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CHAPITRE XVIII

Kam approcha son pistolet de verre à deux centimètres de la cuisse de Jâ Benal. Il appuya sur la gâchette: le canon transparent se remplit lentement de sang que le Professeur vida dans une éprouvette. Il fit des prises de sang à différents endroits du corps du malade: au foie, aux reins, au cœur, aux aisselles. Quand l'éprouvette fut pleine, il la plaça dans un appareil et appuya sur une pédale. Un petit tube descendit au fond de l'éprouvette et pompa lentement le liquide.

L'appareil était muni sur l'une de ses faces d'un écran de trois mètres de côté. Le professeur y examina le sang dilué de Benal qu'on voyait défiler au ralenti, considérablement grossi. Quand l'écran s'éteignit, Kam se tourna vers le jeune homme.

– Eh bien! jeune Terrien, vous voilà complètement guéri. Vous revenez de loin.

– A qui le dites-vous, Professeur! Les gôrs, les monstres, les volcans, et puis maintenant les tricho… machins.

– Trichocystes! C'étaient les plus dangereux, croyez-moi.

– Je vous suis infiniment reconnaissant.

Le professeur haussa légèrement les épaules et détourna les yeux.

– Vous allez sortir, dit-il, et essayer de vous adapter à une vie différente de tout ce que vous avez connu jusque-là.

– Vous savez, en fait de surprises, je suis vacciné, maintenant. Bien ne peut plus m'étonner.

Le professeur lui tendit un papier.

– Qu'est-ce que c'est que ça? dit Jâ.

– Montrez ça à la sortie de la clinique, c'est votre laissez-passer.

Le vieil homme tendit la main. Jâ la lui serra vigoureusement, puis il marcha vers la porte. Au dernier moment, il se retourna vers le savant.

– Dites-moi, Professeur, demanda-t-il d'un ton gêné, d'après votre âge, vous n'êtes certainement pas Lunaire d'origine. Pourquoi vous a-t-on exilé?

Le Professeur eut un haut-le-corps et devint très rouge, il garda le silence quelques secondes, puis se calma et sourit.

– Mon Dieu, je suis blasé de bien des choses et après tout, je ne verrais aucun inconvénient à vous le dire. Mais sur la Lune, ça ne se fait pas. C'est noté sur ma fiche personnelle dans les archives du Conseil, mais personne d'autre ne le sait. Ne posez jamais cette question autour de vous; c'est un des principes de la politesse lunaire. Vous aurez à signaler la raison de votre propre exil sur le questionnaire qu'on vous remettra d'ici peu, sous pli fermé. Mais personne ne vous demandera plus jamais rien.

Jâ Benal baissa les yeux.

– Excusez-moi, Professeur, je ne savais pas.

Kam fit un petit geste signifiant que la chose n'avait aucune importance. Jâ inclina brièvement la tête et sortit.

Il passa dans la pièce voisine. Une jeune femme lui fit signe d'approcher. Il obéit, en se contraignant à la regarder dans les yeux, gêné de constater qu'elle était habillée exactement comme les hommes, c'est-à-dire qu'elle ne portait qu'un minuscule slip de couleur et que le reste de son corps paraissait nu sous son maillot collant et translucide comme un bas. Toutefois, ses cheveux n'étaient pas rasés et flottaient librement sur ses épaules. Jâ se demanda si elle avait été obligée de les passer un par un dans les mailles. Il le lui demanda ingénument. Elle éclata de rire.

– Mais non, dit-elle, on voit bien que vous êtes nouveau ici. Mes cheveux ont poussé naturellement au travers.

– Vous voulez dire que vous n'avez pas changé de maillot depuis tout ce temps? dit Jâ en regardant la longueur des cheveux.

– Mais je ne l'ai jamais quitté, voyons.

– Eh bien

– Quoi donc, citoyen?

– Je veux dire: comment faites-vous pour vous laver?

– Est-ce que vous quittez votre épiderme pour faire votre toilette? Non? Eh bien, c'est la même chose. Ce maillot est un épiderme perfectionné. On vous le pose à la naissance, il grandit avec vous, vous protège du froid, du chaud et des microbes et se lave aussi facilement que votre peau, dont il absorbe d'ailleurs les impuretés, et à laquelle il fournit de l'oxygène.

– Vous voulez dire qu'on peut aller se promener dans le vide par plus de cent quatre-vingts degrés ou par moins cent?

– Oui, mais pas longtemps. Si vous voulez rester dehors plus de cinq heures, il vaut mieux endosser par-dessus un scaphandre, sinon vous mourrez gelé, rôti ou asphyxié. Attendez-moi un instant.

Elle s'absenta quelques minutes et revint en lançant un maillot à Benal.

– Enfilez-moi ça, dit-elle.

Jâ tâta l'étoffe soyeuse et élastique.

– En quoi est-ce fait?

– C'est un réseau serré de tubes capillaires en néderme.

– Néderme?

– Oui! parcouru continuellement par un liquide nommé superplasme. Ne me demandez rien d'autre, je ne suis pas savante.

– Néderme, superplasme… Ça me donne une vague idée.

La jeune femme hocha la tête.

– Vous n'êtes pas très avancés, sur la Terre.

– Comment ça?

– Vous ne portez pas de maillots.

Ce fut au tour de Jâ de rire.

– Là-bas, ce n'est pas nécessaire.

– Ah non? fit-elle, dubitative.

– La Terre a une atmosphère, expliqua Jâ.

– Je ne sais pas ce que c'est qu'une atmosphère, je suis une femme.

– Pourquoi les femmes…

– Seuls les hommes ont le droit d'être instruits. Une camarade m'a dit qu'il y a des femmes qui savent lire parmi les fonctionnaires attachées au Conseil, mais je ne l'ai pas crue. C'est défendu.

– Vous ne savez pas lire? demanda Jâ stupéfait.

– Bien sûr que non. Maintenant, citoyen, vous feriez bien de passer votre maillot. Et n'oubliez pas qu'il est interdit de le retirer.

Jâ passa une jambe dans le vêtement. La jeune femme rit encore.

– Non, pas comme ça, dit-elle. Je m'y attendais. Il faut retirer votre slip d'abord, vous le mettrez par-dessus.

– Ah, bon! dit Jâ.

Il regarda fixement la jeune femme.

– Eh bien? dit-elle.

– Vous restez là?

– Oui, pourquoi?

– Pendant que je m'habille?.

Elle ouvrit de grands yeux et haussa les épaules.

– Ah oui, c'est vrai! Si ça peut vous faire plaisir, je passe dans la pièce voisine. Vous autres, Terriens, vous avez de ces pudeurs! Je ne comprendrai jamais, dit-elle en sortant.

Jâ sourit en regardant la porte redevenir opaque. Il passa son maillot qui le moula aussitôt à la perfection et mit son slip par-dessus. Pour la tête, il ne sut comment faire, l'étoffe restait béante sur la nuque.

– Hé! cria-t-il.

La jeune femme revint. Jâ désigna son cou.

– Comment s'y prend-on?

– Laissez. Ça va se souder tout seul dans dix minutes. Jâ se leva du siège où il s'était installé pour s'habiller. Son geste le précipita en l'air, il se cogna fortement la tête au plafond et retomba sur le sol. Sa chute donna une impression de lenteur.

La jeune femme étouffait de rire.

– Vous trouvez ça drôle! s'emporta Jâ.

– Ça, je l'attendais aussi, hoqueta la femme. Les nouveaux arrivants le font tous; ça m'amuse. Vous avez oublié de remettre vos cothurnes.

«Elle est complètement idiote», pensa Jâ. Il chaussa les lourds cothurnes qui le grandirent de dix centimètres.

– Maintenant, laissez-moi faire, dit l'habilleuse.

Elle passa sur le crâne et le visage de Jâ une petite éponge imbibée d'un liquide tiède.

– Qu'est-ce que vous faites?

– Vos cheveux et votre barbe commençaient à repousser. Il faudra vous passer du Dépil tous les mois.

Elle recula de quelques pas et détailla Benal.

– Maintenant, vous êtes bien, dit-elle. Vous êtes même très bien! Et moi, comment me trouvez-vous?

Jâ rougit un peu en évitant de porter les yeux sur le corps de la jeune femme.

– Vous êtes très jolie, dit-il gentiment.

Elle n'était pas laide. Elle apprécia vivement la remarque de Jâ et sourit.

– J'ai envie de vous demander si vous vouliez me prendre pour femme, je serais bien contente. Je m'appelle Sore, numéro A.G.4172. Vous vous rappellerez?

– Sûr, dit Jâ ahuri.

– Chic! dit-elle en levant les bras au plafond, dans un geste enfantin. Maintenant, vous pouvez sortir. A bientôt

Jâ s'empressa de filer par le couloir.

– Eh bien, mon vieux! murmura-t-il, les déclarations sont rapides, ici.

Un pas pressé retentit derrière lui. Il se retourna. Le drôle de petit numéro A.G. quatre mille, etc… lui courait après.

– Vous oubliez votre laissez-passer, criait-elle en brandissant un papier.

Jâ lui épargna la moitié du chemin. Elle devint rouge de confusion.

– Oh non, citoyen, ne vous donnez pas la peine, voyons! Je suis une femme.

Elle lui donna le laissez-passer.

– Merci, dit Jâ.

Il hésita et ajouta gauchement

– Eh bien, au revoir.

Elle avança la main et lui caressa le bras.

– Au revoir, M…Maître! vous permettez que je vous appelle déjà comme ça?

– Maître? dit Jâ. Oh oui, bien sûr!

– Chic! explosa-t-elle en battant des mains.

Elle s'en alla en trottinant. «Si elles sont toutes comme ça, ça promet, pensa Jâ».

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