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Il est capricieux, et on le voit quelquefois travailler avec la dernière application, et avec des travaux incroyables, à obtenir des choses qui ne lui sont point avantageuses et qui même lui sont nuisibles, et qu'il poursuit seulement parce qu'il les veut.

Il est bizarre et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles; il trouve tout son plaisir dans les plus fades et conserve toute sa fierté dans les plus méprisables.

Il est dans tous les états de la vie et dans toutes les conditions; il vit partout, il vit de tout, et il vit de rien; il s'accommode des choses et de leur privation; il passe même dans le parti des gens de piété qui lui font la guerre; il entre dans leurs desseins et, ce qui est admirable il se hait lui-même, avec eux il conjure sa perte, il travaille même à sa ruine; enfin il ne se soucie que d'être, et, pourvu qu'il soit, il veut bien être son ennemi.

Il ne faut donc pas s'étonner s'il se joint à la plus sévère piété, et s'il entre si hardiment en société avec elle pour se détruire, parce que, dans le même temps qu'il se ruine en un endroit, il se rétablit en un autre; quand on pense qu'il quitte son plaisir, il le change seulement en satisfaction; et lors même qu'il est vaincu et qu'on croit en être défait, on le retrouve dans le triomphe de sa défaite.

Voilà la peinture de l'amour-propre, dont toute la vie n'est qu'une grande et longue agitation; la mer en est une image sensible, et l'amour-propre trouve dans la violence de ses vagues continuelles une fidèle expression de la succession turbulente de ses pensées et de ses éternels mouvements (MS I, I I).

[95] L'intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés. (max. 118, I 122)

[96] On aime mieux dire du mal de soi que de n'en point parler (max. 138, I 140).

[97] La ruine du prochain plaît aux amis et aux ennemis (MP 4).

[98] La haine qu'on a pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la faveur; c'est aussi la rage de n'avoir point la faveur, qui se console et s'adoucit un peu par le mépris des favoris; c'est enfin une secrète envie de les détruire qui fait que nous leur ôtons nos propres hommages, ne pouvant pas leur ôter [ce] qui leur attire ceux de tout le monde (max. 55, I 64).

[99] Chaque homme n'est pas plus différent des autres hommes qu'il l'est souvent de lui-même (max. 135, I 137).

[100] Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands: elle soutient le commerce, et nous ne payons pas pour la justice de payer, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent (max. 223, I 237).

[101] La coutume que nous avons de nous déguiser aux autres pour acquérir leur estime fait qu'enfin nous nous déguisons à nous-mêmes (max. 119, I 123).

[102] Les biens et les maux sont plus grands dans notre imagination qu'ils ne le sont en effet, et on n'est jamais si heureux ni si malheureux que l'on pense (max. 49, I 56).

[103] Il y a des personnes à qui leurs défauts siéent bien et d'autres qui sont disgraciées de leurs bonnes qualités (max. 251, I 281).

[104] La réconciliation avec nos ennemis, qui se fait au nom de la sincérité, de la douceur, et de la tendresse, n'est qu'un désir de rendre sa condition meilleure, une lassitude de la guerre et une crainte de quelque mauvais événement (max. 82. I 95).

[105] Le mal que nous faisons aux autres ne nous attire point tant la persécution et leur haine que les bonnes qualités que nous avons (max. 29, I 32).

[106] Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c'est qu'il n'y a quasi personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire qu'à répondre précisément à ce qu'on lui dit, et que les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive au même temps que l'on voit, dans leurs yeux et dans leur esprit, un égarement et une précipitation de retourner à ce qu'ils veulent dire, au lieu de considérer que c'est un mauvais moyen de plaire ou de persuader les autres de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu'on puisse avoir (max. 139, I 141).

[107] Comme si ce n'était pas assez à l'amour-propre d'avoir la vertu de se transformer lui-même, il a encore celle de transformer ses objets; ce qu'il fait d'une manière fort étonnante, car non seulement il les déguise si bien qu'il y est lui-même abusé, mais aussi, comme si ses actions étaient des miracles, il change l'état et la nature des choses soudainement. En effet, lorsqu'une personne nous est contraire, et qu'elle tourne sa haine et sa persécution contre nous, c'est avec toute la sévérité de la justice que notre amour-propre juge ses actions, il donne même une étendue à ses défauts qui les rend énormes, et met ses bonnes qualités dans un jour si désavantageux qu'elles deviennent plus dégoûtantes que ses défauts. Cependant, dès que cette même personne nous devient favorable ou que quelqu'un de nos intérêts l'a réconciliée avec nous, notre seule satisfaction rend aussitôt à son mérite le lustre que notre aversion venait d'effacer. Tous ses avantages en reçoivent un fort grand des biais dont nous les regardons; toutes ses mauvaises qualités disparaissent, et nous appelons même toute notre indulgence pour la forcer à justifier la guerre qu'elles nous ont faite (cf. la maxime suivante).

[108] Quoique toutes les passions montrent cette vérité, l'amour la fait voir plus clairement que les autres, car nous voyons un amoureux, agité de la rage où l'a mis un visible oubli ou infidélité découverte, conjure[r] le ciel et les enfers contre sa maîtresse et néanmoins, aussitôt qu'elle s'est présentée et que sa vue a calmé la fureur de ses mouvements, son ravissement rend cette beauté innocente, il n'accuse plus que lui-même, il condamne ses condamnations et par cette vertu miraculeuse de l'amour-propre il ôte la noirceur aux actions mauvaises de sa maîtresse et en sépare le crime pour en charger ses soupçons (pour cette maxime et la précédente: max. 88, I 101).

[109] La justice n'est qu'une vive appréhension qu'on nous ôte ce qui nous appartient; de là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice. Sans cette crainte qui retient l'homme dans les bornes des biens que la naissance ou la fortune lui a donnés, pressé par la violente passion de se conserver, comme par une faim enragée, il ferait des courses continuellement sur les autres (MS 14, I. 88).

[110] La justice, dans les bons juges qui sont modérés n'est que l'amour de l'approbation; dans les ambitieux c'est l'amour de leur élévation (MS 15, I 89).

[111] Rien n'est si contagieux que l'exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui ne produisent infailliblement leurs pareils. L'imitation des biens vient de l'émulation et celle des maux de l'excès de la malignité naturelle qui, étant comme tenue en prison par la honte, est mise en liberté par l'exemple (max. 230, I 244).

[112] Nul ne mérite d'être loué de bonté s'il n'a la force et la hardiesse de pouvoir être méchant: toute autre bonté n'est en effet qu'une privation de vice ou plutôt la timidité des vices et leur endormissement (max. 237, I 251).

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