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CCXXXI

L'intrépidité doit soutenir le cœur dans les conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermeté qui lui est nécessaire dans les périls de la guerre.

CCXXXII

Ceux qui voudraient définir la victoire par sa naissance seraient tentés comme les poètes de l'appeler la fille du Ciel, puisqu'on ne trouve point son origine sur la terre. En effet, elle est produite par une infinité d'actions qui, au lieu de l'avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général.

CCXXXIII

La plupart des hommes s'exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur. Mais peu se veulent toujours exposer autant qu'il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s'exposent.

CCXXXIV

La vanité, la honte, et surtout le tempérament, font la valeur des hommes.

CCXXXV

On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire; de là vient que les braves ont plus d'adresse et d'esprit pour éviter la mort que les gens de chicane pour conserver leur bien.

CCXXXVI

On ne peut répondre de son courage quand on n'a jamais été dans le péril.

CCXXXVII

Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi de marchands: elle soutient le commerce; et nous ne payons pas pour la justice qu'il y a de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.

CCXXXVIII

Tous ceux qui s'acquittent des devoirs de la reconnaissance ne peuvent pas pour cela se flatter d'être reconnaissants.

CCXXXIX

Ce qui fait tout le mécompte dans la reconnaissance qu'on attend des grâces qu'on a faites, c'est que l'orgueil de celui qui donne, et l'orgueil de celui qui reçoit, ne peuvent convenir du prix du bienfait.

CCXL

Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une obligation est une espèce d'ingratitude.

CCXLI

On donne plus souvent des bornes à sa reconnaissance qu'à ses désirs et à ses espérances.

CCXLII

L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour-propre ne veut pas payer.

CCXLIII

Le bien qu'on nous a fait veut que nous respections le mal que l'on nous a fait après.

CCXLIV

Rien n'est si contagieux que l'exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui ne produisent infailliblement leurs pareils. Nous imitons les bonnes actions par l'émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature qui étant retenue en prison par la honte est mise en liberté par l'exemple.

CCXLV

L'imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait déplaît avec les mêmes choses qui charment lorsqu'elles sont naturelles.

CCXLVI

Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n'est que l'intérêt et la vanité qui les causent.

CCXLVII

Il y a une espèce d'hypocrisie dans les afflictions, car sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui nous est chère nous nous pleurons nous-mêmes; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération, en la personne que nous pleurons. De cette manière les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent que pour ceux qui les versent. J'ai dit que c'était une espèce d'hypocrisie, parce que, par elle, l'homme se trompe seulement soi-même. Il y en a une autre qui n'est pas si innocente, et qui impose à tout le monde: c'est l'affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d'une belle et immortelle douleur, car le temps, qui consume tout, l'ayant consumée, elles ne laissent pas d'opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader par toutes leurs actions qu'elles égaleront la durée de tous leurs déplaisirs à leur propre vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d'ordinaire dans les femmes ambitieuses, parce que, leur sexe leur fermant tous les chemins qui mènent à la gloire, elles se jettent dans celui-ci, et s'efforcent à se rendre célèbres par la montre d'une inconsolable douleur. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources, qui coulent facilement et qui s'écoulent aussitôt: on pleure pour avoir la réputation d'être tendre, on pleure pour être plaint, ou pour être pleuré, et on pleure quelquefois de honte de ne pleurer pas.

CCXLVIII

Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mérite, mais selon nos besoins et selon l'opinion que nous croyons leur avoir donnée de ce que nous valons.

CCXLIX

Nous ne sommes pas difficiles à consoler des disgrâces de nos amis lorsqu'elles servent à signaler la tendresse que nous avons pour eux.

CCL

Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir hors de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l'avantage de tout le monde, sera tenté de croire que lorsqu'elle agit, l'amour-propre s'oublie et s'abandonne lui-même, ou se laisse dépouiller et appauvrir sans s'en apercevoir, de sorte qu'il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bonté. Cependant c'est le plus utile de tous les moyens dont l'amour-propre se sert pour arriver à ses fins; c'est un chemin dérobé, par où il revient à lui-même, plus riche et plus abondant; c'est un désintéressement qu'il met à un furieuse usure; c'est enfin un ressort délicat avec lequel il réunit, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur.

CCLI

Nul ne mérite d'être loué de bonté s'il n'a la force, et la hardiesse, d'être méchant toute autre bonté n'est le plus souvent qu'une paresse ou une impuissance de la mauvaise volonté.

CCLII

Il est bien malaisé de distinguer la bonté générale, et répandue sur tout le monde, de la grande habileté.

CCLIII

Il n'est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien.

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