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CHAPITRE XXXVI

Ils mirent le cap sur Tahiti l'heureuse, située au milieu du Pacifique. L'espoir de Jâ ne fut pas déçu. L'île n'avait pas changé. L'ardeur du soleil était toujours tempérée par la brise du large qui chantait dans les palmes. Les vagues bleues léchaient interminablement les plages dorées. Les monts orgueilleux se découpaient sur l'azur du ciel.

Évitant les villes malheureusement infestées de rats gorgés de cadavres, ils élurent domicile dans une petite vallée, à mi-hauteur entre mer et montagne. Une petite rivière coupée de cascades et de lacs miniatures chantait à proximité au fond d'un jardin naturel éclatant de bougainvilliers. Jâ découvrit une grotte à leur taille et en cerna l'entrée par des pieux acérés et un fossé semi-circulaire.

En effet, mille dangers étaient à craindre. Le petit couple se trouvait dans les mêmes conditions de vie qu'au temps de la lointaine préhistoire. Un simple rat était pour eux un fauve redoutable, la plupart des insectes: des ennemis à abattre sans pitié.

Au débat, ils furent obligés de se servir de leurs désintégrateurs pour parer aux dangers immédiats. Mais il fallut prévoir le moment où ceux-ci deviendraient hors d'usage. Jâ s'habitua à se débrouiller avec des armes qu'il pouvait fabriquer lui-même.

Naviguant sur la moitié évidée d'une noix de coprah, il restait des heures à guetter l'approche de poissons gros comme lui, qu'il harponnait avec des éclats de bois durcis au feu. Il dut un jour soutenir un combat acharné contre un crabe. Sautant de part et d'autre de la bête pour éviter les pinces meurtrières qui l'auraient coupé en deux, il réussit à le renverser sur le dos à l'aide d'un simple morceau de fil de fer comme levier. Ce jour-là, ils eurent de la viande pour une semaine.

Leur petite taille avait aussi ses avantages, en ce sens que le moindre fruit ou le moindre coquillage suffisait à assouvir leur faim. Les coquillages, notamment, servaient à toutes sortes d'usages; ils se constituèrent une rudimentaire vaisselle avec les écailles. Les grands pouvaient presque servir de baignoires. Brisés, on en tirait de armes ou des outils.

Ils avaient depuis longtemps jeté leurs maillots, inutiles sur la Terre. Leur peau prit une belle teinte dorée.

Nira s'amusait follement à fabriquer des pagnes d'herbes et des couronnes de fleurs minuscules. Quelquefois, à sa grande joie, un immense papillon se perchait sur son épaule.

A l'aide de minces fils métalliques ravis à l'appareillage électrique de l'hélic géant, Jâ confectionna un filet qu'il tendait le soir à 'entrée de la caverne. Ils restaient alors des heures, avant de s'endormir, à contempler la nuit barrée d'un immense arc lumineux, tendu entre la mer et les collines. Ils avaient du mal à admettre que cette chose était un mélange chaotique de tout ce qu'ils avaient connu sur la Lune.

Un jour, Jâ surprit Nira à tapisser d'herbes sèches un coquillage ovale.

– Que fais-tu donc? demanda-t-il.

– J'essaie de voir ce que ça peut donner comme berceau, avoua Nira toute rouge.

– Pourquoi? Tu crois que…

Nira inclina la tête affirmativement. Alors Jâ la serra dans ses bras. Il se sentit fort, plein de projets heureux.

– Adam et Eve…, rêva-t-il. Nos enfants peupleront l'île, nos arrière-petits-enfants se répandront dans l'archipel, puis couvriront la Terre entière. Une race de petits hommes intelligents et courageux va reconquérir la nature. Et tout cela viendra de nous deux.

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