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Si le siècle présent n'a pas moins produit d'événements extraordinaires que les siècles passés, on conviendra sans doute qu'il a le malheureux avantage de les surpasser dans l'excès des crimes. La France même, qui les a toujours détestés, qui y est opposée par l'humeur de la nation, par la religion, et qui est soutenue par les exemples du prince qui règne, se trouve néanmoins aujourd'hui le théâtre où l'on voit paraître tout ce que l'histoire et la fable nous ont dit des crimes de l'antiquité Les vices sont de tous les temps, les hommes sont nés avec de l'intérêt, de la cruauté et de la débauche; mais si des personnes que tout le monde connaît avaient paru dans les premiers siècles, parlerait-on présentement des prostitutions d'Héliogabale, de la foi des Grecs et des poisons et des parricides de Médée?

Appendice aux événements de ce siècle

1. Portrait de Mme de Montespan

Diane de Rochechouart est fille du duc de Mortemart et femme du marquis de Montespan. Sa beauté est surprenante; son esprit et sa conversation ont encore plus de charme que sa beauté. Elle fit dessein de plaire au Roi et de l'ôter à La Vallière dont il était amoureux. Il négligea longtemps cette conquête, et il en fit même des railleries. Deux ou trois années se passèrent sans qu'elle fît d'autres progrès que d'être dame du palais attachée particulièrement à la Reine, et dans une étroite familiarité avec le Roi et La Vallière. Elle ne se rebuta pas néanmoins, et se confiant à sa beauté, à son esprit, et aux offices de Mme de Montausier, dame d'honneur de la Reine, elle suivit son projet sans douter de l'événement. Elle ne s'y est pas trompée: ses charmes et le temps détachèrent le Roi de La Vallière, et elle se vit maîtresse déclarée. Le marquis de Montespan sentit son malheur avec toute la violence d'un homme jaloux. Il s'emporta contre sa femme; il reprocha publiquement à Mme de Montausier qu'elle l'avait entraînée dans la honte où elle était plongée. Sa douleur et son désespoir firent tant d'éclat qu'il fut contraint de sortir du royaume pour conserver sa liberté. Mme de Montespan eut alors toute la facilité qu'elle désirait, et son crédit n'eut plus de bornes. Elle eut un logement particulier dans toutes les maisons du Roi; les conseils secrets se tenaient chez elle. La Reine céda à sa faveur comme tout le reste de la cour, et non seulement il ne lui fut plus permis d'ignorer un amour si public, mais elle fut obligée d'en voir toutes les suites sans oser se plaindre, et elle dut à Mme de Montespan les marques d'amitié et de douceur qu'elle recevait du Roi. Mme de Montespan voulut encore que La Vallière fût témoin de son triomphe, qu'elle fût présente et auprès d'elle à tous les divertissements publics et particuliers; elle la fit entrer dans le secret de la naissance de ses enfants dans les temps où elle cachait son état à ses propres domestiques. Elle se lassa enfin de la présence de La Vallière malgré ses soumissions et ses souffrances, et cette fille simple et crédule fut réduite à prendre l'habit de carmélite, moins par dévotion que par faiblesse, et on peut dire qu'elle ne quitta le monde que pour faire sa cour.

2. Portrait du cardinal de Retz

Paul de Gondi, cardinal de Retz, a beaucoup d'élévation, d'étendue d'esprit, et plus d'ostentation que de vraie grandeur de courage. Il a une mémoire extraordinaire, plus de force que de politesse dans ses paroles, l'humeur facile, de la docilité et de la faiblesse à souffrir les plaintes et les reproches de ses amis, peu de piété, quelques apparences de religion. Il paraît ambitieux sans l'être; la vanité, et ceux qui l'ont conduit, lui ont fait entreprendre de grandes choses presque toutes opposées à sa profession; il a suscité les plus grands désordres de l'État sans avoir un dessein formé de s'en prévaloir, et bien loin de se déclarer ennemi du cardinal Mazarin pour occuper sa place, il n'a pensé qu'à lui paraître redoutable, et à se flatter de la fausse vanité de lui être opposé. Il a su profiter néanmoins avec habileté des malheurs publics pour se faire cardinal; il a souffert la prison avec fermeté, et n'a dû sa liberté qu'à sa hardiesse. La paresse l'a soutenu avec gloire, durant plusieurs années, dans l'obscurité d'une vie errante et cachée. Il a conservé l'archevêché de Paris contre la puissance du cardinal Mazarin; mais après la mort de ce ministre il s'en est démis sans connaître ce qu'il faisait, et sans prendre cette conjoncture pour ménager les intérêts de ses amis et les siens propres. Il est entré dans divers conclaves, et sa conduite a toujours augmenté sa réputation. Sa pente naturelle est l'oisiveté; il travaille néanmoins avec activité dans les affaires qui le pressent, et il se repose avec nonchalance quand elles sont finies. Il a une présence d'esprit, et il sait tellement tourner à son avantage les occasions que la fortune lui offre qu'il semble qu'il les ait prévues et désirées. Il aime à raconter; il veut éblouir indifféremment tous ceux qui l'écoutent par des aventures extraordinaires, et souvent son imagination lui fournit plus que sa mémoire. Il est faux dans la plupart de ses qualités, et ce qui a le plus contribué à sa réputation c'est de savoir donner un beau jour à ses défauts. Il est insensible à la haine et à l'amitié, quelque soin qu'il ait pris de paraître occupé de l'une ou de l'autre; il est incapable d'envie ni d'avarice, soit par vertu ou par inapplication. Il a plus emprunté de ses amis qu'un particulier ne devait espérer de leur pouvoir rendre; il a senti de la vanité à trouver tant de crédit, et à entreprendre de s'acquitter. Il n'a point de goût ni de délicatesse; il s'amuse à tout et ne se plaît à rien; il évite avec adresse de laisser pénétrer qu'il n'a qu'une légère connaissance de toutes choses. La retraite qu'il vient de faire est la plus éclatante et la plus fausse action de sa vie; c'est un sacrifice qu'il fait à son orgueil, sous prétexte de dévotion: il quitte la cour, où il ne peut s'attacher, et il s'éloigne du monde, qui s'éloigne de lui.

3. Remarques sur les commencements de la vie du cardinal de Richelieu

Monsieur de Luçon, qui depuis a été cardinal de Richelieu, s'étant attaché entièrement aux intérêts du maréchal d'Ancre, lui conseilla de faire la guerre; mais après lui avoir donné cette pensée et que la proposition en fut faite au Conseil, Monsieur de Luçon témoigna de la désapprouver et s'y opposa pour ce que M. de Nevers, qui croyait que la paix fût avantageuse pour ses desseins, lui avait fait offrir le prieuré de La Charité par le P. Joseph, pourvu qu'il la fît résoudre au Conseil. Ce changement d'opinion de Monsieur de Luçon surprit le maréchal d'Ancre, et l'obligea de lui dire avec quelque aigreur qu'il s'étonnait de le voir passer si promptement d'un sentiment à un autre tout contraire; à quoi Monsieur de Luçon répondit ces propres paroles, que les nouvelles rencontres demandent de nouveaux conseils. Mais jugeant bien par là qu'il avait déplu au maréchal, il résolut de chercher les moyens de le perdre; et un jour que Déageant l'était allé trouver pour lui faire signer quelques expéditions, il lui dit qu'il avait une affaire importante à communiquer à M. de Luynes, et qu'il souhaitait de l'entretenir. Le lendemain, M. de Luynes et lui se virent, où Monsieur de Luçon lui dit que le maréchal d'Ancre était résolu de le perdre, et que le seul moyen de se garantir d'être opprimé par un si puissant ennemi était de le prévenir. Ce discours surprit beaucoup M. de Luynes, qui avait déjà pris cette résolution, ne sachant si ce conseil, qui lui était donné par une créature du maréchal, n'était point un piège pour le surprendre et pour lui faire découvrir ses sentiments. Néanmoins Monsieur de Luçon lui fit paraître tant de zèle pour le service du Roi et un si grand attachement à la ruine du maréchal, qu'il disait être le plus grand ennemi de l'État, que M. de Luynes, persuadé de sa sincérité, fut sur le point de lui découvrir son dessein, et de lui communiquer le projet qu'il avait fait de tuer le maréchal; mais s'étant retenu alors de lui en parler, il dit à Déageant la conversation qu'ils avaient eue ensemble et l'envie qu'il avait de lui faire part de son secret; ce que Déageant désapprouva entièrement, et lui fit voir que ce serait donner un moyen infaillible à Monsieur de Luçon de se réconcilier à ses dépens avec le maréchal, et de se joindre plus étroitement que jamais avec lui, en lui découvrant une affaire de cette conséquence: de sorte que la chose s'exécuta, et le maréchal d'Ancre fut tué sans que Monsieur de Luçon en eût connaissance. Mais les conseils qu'il avait donnés à M. de Luynes, et l'animosité qu'il lui avait témoigné d'avoir contre le maréchal le conservèrent, et firent que le Roi lui commanda de continuer d'assister au Conseil, et d'exercer sa charge de secrétaire d'État comme il avait accoutumé: si bien qu'il demeura encore quelque temps à la cour, sans que la chute du maréchal qui l'avait avancé nuisît à sa fortune. Mais, comme il n'avait pas pris les mêmes précautions envers les vieux ministres qu'il avait fait auprès de M. de Luynes, M. de Villeroy et M. le président Jeannin, qui virent par quel biais il entrait dans les affaires, firent connaître à M. de Luynes qu'il ne devait pas attendre plus de fidélité de lui qu'il en avait témoigné pour le maréchal d'Ancre, et qu'il était nécessaire de l'éloigner comme une personne dangereuse et qui voulait s'établir par quelques voies que ce pût être: ce qui fit résoudre M. de Luynes à lui commander de se retirer à Avignon.

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