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La chaîne libyque, avec ses lumières roses et ses ombres d’un bleu de saphir, fermait l’horizon et servait de fond aux gigantesques constructions des Rhamsès, d’Amenoph et de Menephta; les pylônes aux angles en talus, les murailles aux corniches évasées, les colosses aux mains posées sur les genoux se dessinaient, dorés par un rayon de soleil, sans que l’éloignement pût leur ôter de leur grandeur. Mais ce n’étaient pas ces orgueilleux édifices que regardait Pharaon; parmi les bouquets de palmiers et les champs cultivés, des maisons, des kiosques coloriés s’élevaient ça et là, tachetant la teinte vivace de la végétation. Sous un de ces toits, sous une de ces terrasses, Tahoser se cachait sans doute, et, par une opération magique, il eût voulu les soulever où les rendre transparents.

Les heures succédèrent aux heures: déjà le soleil avait disparu derrière les montagnes, lançant ses derniers feux à Thèbes, et les messagers ne revenaient pas. Pharaon gardait toujours son attitude immobile. La nuit s’étendit sur la ville, calme, fraîche et bleue; les étoiles se mirent à scintiller et à faire trembler leurs longs cils d’or dans l’azur profond; et sur le coin de la terrasse le Pharaon silencieux, impassible découpait ses noirs contours comme une statue de basalte scellée à l’entablement. Plusieurs fois les oiseaux nocturnes voltigèrent autour de sa tête pour s’y poser; mais, effrayés par sa respiration lente et profonde, ils s’enfuyaient en battant des ailes.

De cette hauteur, le roi dominait sa ville déployée à ses pieds. Du sein de l’ombre bleuâtre jaillissaient les obélisques aux pyramidions aigus, les pylônes, portes gigantesques traversées de rayons, les hautes corniches, les colosses émergeant jusqu’aux épaules du tumulte des constructions, les propylées, les colonnes épanouissant leurs chapiteaux comme d’énormes fleurs de granit, les angles des temples et des palais révélés par une touche argentée de lumière; les viviers sacrés s’étalaient en miroitant comme du métal poli, les sphinx et les criosphinx alignés en dromos allongeaient leurs pattes, évasaient leur croupe, et les toits plats se succédaient à l’infini, blanchissant sous la lune en masses coupées ça et là de tranches profonde; par les places et les rues: des points rouges piquaient cette obscurité bleue, comme si les étoiles eussent laissé tomber des étincelles sur la terre; c’étaient les lampes qui veillaient encore dans la ville endormie; plus loin, entre les édifices moins serrés, de vagues touffes de palmiers balançaient leurs éventails de feuilles; au-delà les contours et les formes se perdaient dans la vaporeuse immensité, car l’œil de l’aigle même n’aurait pu atteindre aux limites de Thèbes, et de l’autre côté le vieil Hôpi-Mou descendait majestueusement vers la mer.

Planant par l’œil et la pensée sur cette ville démesurée dont il était le maître absolu, Pharaon réfléchissait tristement aux bornes du pouvoir humain, et son désir, comme un vautour affamé, lui rongeait le cœur; il se disait:

«Toutes ces maisons renferment des êtres dont mon aspect fait courber le front dans la poussière, et pour qui ma volonté est un ordre des dieux. Lorsque je passe sur mon char d’or ou dans ma litière portée par des oëris, les vierges sentent leur sein palpiter en me suivant d’un long regard timide; les prêtres m’encensent avec la fumée des amschirs; le peuple balance des palmes ou répand des fleurs; le sifflement d’une de mes flèches fait trembler les nations, et les murs des pylônes, immenses comme des montagnes taillées à pic, suffisent à peine pour inscrire mes victoires; les carrières s’épuisent à fournir du granit pour mes images colossales; une fois, dans ma satiété superbe, je forme un souhait, et ce souhait je ne peux l’accomplir! Timopht ne reparaît pas: il n’aura rien trouvé sans doute. O Tahoser, Tahoser, que de bonheur tu me dois pour cette attente!» Cependant les émissaires, Timopht en tête, visitaient les maisons, battaient les routes, s’informant de la fille du prêtre, donnant son signalement aux voyageurs qu’ils rencontraient. Mais personne ne pouvait leur répondre.

Un premier messager parut sur la terrasse, annonçant au Pharaon que Tahoser ne se retrouvait pas.

Le Pharaon étendit son sceptre; le messager tomba mort, malgré la dureté proverbiale du crâne des Égyptiens.

Un second se présenta; il heurta du pied le corps de son camarade, allongé sur la dalle; un tremblement le prit, car il vit que le Pharaon était en colère.

«Et Tahoser? dit le Pharaon sans changer de posture.

– O Majesté! sa trace est perdue», répondit le malheureux agenouillé dans l’ombre, devant cette ombre noire qui ressemblait plutôt à une statue osirienne qu’à un roi vivant.

Le bras de granit se détacha du torse immobile, et le sceptre de métal descendit comme un carreau de foudre. Le second messager roula à côté du premier.

Un troisième eut le même sort.

… De maison en maison, Timopht arriva au pavillon de Poëri, qui, rentré de son excursion nocturne, s’était étonné le matin de ne pas voir la fausse Hora. Harphré et les servantes qui la veille avaient soupé avec elle ne savaient pas ce qu’elle pouvait être devenue; sa chambre visitée était vide; on l’avait cherchée vainement dans les jardins, les celliers, les greniers et les lavoirs.

Aux questions de Timopht, Poëri répondit qu’en effet une jeune fille s’était présentée à sa porte avec l’attitude suppliante du malheur, implorant à genoux l’hospitalité, qu’il l’avait accueillie favorablement, lui offrant le couvert et la nourriture, mais qu’elle s’en était allée d’une façon mystérieuse, et pour une cause qu’il ne pouvait soupçonner. Quel chemin avait-elle pris? il l’ignorait. Sans doute, un peu reposée, elle avait continué sa route vers un but inconnu. Elle était belle, triste, couverte d’une simple étoffe, et semblait pauvre; le nom d’Hora qu’elle s’était donné déguisait-il le nom de Tahoser? il laissait la sagacité de Timopht décider cette question.

Muni de ces renseignements, Timopht revint au palais, et, se tenant hors de la portée du sceptre du Pharaon, il lui raconta ce qu’il avait appris.

«Qu’est-elle allée faire chez Poëri? se dit le Pharaon:

si vraiment Hora cache Tahoser, elle aime Poëri. Non, car elle ne se serait pas enfuie de la sorte après avoir été reçue sous son toit. Ah! je la retrouverai, dussé-je bouleverser l’Égypte, des cataractes au Delta.»

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