Une autre cour se présenta ensuite, entourée d’un promenoir couvert et de colonnes trapues portant pour chapiteau un dé de grès dur sur lequel pesait une massive architrave.
Un caractère d’indestructibilité était écrit dans les lignes droites et les formes géométriques de cette architecture bâtie avec des quartiers de montagnes: les piliers et les colonnes semblaient se piéter puissamment pour soutenir le poids des immenses pierres appuyées sur les cubes de leurs chapiteaux; les murs se renverser en talus afin d’avoir plus d’assiette, et les assises se joindre de façon à ne former qu’un seul bloc; mais des décorations polychromes, des bas-reliefs en creux rehaussés de teintes plates d’un vif éclat donnaient, dans le jour, de la légèreté et de la richesse à ces énormes masses qui, la nuit, reprenaient toute leur carrure.
Sur la corniche de style égyptien, dont la ligne inflexible tranchait dans le ciel un vaste parallélogramme d’azur foncé, tremblotaient au souffle intermittent de la brise des lampes allumées de distance en distance; le vivier, placé au milieu de la cour, mêlait, en les reflétant, leurs étincelles rouges aux étincelles bleues de la lune; des rangées d’arbustes plantés autour du bassin dégageaient leurs parfums faibles et doux.
Au fond s’ouvrait la porte du gynécée et des appartements secrets, décorés avec une magnificence toute particulière.
Au-dessous du plafond régnait une frise d’uraeus dressés sur la queue et gonflant la gorge. Sur l’entablement de la porte, dans la courbure de la corniche, le globe mystique déployait ses immenses ailes imbriquées; des colonnes disposées en lignes symétriques supportaient d’épaisses membrures de grès formant des soffites, dont le fond bleu était constellé d’étoiles d’or. Sur les murailles, de grands tableaux découpés en bas-reliefs méplats et coloriés des teintes les plus brillantes représentaient les occupations familières du gynécée et les scènes de la vie intime. On y voyait le Pharaon sur son trône et jouant gravement aux échecs avec une de ses femmes se tenant nue et debout devant lui, la tête ceinte d’un large bandeau d’où s’épanouissaient en gerbe des fleurs de lotus. Dans un autre tableau, le Pharaon, sans rien perdre de son impassibilité souveraine et sacerdotale, allongeait la main et touchait le menton d’une jeune fille, vêtue d’un collier et d’un bracelet, qui lui présentait un bouquet à respirer.
Ailleurs on l’apercevait incertain et souriant, comme s’il eût malicieusement suspendu son choix, au milieu des jeunes reines agaçant sa gravité par toutes sortes de coquetteries caressantes et gracieuses.
D’autres panneaux représentaient des musiciennes et des danseuses, des femmes au bain, inondées d’essence et massées par des esclaves, avec une élégance de poses, une suavité juvénile de formes et une pureté de traits qu’aucun art n’a dépassées.
Des dessins d’ornementation d’un goût riche et compliqué, d’une exécution parfaite, où se mariaient le vert, le rouge, le bleu, le jaune, le blanc, couvraient les espaces laissés vides. Dans des cartouches et des bandes allongées en stèles se lisaient les titres du Pharaon et des inscriptions en son honneur.
Sur le fût des énormes colonnes tournaient des figures décoratives ou symboliques coiffées du pschent, armées du tau, qui se suivaient processionnellement, et dont l’œil, dessiné de face sur une tête de profil, semblait regarder curieusement dans la salle. Des lignes d’hiéroglyphes perpendiculaires séparaient les zones de personnages. Parmi les feuilles vertes découpées sur le tambour du chapiteau, des boutons et des calices de lotus se détachaient avec leurs couleurs naturelles et simulaient des corbeilles fleuries.
Entre chaque colonne, une selle élégante de bois de cèdre peint et doré soutenait sur sa plate-forme une coupe de bronze remplie d’huile parfumée, où les mèches de coton puisaient une clarté odorante.
Des groupes de vases allongés et reliés par des guirlandes alternaient avec les lampes et faisaient épanouir au pied des colonnes des gerbes aux barbes d’or, mêlées d’herbes des champs et de plantes balsamiques.
Au milieu de la salle, une table ronde en porphyre, dont le disque était supporté par une figure de captif, disparaissait sous un entassement d’urnes, de vases, de buires, de pots, d’où jaillissait une forêt de fleurs artificielles gigantesques:
car des fleurs vraies eussent semblé mesquines au centre de cette salle immense, et il fallait mettre la nature en proportion avec le travail grandiose de l’homme; les plus vives couleurs, jaune d’or, azur, pourpre, diapraient ces calices énormes.
Au fond s’élevait le trône ou fauteuil du Pharaon, dont les pieds croisés bizarrement et retenus par des nervures enroulées contenaient, dans l’ouverture de leurs angles, quatre statuettes de prisonniers barbares asiatiques ou africains, reconnaissables à leurs physionomies et à leurs vêtements; ces malheureux, les coudes noués derrière le dos, à genoux dans une posture incommode, le corps tendu, portaient sur leur tête humiliée le coussin quadrillé d’or, de rouge et de noir où s’asseyait leur vainqueur. Des mufles d’animaux chimériques, dont la gueule laissait échapper en guise de langue une longue houppe rouge, ornaient les traverses du siège.
De chaque côté du trône étaient rangés, pour les princes, des fauteuils moins riches, mai, encore d’une élégance extrême et d’un caprice charmant: car les Égyptiens ne sont pas moins adroits à sculpter le buis de cèdre, de cyprès et de sycomore, à le dorer, à le colorier, à l’incruster d’émaux qu’à tailler dans les carrières de Philae ou de Syène de monstrueux blocs granitiques pour les palais des Pharaons et le sanctuaire des dieux.
Le roi traversa la salle d’un pas lent et majestueux, sans que ses paupières teintes eussent palpité une fois; rien n’indiquait qu’il entendît les cris d’amour qui l’accueillaient, ou qu’il aperçût les êtres humains agenouillés ou prosternés, dont les plis de sa calasiris effleuraient le front en écumant autour de ses pieds; il s’assit les chevilles jointes et les mains posées sur les genoux, dans l’attitude solennelle des divinités.
Les jeunes princes, beaux comme des femmes, prirent place à la droite et à la gauche de leur père. Des serviteurs les dépouillèrent de leurs gorgerins d’émaux, de leurs ceinturons et de leurs glaives, versèrent sur leurs cheveux des flacons d’essences, leur frottèrent les bras d’huiles aromatiques, et leur présentèrent des guirlandes de fleurs, frais colliers de parfums, luxe odorant, mieux accommodé aux fêtes que la lourde richesse de l’or, des pierres précieuses et des perles, et qui, du reste, s’y marie admirablement.
De belles esclaves nues, dont le corps svelte offrait le gracieux passage de l’enfance à l’adolescence, les hanches cerclées d’une mince ceinture qui ne voilait aucun de leurs charmes, une fleur de lotus dans les cheveux, une buire d’albâtre rubané à la main, s’empressaient timidement autour du Pharaon, et répandaient l’huile de palme sur ses épaules, ses bras et son torse polis comme le jaspe. D’autres servantes agitaient autour de sa tête de larges éventails de plumes d’autruche peintes, ajustées à des manches d’ivoire ou de bois de santal, qui, échauffé par leurs petites mains, dégageait une odeur délicieuse; quelques-unes élevaient à la hauteur des narines du Pharaon des tiges de nymphaea au calice épanoui comme la coupe des amschirs. Tous ces soins étaient rendus avec une dévotion profonde et une sorte de terreur respectueuse, comme à une personne divine, immortelle, descendue par pitié des zones supérieures parmi le vil troupeau des hommes. Car le roi est le fils des dieux, le favori de Phré, le protégé d’Ammon-Ra.