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[126] Quelque différence qu'il y ait entre les fortunes, il y a pourtant une certaine proportion de biens et de maux qui les rend égales (max. 52, I 61).

[127] Ceux qui se sentent du mérite se piquent toujours d'être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu'il sont de véritables héros, puisque la mauvaise fortune ne s'opiniâtre jamais à persécuter que les personnes qui ont des qualités extraordinaires: de là vient qu'on se console souvent d'être malheureux par un certain plaisir qu'on trouve à le paraître (MS 10, I 60).

[128] On n'est jamais si malheureux qu'on croit, ni si heureux qu'on espère (MS 9, I 59).

[129] La plupart des gens ne voient dans les hommes que la vogue qu'ils ont, et le mérite de leur fortune (max. 212, I 224).

[130] Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts (max. 190, I 198).

[131] Quoique la prudence des ministres se flatte de la grandeur de leurs actions, elles sont bien souvent l'effet du hasard ou de quelque petit dessein (max. 57, I 66).

[132] La haine qu'on a pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la fortune et de la faveur; c'est aussi la rage de n'avoir point de faveur, qui se console et s'adoucit un peu par le mépris des favoris. C'est enfin une secrète envie de les détruire, qui fait que nous leur ôtons nos propres hommages, ne pouvant pas leur ôter les qualités qui leur attirent ceux de tout le monde (max. 55, I 64).

[133] Les grands hommes s'abattent et se démontent enfin par la longueur de leurs infortunes; cela ne veut pas dire qu'ils fussent forts quand ils les supportaient, mais seulement qu'ils se donnaient la géhenne pour le paraître, et qu'ils soutenaient leurs malheurs par la force de leur ambition et non pas par celle de leur âme. Cela fait voir manifestement qu'à une grande vanité près les héros sont faits comme les autres hommes (max. 24, I 27).

[134] Ceux qui voudraient définir la victoire par sa naissance seraient tentés, comme les poètes, de l'appeler la fille du ciel, puisqu'on ne trouve point son origine sur la terre. En effet elle est produite par une infinité d'actions qui, au lieu de l'avoir pour but, regarde seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire, et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général (MS 41, I 232).

[135] On ne fait point de distinction dans les espèces de colères, bien qu'il y en ait une légère et quasi innocente, qui vient de l'ardeur de la complexion, et une autre très criminelle, qui est, proprement parler, la fureur de l'orgueil et de l'amour-propre (MS 30, I 159).

[136] Nous nous apercevons des emportements et des mouvements extraordinaires de nos humeurs et de notre tempérament, comme de la violence de la colère; mais personne quasi ne s'aperçoit que ces humeurs ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et tourne doucement notre volonté à des actions différentes. Elles roulent ensemble (s'il faut ainsi dire) et exercent successivement leur empire, de sorte qu'elles ont une part considérable à toutes nos actions, dont nous croyons être les seuls auteurs, et le caprice de l'humeur est encore plus bizarre que celui de la fortune (max. 297 et 45, I 48 et 50).

[137] L'orgueil a bien plus de part que la charité aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes, et nous les reprenons bien moins pour les en corriger que pour les persuader que nous en sommes exempts; et si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres (max. 37 et 34, I 41 et 38).

[138] Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur que ce que nous prisons souvent pour des vertus n'est en effet qu'un nombre de vices qui leur ressemblent, et que l'orgueil et l'amour-propre nous ont déguisés (épigraphe de 1678. I 181).

[139] L'orgueil se dédommage toujours, et il ne perd rien lors même qu'il renonce à la vanité (max. 33. I 36).

[140] L'aveuglement des hommes est le plus dangereux effet de leur orgueil. Il sert à le nourrir et à l'augmenter, et c'est bien pour manquer de lumière que nous ignorons toutes nos misères et tous nos défauts (MS 19. I 102).

[141] Rien ne nous plaît tant que la confiance des grands et des personnes considérables par leurs emplois, par leur esprit ou par leur mérite. Elle nous fait sentir un plaisir exquis et élève merveilleusement notre orgueil, parce que nous la regardons comme un effet de notre fidélité. Cependant nous serions remplis de confusion si nous considérions l'imperfection et la bassesse de sa naissance; car elle vient de la vanité, de l'envie de parler et de l'impuissance de retenir les secrets. De sorte qu'on peut dire que la confiance est un relâchement de l'âme, causé par le nombre et par le poids des choses dont elle est pleine (max. 239. I 255).

[142] Les philosophes, et Sénèque surtout, n'ont point ôté les crimes par leurs préceptes, ils n'ont fait que les employer aux bâtiments de l'orgueil (MS 21, I 105).

[143] L'orgueil, comme lassé des ses artifices et des différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre avec un visage naturel, et se découvre par la fierté, de sorte qu'à proprement parler la fierté est l'éclat et la déclaration de l'orgueil (MS 6. I 37).

[144] Quand la vanité ne fait point parler, on n'a pas envie de dire grand'chose (max. 137. I 139).

[145] On ne saurait compter toutes les espèces de vanité. Pour cela il faut savoir le détail des choses, et comme il est presque infini. De là vient que si peu de gens sont savants, et que nos connaissances sont superflues et imparfaites. On décrit les choses au lieu de les définir. En effet on ne les connaît et on ne les peut connaître qu'en gros, et par des marques communes. C'est comme si quelqu'un disait que le corps humain est droit, et composé de différentes parties, sans dire la matière, la situation, les fonctions, les rapports et les différences de ses parties (MP 6 et max. 106, I 116).

[146] C'est plutôt par l'estime de nos sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par leur mérite; et nous nous louons en effet, lorsqu'il semble que nous leur donnons des louanges. La modestie, qui semble les refuser, n'est en effet qu'un désir d'en avoir de plus délicates (max. 143 et MS 27, I 146 et 147).

[147] On n'aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt. La louange est une flatterie habile, cachée et délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne et celui qui la reçoit: l'un la prend comme une récompense de son mérite, l'autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement (max. 144. I 148).

[148] Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui découvrent par contre-coup des défauts en nos amis, que nous n'osons divulguer (max. 145, I 149).

[149] Nous élevons la gloire des uns pour abaisser par là celle des autres, et on louerait moins Monsieur le Prince et Monsieur de Turenne, si on ne voulait pas les blâmer tous deux (max. 198, I 149. 2e état).

[150] Peu de gens sont assez sages pour aimer mieux le blâme qui leur sert que la louange qui les trahit (max. 147. I 152).

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