– Mon rôle est terminé, dit Mox à l'Excellence. Ça n'a pas marché tout seul. Ce type a une chance extraordinaire. Pensez qu'il est resté quatre jours sous la lave. Son casque de quintuplex a dû mollir à la chaleur, il était tout gondolé. Une petite fissure et c'était la mort immédiate.
– Finalement, il a tout de même accompli ses quinze jours d'épreuve, quoique nous fussions résolus à les lui épargner, dit pensivement l'Excellence. Dans un sens, cela simplifie nos projets. Quand il connaîtra le règlement, il ne s'étonnera de rien et n'aura pas à se poser de questions, à se demander pourquoi nous tenions tant à l'épargner. La petite mise en scène destinée à lui cacher la loi des quinze jours n'a plus de raisons d'être.
L'Excellence se tourna vers Tem.
– Eh bien, Citoyen, tout est-il organisé de votre côté?
– Tout est prêt, Excellence, quand il sortira de la clinique, il trouvera chez lui la plus belle femme de la Lune. J'ai eu du mal à lui dénicher une personne à la fois sensationnellement jolie et parfaitement intelligente. C'est une femme de nos services, naturellement.
– Qui est-ce?
– Nira Slid.
Le gros homme fronça les sourcils.
– Nira Slid? dit-il pensivement.
– Oui, Excellence, agent A.E.712. Une blonde magnifique, fille de Gome Slid, mort l'an dernier dans l'accident du cirque 13.
– Ah, oui, parfaitement! dit l'Excellence. Votre choix n'est pas mauvais.
– D'autre part, Jâ Benal m'aura pour voisin immédiat. Je jouerai le jeu comme vous me l'avez demandé.
Un son perlé retentit dans la pièce.
– Entrez, dit l'Excellence.
Son secrétaire parut.
– Des nouvelles de Jâ Benal, Excellence.
– Eh bien?
– Sa jambe verdit.
– Au nom du ciel, que dites-vous là?
– Le Professeur en personne est en communication. Si vous voulez lui parler…
– Transmettez vite.
Le secrétaire sortit. L'Excellence appuya sur un bouton. Un homme au visage strié de rides profondes apparut sur l'écran situé sur une cloison.
– Eh bien, Professeur? Que m'annonce-t-on?
– C'est vrai, Excellence. Cette fracture était ouverte; on voit la jambe verdir d'heure en heure. J'ai tenu à vous le faire savoir. Je crois que vous teniez à la vie de cet homme.
– Si j'y tiens! s'exclama le gros homme en s'approchant de l'écran, mais nous devons tous y tenir! De la vie de Jâ Benal dépendent peut-être les destinées de notre civilisation. Professeur, je vous conjure de mettre tout en oeuvre pour le sauver.
– Je…
– Je sais ce que vous voulez dire. On ne guérit pas de la trichocystie. Eh bien, vous vous trompez. Pardonnez à ma brutalité, mais il faut dire: on n'a encore jamais guéri de la trichocystie. Jâ Benal sera le premier rescapé de cette maladie. Professeur, il le faut. Vous nous avez déjà donné des preuves de génie. Soyez digne de votre passé.
Un mince sourira détendit les traits du vieux savant.
– Vous n'aviez pas besoin de prononcer cette dernière phrase, Excellence. Il y a longtemps que je ne suis plus sensible à la vanité. Mais je comprends votre inquiétude. Sachez que je vais tenter l'impossible.
– Merci, Professeur, je vous fais confiance.
Le visage du savant s'effaça de l'écran.
* * *
Le professeur Kam sortit de son bureau et enfila un couloir. Il pénétra dans une petite chambre où Jâ Benal était allongé sur un hamac translucide. Il regarda son malade.
– Eh bien, mon ami, comment vous sentez-vous?
– Parfaitement bien, Professeur. Vous m'avez drogué, ou quoi? Je ne gens plus du tout ma jambe.
Le professeur Kam pinça fortement le genou de Jâ.
– Je vous fais mal?
– Absolument pas.
Il remonta un peu plus haut.
– Et là?
– Non plus!
– Bien, bien. Reposez-vous, mon petit. Et ne vous en faites pas.
– Si vous croyez que c'est facile! Avec votre contention magnétique, je ne peux plus du tout remuer à partir des genoux. J'ai un tempérament actif, moi. Je n'aime pas être malade.
– Il faut m'obéir, si vous voulez guérir vite.
– Écoutez, Professeur. Pourquoi ne pas soigner les fractures comme font les Terriens? Une simple gaine de méthacryl et on peut marcher tout de suite! Je ne veux pas dire du mal de la médecine lunaire, et votre machin magnétique, là, je ne sais plus comment vous appelez ça… c'est très ingénieux, mais on ne peut se lever qu'au bout de huit jours.
– Laissez-vous faire, mon ami, les fractures ouvertes donnent lieu, sur la Lune, à des complications assez graves, quelquefois. Notre thérapeutique est justifiée, croyez-moi.
Le savant tira un petit tube de la poche de son maillot collant. Il y prit une pilule.
– Tenez, avalez-moi ça. Vous aurez de jolis rêves qui vous feront oublier vos soucis.
Il fit à Jâ un signe amical et sortit. Il revint dans son bureau, s'installa derrière sa table et pressa un bouton.
Une voix parla
– Ici, laboratoire d'enmicrobainie.
– Ici, Professeur Kam. Où en sont vos essais en cabine?
– Nous avons eu quelques difficultés, mais nos ingénieurs ont réussi à les surmonter. Tenez-vous bien, Professeur, ce matin, nous avons réussi à réduire une cabine contenant dix hommes à la taille de deux microns.
– C'est le miracle que j'attendais. Pas d'accidents?
– Un incident, tout au plus. L'un des volontaires a perdu connaissance pendant le retour. A part lui, les autres ont très bien supporté l'expérience.
– Dites à votre patron que j'aimerais le voir rapidement.
– Ne quittez pas, Professeur.
Le savant attendit quelques minutes. Une grosse voix de basse se fit entendre.
– Ici Terol, comment va, Kam? Vous vouliez me parler?
– C'est important, Terol! On vient de me dire que vous avez réduit une cabine à deux microns, ce matin.
– Qu'est-ce que vous dites de ça?
– J'admire, mon vieux, j'admire sans comprendre; je ne suis pas physicien. Félicitations!
– N'en jetez plus!
– Mais il se trouve que l'application pratique de vos expériences m'intéresse, sur le plan médical. Excusez-moi si ma question est idiote, et dites-moi, pouvez-vous réduire une cabine de n'importe quelle forme?
– Comment ça?
– Les vôtres sont cubiques. Vous serait-il possible de réduire des cabines de forme ovoïde, par exemple?
– Du moment qu'elle est construite en stillite, je peux vous réduire une cabine de n'importe quel aspect: en forme de poire, de verre à dent ou de bigorneau, peu importe. Pourquoi me demandez-vous ça?
– J'ai un essai à tenter sur un cas désespéré. Pourrions-nous nous voir
– Bien sûr, Kam! Je vous attends tout de suite si vous voulez.
– Merci, mon vieux. J'arrive!