Des prêtres, se retournant à intervalles égaux, allongeaient vers lui leurs amschirs après avoir jeté de l’encens sur les charbons allumés dans la petite coupe de bronze, soutenue par une main emmanchée d’une espèce de sceptre terminé à l’autre bout par une tête d’animal sacré, et marchaient respectueusement à reculons pendant que la fumée odorante et bleue montait aux narines du triomphateur, en apparence indifférent à ces honneurs comme une divinité de bronze ou de basalte.
Douze oëris ou chefs militaires, la tête couverte d’un léger casque surmonté d’une plume d’autruche, le torse nu, les reins enveloppés d’un pagne à plis roides, portant devant eux leur targe suspendue à leur ceinture, soutenaient une sorte de pavois sur lequel posait le trône du Pharaon. C’était un siège à pieds et à bras de lion, au dossier élevé, garni d’un coussin débordant, orné sur sa face latérale d’un lacis de fleurs roses et bleues; les pieds, les bras, les nervures du trône étaient dorés, et de vives couleurs remplissaient les places laissées vides par la dorure.
De chaque côté du brancard, quatre flabellières agitaient au bout de hampes dorées d’énormes éventails de plumes d’une forme semi-circulaire; deux prêtres soulevaient une grande corne d’abondance richement ornementée, d’où retombaient en gerbes de gigantesques fleurs de lotus.
Le Pharaon était coiffé d’un casque allongé en mitre, découpant par une échancrure la conque de l’oreille et se rabattant vers la nuque pour la protéger. Sur le fond bleu du casque scintillait un semis de points semblables à des prunelles d’oiseau et formés de trois cercles noirs, blancs et rouges; un liséré écarlate et jaune en garnissait le bord, et la vipère symbolique, tordant ses anneaux d’or sur la partie antérieure, se redressait et se rengorgeait au-dessus du front royal; deux longues barbes cannelées et de couleur pourpre flottaient sur les épaules et complétaient cette coiffure d’une majestueuse élégance.
Un large gorgerin à sept rangs d’émaux, de pierres précieuses et de perles d’or s’arrondissait sur la poitrine du Pharaon et jetait de vives lueurs au soleil. Pour vêtement supérieur il portait une espèce de brassière quadrillée de rose et de noir, dont les bouts allongés en bandelettes tournaient plusieurs fois autour du buste et le serraient étroitement; les manches, coupées à la hauteur du biceps et bordées de lignes transversales d’or, de rouge et de bleu, laissaient voir des bras ronds et forts, dont le gauche était garni d’un large poignet de métal destiné à amortir le frôlement de la corde lorsque le Pharaon décochait une flèche de son arc triangulaire, et dont le droit, orné d’un bracelet composé d’un serpent enroulé plusieurs fois sur lui-même, tenait un long sceptre d’or terminé par un bouton de lotus. Le reste du corps était enveloppé d’une draperie du plus fin lin à plis multipliés, arrêtée aux hanches par une ceinture imbriquée de plaquettes en émail et en or. Entre la brassière et la ceinture, le torse apparaissait luisant et poli comme le granit rose travaillé par un ouvrier habile. Des sandales à pointes recourbées, pareilles à des patins, chaussaient ses pieds étroits et longs, rapprochés l’un de l’autre comme les pieds des dieux sur les murailles des temples.
Sa figure lisse, imberbe, aux grands traits purs, qu’il ne semblait au pouvoir d’aucune émotion humaine de déranger et que le sang de la vie vulgaire ne colorait pas, avec sa pâleur morte, ses lèvres scellées, ses yeux énormes, agrandis de lignes noires, dont les paupières ne s’abaissaient non plus que celles de l’épervier sacré, inspirait par son immobilité même une respectueuse épouvante. On eût dit que ces yeux fixes ne regardaient que l’éternité et l’infini; les objets environnants ne paraissaient pas s’y refléter. Les satiétés de la jouissance, le blasement des volontés satisfaites aussitôt qu’exprimées, l’isolement du demi-dieu qui n’a pas de semblables parmi les mortels, le dégoût des adorations et comme l’ennui du triomphe avaient figé à jamais cette physionomie, implacablement douce et d’une sérénité granitique. Osiris jugeant les âmes n’eût pas eu l’air plus majestueux et plus calme.
Un grand lion privé, couché à côté de lui sur le brancard, allongeait ses énormes pattes comme un sphinx sur son piédestal, et clignait ses prunelles jaunes.
Une corde, attachée à la litière, reliait au Pharaon les chars de guerre des chefs vaincus; il les traînait derrière lui, comme des animaux à la laisse. Ces chefs, à l’attitude morne et farouche, dont les coudes rapprochés par une ligature formaient un angle disgracieux, vacillaient gauchement à la trépidation des chars, que menaient des cochers égyptiens.
Ensuite venaient les chars de guerre des jeunes princes de la famille royale; des chevaux de race pure, aux formes élégantes et nobles, aux jambes fines, aux jarrets nerveux, à la crinière taillée en brosse, les traînaient, attelés deux à deux, en secouant leurs têtes empanachées de plumes rouges, ornées de têtières et de frontaux à bossettes de métal. Un timon courbe appuyait sur leurs garrots garnis de panneaux écarlates deux sellettes surmontées de boules en airain poli, et que réunissait un joug léger, infléchi comme un arc dont les cornes rebrousseraient; une sous-ventrière et une courroie pectorale richement piquée et brodée, de riches housses rayées de bleu ou de rouge et frangées de houppes complétaient ce harnachement solide, gracieux et léger.
La caisse du char, peinte de rouge et de vert, garnie de plaques et de demi-sphères de bronze, semblable à l’umbo des boucliers, était flanquée de deux grands carquois posés diagonalement en sens contraire, dont l’un renfermait des javelines et l’autre des flèches. Sur chaque face, un lion sculpté et doré, les pattes en arrêt, le mufle plissé par un effroyable rictus, semblait rugir et vouloir s’élancer sur les ennemis.
Les jeunes princes avaient pour coiffure une bandelette qui serrait leurs cheveux et où s’entortillait, en gonflant sa gorge, la vipère royale; pour vêtement une tunique ornée au col et aux manches de broderies éclatantes et cerclée à la taille d’un ceinturon de cuir fermé par une plaque de métal gravée d’hiéroglyphes; à ce ceinturon était passé un long poignard à lame d’airain triangulaire, dont la poignée cannelée transversalement se terminait en tête d’épervier.
Sur le char, à côté de chaque prince, se tenaient le cocher chargé de conduire le char pendant la bataille, et l’écuyer occupé à parer avec le bouclier les coups dirigés vers le combattant, pendant que lui-même décochait les flèches ou dardait les javelines puisées aux carquois latéraux.
A la suite des princes arrivaient les chars, cavalerie des Égyptiens, au nombre de vingt mille, chacun traîné par deux chevaux et monté par trois hommes. Ils s’avançaient par dix de front, les essieux se touchant presque et ne se heurtant jamais, tant l’habileté des cochers était grande.
Quelques chars moins pesants, destinés aux escarmouches et aux reconnaissances, marchaient en tête et ne portaient qu’un seul guerrier ayant, pour garder les mains libres pendant la bataille, les rênes de son attelage passées autour du corps; avec quelques pesées à droite, à gauche ou en arrière, il dirigeait et arrêtait ses chevaux; et c’était vraiment merveilleux de voir ces nobles bêtes, qui semblaient abandonnées à elles-mêmes, guidées par d’imperceptibles mouvements, conserver une imperturbable régularité d’allure.