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Un support, fiché dans le socle sur lequel était placée la musicienne, et traversé d’une cheville en forme de clef, servait de point d’appui à la harpe, dont, sans cela, le poids eût pesé tout entier sur l’épaule de la jeune femme. Cette harpe, terminée par une sorte de table d’harmonie, arrondie en conque et coloriée de peintures ornementales, portait, à son extrémité supérieure, une tête sculptée d’Hâthor surmontée d’une plume d’autruche; les cordes, au nombre de neuf, se tendaient diagonalement et frémissaient sous les doigts longs et menus de la harpiste, qui souvent, pour atteindre les notes graves, se penchait, avec un mouvement gracieux comme si elle eût voulu nager sur les ondes sonores de la musique, et accompagner l’harmonie qui s’éloignait.

Derrière elle, une autre musicienne debout, qu’on aurait pu croire nue sans le léger brouillard blanc qui atténuait la couleur bronzée de son corps, jouait d’une espèce de mandore au manche démesurément long, dont les trois cordes étaient coquettement ornées, à leur extrémité, de houppes de couleur. Un de ses bras, mince et rond cependant, s’allongeait jusqu’au haut du manche avec une pose sculpturale, tandis que l’autre soutenait l’instrument et agaçait les cordes.

Une troisième jeune femme, que son énorme chevelure faisait paraître encore plus fluette, marquait la mesure sur un tympanon formé d’un cadre de bois légèrement infléchi en dedans et tendu de peau d’onagre.

La joueuse de harpe chantait une mélopée plaintive, accompagnée à l’unisson, d’une douceur inexprimable et d’une tristesse profonde. Les paroles exprimaient de vagues aspirations, des regrets voilés, un hymne d’amour à l’inconnu, et des plaintes timides sur la rigueur des dieux et la cruauté du sort.

Tahoser, le coude appuyé sur un des lions de son fauteuil, la main à la joue et le doigt retroussé contre la tempe, écoutait avec une distraction plus apparente que réelle le chant de la musicienne; parfois un soupir gonflait sa poitrine et soulevait les émaux de son gorgerin; parfois une lueur humide, causée par une larme qui germait, lustrait le globe de son œil entre les lignes d’antimoine, et ses petites dents mordaient sa lèvre inférieure comme si elle se fût rebellée contre son émotion.

«Satou, fit-elle en frappant l’une contre l’autre ses mains délicates pour imposer silence à la musicienne, qui étouffa aussitôt avec sa paume les vibrations de la harpe, ton chant m’énerve, m’alanguit, et me ferait tourner la tête comme un parfum trop fort. Les cordes de ta harpe semblent tordues avec les fibres de mon cœur et me résonnent douloureusement dans la poitrine; tu me rends presque honteuse, car c’est mon âme qui pleure à travers la musique; et qui peut t’en avoir dit les secrets?

– Maîtresse, répondit la harpiste, le poète et le musicien savent tout; les dieux leur révèlent les choses cachées; ils expriment dans leurs rythmes ce que la pensée conçoit à peine et ce que la langue balbutie confusément. Mais si mon chant t’attriste, je puis, en changeant de mode, faire naître des idées plus riantes dans ton esprit.» Et Satou attaqua les cordes de sa harpe avec une énergie joyeuse et sur un rythme vif que le tympanon accentuait de coups pressés; après ce prélude, elle entonna un chant célébrant les charmes du vin, l’enivrement des parfums et le délire de la danse.

Quelques-unes des femmes qui, assises sur ces pliants à cols de cygnes bleus dont le bec jaune mord les bâtons du siège, ou agenouillées sur des coussins écarlates gonflés de barbe de chardon, gardaient, sous l’influence de la musique de Satou, des poses d’une langueur désespérée, frissonnèrent, ouvrirent les narines, aspirèrent le rythme magique, se dressèrent sur leurs pieds, et, mues d’une impulsion irrésistible, se mirent à danser.

Une coiffure en forme de casque échancré à l’oreille enveloppait leur chevelure, dont quelques spirales s’échappaient et flagellaient leurs joues brunes, où l’ardeur de la danse mit bientôt des couleurs roses. De larges cercles d’or battaient leur col, et à travers leur longue chemise de gaze, brodée de perles par en haut, on voyait leurs corps couleur de bronze jaune doré s’agiter avec une souplesse de couleuvre; elles se tordaient, se cambraient, remuaient leurs hanches cerclées d’une étroite ceinture, se renversaient, prenaient des attitudes penchées, inclinaient la tête à droite et à gauche comme si elles eussent trouvé une volupté secrète à frôler de leur menton poli leur épaule froide et nue, se rengorgeaient comme des colombes, s’agenouillaient et se relevaient, serraient les mains contre leur poitrine ou déployaient moelleusement leurs bras qui semblaient battre des ailes comme ceux d’Isis et de Nephtys, traînaient leurs jambes, ployaient leurs jarrets, déplaçaient leurs pieds agiles par de petits mouvements saccadés, et suivaient toutes les ondulations de la musique.

Les suivantes, debout contre la muraille pour laisser le champ libre aux évolutions des danseuses, marquaient le rythme en faisant craquer leurs doigts ou en frappant l’une contre l’autre la paume de leurs mains. Celles-ci, entièrement nues, n’avaient pour ornement qu’un bracelet en pâte émaillée; celles-là, vêtues d’un pagne étroit retenu par des bretelles, portaient pour coiffure quelques brins de fleurs tordus.

C’était étrange et gracieux. Les boutons et les fleurs, doucement agités, répandaient leurs parfums à travers la salle, et ces jeunes femmes couronnées eussent pu offrir aux poètes d’heureux sujets de comparaison.

Mais Satou s’était exagéré la puissance de son art. Le rythme joyeux semblait avoir accru la mélancolie de Tahoser. Une larme roulait sur sa belle joue, comme une goutte d’eau du Nil sur un pétale de nymphaea, et, cachant sa tête contre la poitrine de la suivante favorite qui se tenait accoudée au fauteuil de sa maîtresse, elle murmura dans un sanglot, avec un gémissement de colombe étouffée:

«Oh! ma pauvre Nofré, je suis bien triste et bien malheureuse!»

II

Nofré fit un signe, pressentant une confidence; la harpiste, les deux musiciennes, les danseuses et les suivantes se retirèrent silencieusement à la file, comme les figures peintes sur les fresques. Lorsque la dernière eut disparu, la suivante favorite dit à sa maîtresse d’un ton câlin et compatissant, comme une jeune mère qui berce les petits chagrins de son nourrisson:

«Qu’as-tu, chère maîtresse, pour être triste et malheureuse? N’es-tu pas jeune, belle à faire envie aux plus belles, libre, et ton père, le grand prêtre Pétamounoph, dont la momie ignorée repose dans un riche tombeau, ne t’a-t-il pas laissé de grands biens dont tu disposes à ton gré? Ton palais est très beau, tes jardins sont très vastes et arrosés d’eaux transparentes. Tes coffres de pâte émaillée et de bois de sycomore contiennent des colliers, des pectoraux, des gorgerins, des anneaux pour les jambes, des bagues aux chatons finement travaillés; tes robes, tes calasiris, tes coiffures dépassent le nombre des jours de l’année; Hôpi-Mou, le père des eaux, recouvre régulièrement de sa vase féconde tes domaines, dont un gypaète volant à tire-d’aile ferait à peine le tour d’un soleil à l’autre; et ton cœur, au lieu de s’ouvrir joyeusement à la vie comme un bouton de lotus au mois d’Hâthor ou de Choïack, se referme et se contracte douloureusement.» Tahoser répondit à Nofré:

«Oui, certes, les dieux des zones supérieures m’ont favorablement traitée; mais qu’importent toutes les choses qu’on possède, si l’on n’a pas la seule qu’on souhaite? Un désir non satisfait rend le riche aussi pauvre dans son palais doré et peint de couleurs vives, au milieu de ses amas de blé, d’aromates et de matières précieuses, que le plus misérable ouvrier des Memnonia qui recueille avec de la sciure de bois le sang des cadavres, ou que le nègre demi-nu manœuvrant sur le Nil sa frêle barque de papyrus, à l’ardeur du soleil de midi.» Nofré sourit et dit d’un air d’imperceptible raillerie:

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