Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Le tumulte augmentait; les tourbillons de poussière s’ouvrirent, et les premières files de musiciens débouchèrent dans l’immense arène, à la grande satisfaction de la multitude, qui malgré son respect pour la majesté pharaonique, commençait à se lasser d’attendre sous un soleil qui eût fait fondre tout autre crâne que des crânes égyptiens.

L’avant-garde des musiciens s’arrêta quelques instants; des collèges de prêtres, des députations des principaux habitants de Thèbes traversèrent le champ de manœuvre pour aller au-devant du Pharaon, et se rangèrent en haie dans les poses du respect le plus profond, de manière à laisser le passage libre au cortège.

La musique, qui, à elle seule, eût pu former une petite armée, se composait de tambours, de tambourins, de trompettes et de sistres.

Le premier peloton passa, sonnant une retentissante fanfare de triomphe dans ses courts clairons de cuivre brillants comme de l’or. Chacun de ces musiciens portait un second clairon sous le bras, comme si l’instrument avait dû se fatiguer plutôt que l’homme. Le costume de ces trompettes consistait en une sorte de courte tunique serrée par une ceinture dont les larges bouts retombaient par-devant; une bandelette où s’implantaient deux plumes d’autruche divergentes serrait leur épaisse chevelure. Ces plumes ainsi posées rappelaient les antennes des scarabées et donnaient à ceux qui en étaient coiffés une bizarre apparence d’insectes.

Les tambours, vêtus d’une simple cotte plissée et nus jusqu’à la ceinture, frappaient avec des baguettes en bois de sycomore la peau d’onagre de leurs caisses au ventre bombé, suspendues à un baudrier de cuir, d’après le rythme que leur indiquait en tapant dans ses mains un maître tambour qui se retournait souvent vers eux.

Après les tambours venaient les joueurs de sistre, qui secouaient leur instrument par un geste brusque et saccadé, et faisaient sonner, à intervalles mesurés, les anneaux de métal sur les quatre tringles de bronze.

Les tambourins portaient transversalement devant eux leur caisse oblongue, rattachée par une écharpe passée derrière leur col, et frappaient à pleins poings la peau tendue aux deux bouts.

Chaque corps de musique ne comptait pas moins de deux cents hommes; mais l’ouragan de bruit que produisaient clairons, tambours, sistres, tambourins, et qui eût fait saigner les oreilles dans l’intérieur d’un palais, n’avait rien de trop éclatant ni de trop formidable sous la vaste coupole du ciel, au milieu de cet immense espace, parmi ce peuple bourdonnant, en tête de cette armée à lasser les nornenclateurs, qui s’avançait avec le grondement des grandes eaux.

Était-ce trop d’ailleurs de huit cents musiciens pour précéder un Pharaon bien-aimé d’Ammon-Ra, représenté par des colosses de basalte et de granit de soixante coudées de haut, ayant son nom écrit dans des cartouches sur des monuments impérissables, et son histoire sculptée et peinte sur les murs des salles hypostyles, sur les parois des pylônes, en interminables bas-reliefs, en fresques sans fin? était-ce trop, en vérité, pour un roi soulevant par leur chevelure cent peuples conquis, et du haut de son trône morigénant les nations avec son fouet, pour un Soleil vivant brûlant les yeux éblouis, pour un dieu, à l’éternité près?

Après la musique arrivaient les captifs barbares, à tournures étranges, à masque bestial, à peau noire, à chevelure crépue, ressemblant autant au singe qu’à l’homme, et vêtus du costume de leur pays: une jupe au-dessus des hanches et retenue par une bretelle unique, brodée d’ornements de couleurs diverses.

Une cruauté ingénieuse et fantasque avait présidé à l’enchaînement de ces prisonniers. Les uns étaient liés derrière le dos par les coudes; les autres, par les mains élevées au-dessus de la tête, dans la position la plus gênante; ceux-ci avaient les poignets pris dans des cangues de bois; ceux-là, le col étranglé dans un carcan ou dans une corde qui enchaînait toute une file, faisant un nœud à chaque victime. Il semblait qu’on eût pris plaisir à contrarier autant que possible les attitudes humaines, en garrottant ces malheureux qui s’avançaient devant leur vainqueur d’un pas gauche et contraint, roulant de gros yeux et se livrant à des contorsions arrachées par la douleur.

Des gardiens marchant à côté d’eux réglaient leur allure à coups de bâton.

Des femmes basanées, aux longues tresses pendantes, portant leurs enfants dans un lambeau d’étoffe noué à leur front, venaient derrière, honteuses, courbées, laissant voir leur nudité grêle et difforme, vil troupeau dévoué aux usages les plus infimes.

D’autres, jeunes et belles, la peau d’une nuance moins foncée, les bras ornés de larges cercles d’ivoire, les oreilles allongées par de grands disques de métal, s’enveloppaient de longues tuniques à manches larges, entourées au col d’un ourlet de broderies et tombant à plis fins et pressés jusque sur leurs chevilles, où bruissaient des anneaux; pauvres filles arrachées à leur patrie, à leurs parents, à leurs amours peut-être; elles souriaient cependant à travers leurs larmes, car le pouvoir de la beauté est sans bornes, l’étrangeté fait naître le caprice, et peut-être la faveur royale attendait-elle une de ces captives barbares dans les profondeurs secrètes du gynécée.

Des soldats les accompagnaient et les préservaient du contact de la foule.

Les porte-étendards venaient ensuite, élevant les hampes dorées de leurs enseignes représentant des bans mystiques, des éperviers sacrés, des têtes d’Hâthor surmontées de plumes d’autruche, des ibex ailés, des cartouches historiés au nom du roi, des crocodiles et autres symboles religieux ou guerriers. A ces étendards étaient nouées de longues cravates blanches, ocellées de points noirs que le mouvement de la marche faisait gracieusement voltiger.

A l’aspect des étendards annonçant la venue du Pharaon, les députations de prêtres et de notables tendirent vers lui leurs mains suppliantes, ou les laissèrent pendre sur leurs genoux, les paumes tournées en l’air. Quelques-uns même se prosternèrent les coudes serrés au long du corps, le front dans la poudre, avec des attitudes de soumission absolue et d’adoration profonde; les spectateurs agitaient en tous sens leurs grandes palmes.

Un héraut ou lecteur, tenant à la main un rouleau couvert de signes hiéroglyphiques, s’avança tout seul entre les porte étendards et les thuriféraires qui précédaient la litière du roi.

Il proclamait d’une voix forte, retentissante comme une trompette d’airain, les victoires du Pharaon: il disait les fortunes des divers combats, le nombre des captifs et des chars de guerre enlevés à l’ennemi, le montant du butin, les mesures de poudre d’or, les dents d’éléphant, les plumes d’autruche, les masses de gomme odorante, les girafes, les lions, les panthères et autres animaux rares; il citait le nom des chefs barbares tués par les javelines ou les flèches de Sa Majesté, l’Aroëris tout-puissant, le favori des dieux.

A chaque énonciation, le peuple poussait une clameur immense, et, du haut des talus, jetait sur la route du vainqueur de longues branches vertes de palmier qu’il balançait.

Enfin le Pharaon parut!

17
{"b":"100209","o":1}