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Quand Poëri fut entré, la fille de Pétamounoph s’approcha, sans qu’un caillou eût crié sous son pas de fantôme, sans qu’un chien eût signalé sa présence en donnant de la voix; elle fit le tour de la cahute, comprimant son cœur, retenant son haleine, et découvrit, en la voyant luire sur le fond sombre de la muraille d’argile, une fente assez large pour laisser pénétrer le regard à l’intérieur.

Une petite lampe éclairait la chambre, moins pauvre qu’on n’eût pu le penser d’après l’apparence du taudis; les parois lissées avaient un poli de stuc. Sur des socles de bois peints de couleurs variées étaient posés des vases d’or et d’argent; des bijoux scintillaient dans des coffres entrouverts. Des plats de métal brillant rayonnaient sur le mur, et un bouquet de fleurs rares s’épanouissait dans un pot de terre émaillée au milieu d’une petite table.

Mais ce n’étaient pas ces détails d’ameublement qui intéressaient Tahoser, quoique le contraste de ce luxe caché avec la misère extérieure de l’habitation lui eût d’abord causé quelque surprise. Son attention était invinciblement attirée par un autre objet.

Sur une estrade tapissée de nattes se tenait une femme de race inconnue et merveilleusement belle. Elle était blanche plus qu’aucune des filles d’Égypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s’étendaient comme des arcs d’ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d’un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. Ses yeux ressemblaient à des yeux de tourterelle, vifs et langoureux à la fois; ses lèvres étaient deux bandelettes de pourpre, et en se dénouant montraient des éclairs de perles; ses cheveux se suspendaient, de chaque côté de ses joues de grenade, en touffes noires et lustrées comme deux grappes de raisin mûr; des pendeloques frissonnaient à ses oreilles, et des colliers d’or à plaquettes incrustées d’argent scintillaient autour de son col rond et poli comme une colonne d’albâtre.

Son vêtement était singulier: il consistait en une large tunique brodée de zébrures et de dessins symétriques de diverses couleurs, descendant des épaules jusqu’à mi-jambe et laissant les bras libres et nus.

Le jeune Hébreu s’assit près d’elle, sur la natte, et lui tint des discours dont Tahoser ne pouvait comprendre la lettre, mais dont elle devinait trop bien le sens pour son malheur: car Poëri et Ra’hel s’exprimaient dans la langue de la patrie, si douce à l’exilé et au captif.

L’espérance est dure à mourir au cœur amoureux.

«Peut-être est-ce sa sœur, se dit Tahoser, et vient-il la voir secrètement, ne voulant pas qu’on sache qu’il appartient à cette race réduite en servitude.» Puis elle appliquait son visage à la crevasse, écoutant avec une douloureuse intensité d’attention ces mots harmonieux et cadencés dont chaque syllabe contenait un secret qu’elle eût donné sa vie pour savoir, et qui bruissaient vagues, fugitifs, dénués de signification à ses oreilles, comme le vent dans les feuilles et l’eau contre la rive.

«Elle est bien belle.., pour une sœur.., murmurait-elle, en dévorant d’un œil jaloux cette figure étrange et charmante, au teint pâle, aux lèvres rouges, que rehaussaient des parures de formes exotiques, et dont la beauté avait quelque chose de mystérieusement fatal.

– O Ra’hel! ma bien-aimée Ra’hel», disait souvent Poëri.

Tahoser se souvint de lui avoir entendu murmurer ce mot pendant qu’elle éventait et berçait son sommeil.

«Il y pensait même en rêve: Ra’hel, c’est son nom sans doute.» Et la pauvre enfant sentit à la poitrine une souffrance aiguë, comme si tous les uraeus des entablements, toutes les vipères royales des couronnes pharaoniques lui eussent planté leurs crochets venimeux au cœur.

Ra’hel inclina sa tête sur l’épaule de Poëri, comme une fleur trop chargée de parfums et d’amour; les lèvres du jeune homme effleuraient les cheveux de la belle Juive, qui se renversait lentement, offrant son front moite et ses yeux demi-fermés à cette caresse suppliante et timide; leurs mains qui se cherchaient s’étaient unies et se pressaient nerveusement.

«Oh! que ne l’ai-je surpris à quelque cérémonie impie et monstrueuse, égorgeant de ses mains une victime humaine, buvant le sang dans une coupe de terre noire, s’en frottant la face! il me semble que cela m’eût fait moins souffrir que l’aspect de cette belle femme qu’il embrasse si timidement», balbutia Tahoser d’une voix faible, en s’affaissant sur la terre dans l’ombre de la cahute.

Deux fois elle essaya de se relever, mais elle retomba à genoux; un nuage couvrit ses yeux; ses membres fléchirent; elle roula évanouie.

Cependant Poëri sortait de la cabane et donnait à Ra’hel un dernier baiser.

X

Pharaon, inquiet et furieux de la disparition de Tahoser, avait cédé à ce besoin de changer de place qui agite les cœurs tourmentés d’une passion inassouvie. Au grand chagrin d’Amensé, de Hont-Reché et de Twéa, ses favorites, qui s’étaient efforcées de le retenir au pavillon d’été par toutes les ressources de la coquetterie féminine, il habitait le palais du Nord, sur l’autre rive du Nil. Sa préoccupation farouche s’irritait de la présence et du babil de ses femmes.

Tout ce qui n’était pas Tahoser lui déplaisait; il trouvait laides maintenant ces beautés qui lui paraissaient si charmantes naguère; leurs corps jeunes, sveltes, gracieux, aux poses pleines de volupté; leurs longs yeux avivés d’antimoine où brillait le désir; leurs bouches pourprées aux dents blanches et au sourire languissant: tout en elles, jusqu’aux parfums suaves qui émanaient de leur peau fraîche comme d’un bouquet de fleurs ou d’une boîte d’aromates, lui était devenu odieux, intolérable; il semblait leur en vouloir de les avoir aimées, et ne plus comprendre comment il s’était épris de charmes si vulgaires. Lorsque Twéa lui posait sur la poitrine les doigts effilés et roses de sa petite main tremblante d’émotion, comme pour faire renaître le souvenir d’une familiarité ancienne, que Hont-Reché poussait devant lui l’échiquier supporté par deux lions adossés, afin d’engager une partie ou qu’Amensé lui présentait une fleur de lotus avec une grâce respectueuse et suppliante, il se retenait à peine de les frapper de son sceptre, et ses yeux d’épervier lançaient de tels éclairs de dédain que les pauvres femmes qui s’étaient risquées à ces hardiesses se retiraient interdites, les paupières moites de larmes, et s’appuyaient silencieusement à la muraille peinte, tâchant de se confondre par leur immobilité avec les figures des fresques.

Pour éviter ces scènes de pleurs et de violence, il s’était retiré au palais de Thèbes, seul, taciturne et farouche; et là, au lieu de rester assis sur son trône, dans l’attitude solennelle des dieux et des rois qui, pouvant tout, ne remuent pas et ne font pas de gestes, il se promenait fiévreusement à travers les immenses salles.

C’était un spectacle étrange que de voir ce Pharaon à la haute stature, au maintien imposant, formidable comme les colosses de granit, ses images, faire retentir les larges dalles sous le patin recourbé de sa chaussure.

A son passage, les gardes terrifiés semblaient se figer en statues; leur souffle s’arrêtait, et l’on ne voyait même plus trembler la double plume d’autruche de leur coiffure. Lorsqu’il était loin, à peine osaient-ils se dire:

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