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32. Lettre de Mme de Guymené à Mme de Sablé. 1663.

Je vous allais écrire quand j’ai reçu votre lettre pour vous supplier de m’envoyer votre carrosse aussitôt que vous aurez dîné. Je n’ai encore vu que les premières maximes, à cause que j’avais hier mal à la tête; mais ce que j’en ai vu me paraît plus fondé sur l’humeur de l’auteur que sur la vérité, car il ne croit point de libéralité sans intérêt, ni de pitié; c’est qu’il juge tout le monde par lui-même. Pour le plus grand nombre, il a raison; mais assurément il y a des gens qui ne désirent autre chose que de faire du bien.

Je crois vous avoir déjà mandé que je n’ai jamais souhaité d’Altesse de vous. Je n’ai garde d’en vouloir en sérieux, et en dérision elle me choquerait. J’aurai l’honneur de vous voir après dîner si vous m’envoyez votre carrosse.

33. Lettre de Mme de Liancourt à Mme de Sablé. 1663.

Je n’avais qu’une partie d’un petit cahier des maximes que vous savez, quand j’eus l’honneur de vous voir, et il débutait si cruellement contre les vertus qu’il me scandalisa, aussi bien que beaucoup d’autres; mais depuis j’ai tout lu, et je fais amende honorable à votre jugement, car je vois bien qu’il y a dans cet écrit de fort jolies choses, et même, je crois, de bonnes, pourvu qu’on ôte l’équivoque qui fait confondre les vraies vertus avec les fausses. Un de mes amis a changé quelques mots en plusieurs articles, qui raccommodent, je crois, ce qu’il y avait de mal; je vous les irai lire un de ces jours, si vous avez loisir de me donner audience.

34. Lettre, d’auteur inconnu, à Mme de Sablé. 1663.

Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir fait un jugement de moi si avantageux que de croire que j’étais capable de dire mon sentiment de l’écrit que vous m’avez envoyé. Je vous proteste, Madame, avec toute la sincérité de mon cœur, quoique l’auteur de l’écrit n’en croie point de véritable que j’en suis incapable et que je n’entends rien en ces choses si subtiles et si délicates; mais puisque vous commandez, il faut obéir. Je vous dirai donc, Madame, après avoir bien considéré cet écrit que ce n’est qu’une collection de plusieurs livres d’où l’on a choisi les sentences, les pointes et les choses qui avaient plus de rapport au dessein de celui qui a prétendu en faire un ouvrage considérable. J’ai l’esprit si rempli des idées de maçonneries que je m’imagine que tout ce que je vois en a la ressemblance et que cet ouvrage s’y peut comparer. Je sais bien que vous direz que je ne suis qu’un maçon ou un charpentier en cette matière, mais vous m’avouerez aussi qu’il est composé de différents matériaux, on y remarque de belles pierres, j’en demeure d’accord; mais on ne saurait disconvenir qu’il ne s’y trouve aussi du moellon et beaucoup de plâtras, qui sont si mal joints ensemble qu’il est impossible qu’ils puissent faire corps ni liaison, et par conséquent que l’ouvrage puisse subsister. Après la raillerie il est bon d’entrer un peu dans le sérieux, et de vous dire que les auteurs des livres desquels on a colligé ces sentences, ces pointes et ces périodes les avaient mieux placées; car si l’on voyait ce qui était devant et après, assurément on en serait plus édifié ou moins scandalisé. Il y a beaucoup de simples dont le suc est poison, qui ne sont point dangereux lorsqu’on n’en a rien extrait et que la plante est en son entier. Ce n’est pas que cet écrit ne soit bon en de bonnes mains, comme les vôtres, qui savent tirer le bien du mal même; mais aussi on peut dire qu’entre les mains de personnes libertines ou qui auraient de la pente aux opinions nouvelles, que cet écrit les pourrait confirmer dans leur erreur, et leur faire croire qu’il n’y a point du tout de vertu, et que c’est folie de prétendre de devenir vertueux, et jeter ainsi le monde dans l’indifférence et dans l’oisiveté, qui est la mère de tous les vices. J’en parlai hier à un homme de mes amis, qui me dit qu’il avait vu cet écrit, et qu’à son avis il découvrait les parties honteuses de la vie civile et de la société humaine, sur lesquelles il fallait tirer le rideau; ce que je fais, de peur que cela fasse mal aux yeux délicats, comme les vôtres, qui ne sauraient rien souffrir d’impur et de déshonnête.

35. Lettre d’auteur inconnu, à Mme de Sablé. 1663.

Je vous suis infiniment obligé, Madame, de m’avoir donné la pièce que je vous renvoie, et encore que je n’aie eu que le loisir de la parcourir dans le peu de temps que vous m’avez prescrit pour la lire, je n’ai pas laissé d’en retirer beaucoup de plaisir et de profit, et une estime si particulière pour l’auteur et pour son ouvrage qu’en vérité je ne suis pas capable de vous la bien exprimer.

L’on voit bien que ce faiseur de maximes n’est pas un homme nourri dans la province, ni dans l’Université; c’est un homme de qualité qui connaît parfaitement la cour et le monde, qui en a goûté autrefois toutes les douceurs, qui en a aussi senti souvent les amertumes, et qui s’est donné le loisir d’en étudier et d’en pénétrer tous les détours et toutes les finesses. Mais outre cela, comme la nature lui a donné cette étendue d’esprit, cette profondeur et ce discernement, joint à la droiture, à la délicatesse et à ce beau tour dont il parle en quelques endroits de cet écrit, il ne faut pas s’étonner s’il a prononcé si judicieusement sur des matières qu’il avait si parfaitement connues.

Pour ce qui est de l’ouvrage, c’est à mon sens la plus belle et la plus utile philosophie qui se fit jamais; c’est l’abrégé de tout ce qu’il y a de sage et de bon dans toutes les anciennes et nouvelles sectes des philosophes, et quiconque saura bien cet écrit n’a plus besoin de lire Sénèque, ni Épictète, ni Montaigne, ni Charron, ni tout ce qu’on a ramassé depuis peu de la morale des sceptiques et des épicuriens. On apprend véritablement à se connaître dans ces livres, mais c’est pour en devenir plus superbe et plus amateur de soi-même; celui-ci nous fait connaître, mais c’est pour nous mépriser et pour nous humilier; c’est pour nous donner de la défiance et nous mettre sur nos gardes contre nous-mêmes et contre toutes les choses qui nous touchent et nous environnent; c’est pour nous donner du dégoût de toutes les choses du monde et nous en détacher, nous tourner du côté de Dieu, qui seul est bon, juste, immuable et digne d’être aimé, honoré, et servi. On pourrait dire que le chrétien commence où votre philosophe finit, et l’on ne pourrait faire une instruction plus propre à un catéchumène, pour convertir à Dieu son esprit et sa volonté; et cela me fait souvenir d’une excellente comparaison, que j’ai autrefois lue dans une épître de Sénèque: C’est une chose bien étrange, dit-il, de considérer un enfant, pendant les neuf mois qu’il demeure dans le ventre de sa mère, avant que de venir au monde; il a des yeux, et ne voit point; il a des oreilles, et il n’entend point; il ne sait ce qu’il doit devenir; il n’a aucune connaissance de la vie en laquelle il doit entrer. Que si cet enfant pouvait raisonner, n’est-il pas vrai qu’il jugerait bien que toutes ces facultés et tous ces organes ne lui sont pas donnés en vain par la nature? que puisqu’il a une bouche il ne doit pas prendre la nourriture comme une plante? que puisqu’il a des pieds, des mains et des bras, il n’est pas dans l’existence des choses pour être toujours en la forme d’une boule, parmi des ordures, dans une prison étroite et ténébreuse? et, de ces réflexions, il viendrait assurément à la connaissance de la vie qu’il doit mener sur la terre. Il en est de même, dit Sénèque, de l’état des hommes qui sont en cette vie présente, à l’égard de la future: ils ressemblent, pour la plupart, à ces enfants faibles et impuissants dont nous venons de parler; ils vivent sans réflexion; ils se laissent conduire à la coutume; ils s’abandonnent à leurs passions; mais s’ils prenaient garde qu’ils ont une âme vaste et noble qui s’élève au-dessus de la matière, qu’ils ont des puissance qui ne peuvent être remplies ni rassasiées par la possession d’aucune créature, qu’ils ont des désirs qui ne peuvent être limités ni par les lieux, ni par les temps, et qu’enfin ils ne ressentent ici que des misères au lieu de la félicité à laquelle ils aspirent naturellement, ils concluraient sans doute qu’il y doit avoir un autre monde que celui-ci, et que Dieu ne les a mis sur la terre que pour y mériter le ciel.

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