Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Et tout aussitôt, sans plus s’occuper de lui, avec ce sourire enchanteur et de cette voix chaude et caressante qui charmaient les plus réfractaires:

– Messieurs, dit-elle, asseyez-vous. Nous avons à causer. Monsieur de Bussi-Leclerc, vous n’êtes pas de trop.

Les quatre gentilshommes s’inclinèrent en silence et prirent place dans des fauteuils disposés autour d’une petite table qui les séparait de la princesse.

– Messieurs, reprit Fausta, en s’adressant particulièrement à ses ordinaires, vous avez bien voulu accourir du fond de la France pour m’apporter l’assurance de votre dévouement et l’appui de vos vaillantes épées. Le moment me paraît venu de faire appel à ce dévouement. Puis-je compter sur vous?

– Madame, dit Sainte-Maline, nous vous appartenons.

– Jusqu’à la mort! ajouta Montsery.

– Donnez vos ordres, fit simplement Chalabre.

Fausta remercia d’un signe de tête et reprit:

– Avant toute chose, je désire établir nettement les conditions de votre engagement.

– Les conditions que vous nous avez faites nous paraissent très raisonnables, madame! dit Sainte-Maline.

– Combien vous rapportait votre emploi auprès d’Henri de Valois? demanda Fausta en souriant.

– Sa Majesté nous donnait deux mille livres par an.

– Sans compter la nourriture, le logement, l’équipement.

– Sans compter les gratifications et les menus profits.

– C’était peu, fit simplement Fausta.

– M. Bussi-Leclerc nous a offert le double en votre nom, madame.

– M. de Bussi-Leclerc s’est trompé, dit froidement Fausta qui frappa sur un timbre.

À cet appel, l’intendant, porteur de trois sacs rebondis, fit son entrée. Sans mot dire, il salua gravement, aligna ses trois sacs sur la petite table, salua de nouveau et disparut.

Du coin de l’œil, les trois spadassins soupesèrent les sacs et se regardèrent avec des sourires émerveillés.

– Messieurs, dit Fausta, il y a trois mille livres dans chacun de ces sacs… C’est le premier quartier de la pension que j’entends vous servir… sans compter la nourriture, le logement et l’équipement… sans compter les gratifications et les menus profits.

Les trois eurent un éblouissement. Cependant Sainte-Maline, non sans dignité, s’exclama:

– C’est trop! madame… beaucoup trop!

Les deux autres approuvèrent de la tête, cependant que des yeux ils caressaient les vénérables sacs.

– Messieurs, reprit Fausta toujours souriante, vous étiez au service du roi. Vous voici à celui d’une princesse qui redeviendra souveraine un jour, peut-être… mais qui ne l’est plus pour le moment. C’est une sorte de déchéance pour vous… je vous dois bien une compensation.

Et désignant les sacs:

– Prenez donc sans scrupules ce qui vous est donné de grand cœur.

– Madame, dit avec chaleur Montsery, qui était le plus jeune, entre le service du plus grand roi de la terre et celui de la princesse Fausta, croyez bien que nous n’hésiterons pas un seul instant.

– Même sans compensation! ajouta Sainte-Maline, en faisant disparaître un des trois sacs.

– Ni menus profits! dit Chalabre à son tour, en subtilisant d’un geste prompt le deuxième sac.

Ce que voyant, Montsery, pour ne pas être en reste s’empara du dernier sac en disant:

– C’est pour vous obéir, madame.

Cette sorte d’escamotage avait été si prestement exécuté, avec des airs si ingénument détachés, que Bussi-Leclerc, témoin silencieux et impassible, ne put réprimer un sourire.

Fausta, elle, ne sourit pas, mais elle dit:

– Vous allez en expédition, messieurs.

Les trois dressèrent l’oreille.

– La même somme vous sera comptée à la fin de l’expédition… Les trois furent aussitôt debout:

– Noël pour Fausta!… Bataille!… Sangdieu!… Tripes du pape!… crièrent-ils, électrisés.

Alors Fausta, soudain très grave, révéla:

– Il s’agit de Pardaillan, messieurs.

– Ah! ah! pensa Bussi, je me disais aussi: de quelle entreprise mortelle cette générosité, plus que royale, est-elle le prix?

L’enthousiasme des trois spadassins tomba instantanément. Les faces épanouies s’effarèrent, devinrent graves et inquiètes, le sourire se figea sur les lèvres pincées et les yeux scrutèrent les coins d’ombre, comme s’ils se fussent attendus à voir apparaître celui dont le nom seul suffisait à les affoler.

– Trouvez-vous toujours votre service payé trop cher? demanda Fausta, sans raillerie.

Les trois hommes hochèrent la tête.

– Dès l’instant où il s’agit de Pardaillan, non, mordiable! ce n’est pas trop cher!

– Hé quoi! hésiteriez-vous? demanda encore Fausta, maintenant glaciale.

– Non, par tous les diables!… Mais Pardaillan… Diantre! madame, il y a de quoi hésiter!

– Savez-vous que nous courons fort le risque de ne jamais dépenser les pistoles qui tintent si agréablement dans ce sac?

Fausta, toujours glaciale, dit simplement:

– Décidez-vous, messieurs.

Baissant la voix instinctivement, comme si celui dont ils préméditaient le meurtre eût été là pour les entendre, Sainte-Maline dit:

– Il s’agit donc de?…

Et un geste d’une éloquence terrible traduisit sa pensée.

Toujours brave et résolue, avec un imperceptible dédain, Fausta formula tout haut, froidement, résolument, ce que le bravo n’avait pas osé dire:

– Il faut tuer Pardaillan!

Les trois eurent une dernière hésitation et se consultèrent du coin de l’œil. Puis retrouvant leur insouciance habituelle, avec un haussement d’épaules, comme pour jeter bas tout vain scrupule et toute crainte:

– Ah! bah! après tout un homme en vaut un autre! trancha Sainte-Maline.

– Nous sommes tous mortels! énonça sentencieusement Chalabre en passant délicatement le bout du doigt sur le fil de sa dague.

– On commençait à se rouiller! constata Montsery en faisant craquer ses articulations.

Et d’un commun accord, avec des rictus de dogues prêts à mordre, la rapière au poing, ils crièrent:

– Sus à Pardaillan!

Fausta sourit. Et sûre de ces trois, elle se tourna vers Bussi.

– Le sire de Bussi-Leclerc se croit-il trop grand seigneur pour entrer au service de la princesse Fausta? dit-elle.

– Madame, fit vivement Bussi, croyez-bien que je serais fort honoré d’entrer à votre service.

– Dans une entreprise contre Pardaillan, le concours d’une épée telle que la vôtre serait un appoint précieux. Faites vos conditions vous-mêmes. Quelles qu’elles soient je les accepte.

Bussi-Leclerc se leva brusquement. D’un geste violent il tira sa dague et, avec un accent de haine furieuse, il gronda:

– Madame, pour avoir la joie de plonger ce fer dans le cœur de Pardaillan, je donnerais, sans hésiter, non seulement ma fortune jusqu’au dernier denier, mais encore mon sang jusqu’à la dernière goutte… Mon concours vous est donc tout acquis… Mais vous comprenez qu’il ne saurait être question d’engagement ni d’argent entre nous, d’abord parce que la joie d’assouvir ma haine me suffit amplement, ensuite parce que je suis résolu à considérer comme un ennemi et à traiter comme tel quiconque cherchera à se placer entre Pardaillan et moi… S’il vous prenait fantaisie de sauver Pardaillan après l’avoir condamné, je ne pourrais me tourner contre vous sans forfaiture si j’étais à votre service.

Gravement Fausta approuva de la tête.

– Plus tard, madame, j’accepterai les offres gracieuses que vous voulez bien me faire. Pour le moment, et pour cette entreprise, il vaut mieux que je garde mon indépendance.

– Quand vous croirez le moment venu, monsieur, vous me trouverez dans les mêmes dispositions à votre égard.

Bussi s’inclina et, avec résolution:

– En attendant, madame, dit-il, souffrez que je sois le chef de cette entreprise… Ne vous fâchez pas, messieurs, je ne doute ni de votre zèle ni de votre dévouement, mais vous agissez pour le compte de madame, tandis que j’agis pour mon propre compte, et quand il s’agit de sa haine et de sa vengeance, Bussi-Leclerc, voyez-vous, n’a confiance qu’en lui-même.

– Ces messieurs agiront d’après vos instructions, ordonna Fausta.

Les trois s’inclinèrent en silence.

45
{"b":"88675","o":1}