. Deux mots en bâtonnets blancs qui lui avaient sauté au visage plus sûrement que s'ils avaient été des tubes de néon dans la nuit. Et une liste de noms juste dessous.

Elle ne sut pourquoi elle choisit d'emblée le prénom féminin, peut-être son initiale, mais une petite voix futée lui disait à l'intérieur d'elle-même que sa mère n'était sûrement pas étrangère au phénomène.

Pleine d'une assurance nouvelle elle lâcha crânement:

– Je désire voir l'inspecteur principal Anita Van Dyke. C'est très important.

Le jeune agent l'avait regardée d'un air amusé et lui avait lancé:

– L'inspecteur principal Van Dyke? Et c'est à quel sujet, mademoiselle?

Alice avait instantanément détesté le policier, trop mièvre, trop curieux et trop inerte. Elle avait alors pris une profonde inspiration, fermé les yeux un instant puis avait laissé tomber, d'une voix rauque, dure et froide, celle d'une petite fille riche et bien élevée et qui savait se faire respecter.

– Je vous prie de bien vouloir dire à l'inspecteur Van Dyke que c'est au sujet d'un meurtre…

Puis après un bref moment d'hésitation, profitant du silence qui plombait l'espace saturé de néon

– Disons de plusieurs meurtres. Vous pouvez l'appeler, s'il vous plaît?

La tonalité de sa voix venait de cingler l'air comme un petit fouet, punition bien méritée pour ce flic paresseux et qui ne voulait pas comprendre que c'était important.

L'agent se rua sur le téléphone et appela l'inspecteur dans son bureau.

Alice vit le jeune flic bafouiller des excuses et raccrocher le téléphone, le visage empourpré.

Il évita son regard et s'adressa à, elle en faisant le tour du comptoir par le bureau vitré:

– Je vous conduis chez l'inspecteur Van Dyke, suivez-moi.

Alice avait savouré son succès, bien mérité.

Elle avait pourtant parfaitement conscience que les choses sérieuses ne faisaient que commencer.

Le flic la devança jusqu'à l'ascenseur et ils montèrent jusqu'au troisième étage.

Alice se détourna presque dédaigneusement de l'agent Cogel et ne lui adressa pas la parole de toute la montée dans le cube métallique.

La porte coulissa sur une lumière crue, du bruit (des voix, des pas et le cliquètement des machines à écrire) et un distributeur de boissons.

La femme en uniforme qui se servait un café se retourna à l'arrivée de l'ascenseur et jeta un regard intrigué dans leur direction.

Cogel prit à droite et Alice le suivit dans le couloir. De chaque côté, des bureaux vitrés se succédaient, avec des hommes au téléphone, ou qui en interrogeaient d'autres en tapant maladroitement sur des claviers d'ordinateurs. Elle croisa une foule de types qui apostrophaient vaguement Cogel au passage. Salut Erik, comment va ce matin?

Le couloir était moite et chaud et elle rabattit sa capuche en arrière. Elle sentit ses cheveux humides se libérer lentement et retomber sur ses épaules. Les tubes de lumière qui couraient au plafond lui semblaient plus brulants que des alignements de sèche-cheveux.

Finalement elle se retrouva devant une porte de verre dépoli avec une plaque de plastique où s'étalaient les mots entraperçus au rez-de-chaussée.

Le jeune flic toussota avant de frapper respectueusement trois coups brefs au montant de la porte.

Une voix féminine résonna derrière l'épaisse cloison translucide.

L'agent Cogel ouvrit précautionneusement la porte, y encadra sa silhouette et fit un bref salut réglementaire. Il indiqua de la main à Alice qu'elle pouvait entrer dans le bureau, petite pièce dont les fenêtres donnaient sur la Marnixstraat, embrumée par la pluie qui s'activait sur les vitres.

Alice s'approcha lentement du bureau aux lignes dures et sévères, derrière lequel trônait une femme d'une trentaine d'années. Ses cheveux tombaient sur ses épaules, en paquets fauves. Ses yeux étaient d'un bleu vif et ses traits rayonnaient d'une aura d'intelligence et de féminité.

Impressionnée par l'élégance et la force intérieure qui se dégageaient de la jeune femme, Alice glissa jusqu'au bureau comme dans un rêve, les jambes cotonneuses, la respiration suspendue. Elle prit à peine conscience que le jeune flic de service s'effaçait et que la porte se refermait derrière elle.

Elle fit face à l'inspecteur Anita Van Dyke qui la regardait d'une manière grave, mais pas méchante, ni sévère, ni fermée. Elle se détendit un peu et attendit que le jeune flic parle. Elle lui jeta un regard à la dérobée, tentant de se familiariser avec sa présence.

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